Anti-élevage, « l’essoufflement du mouvement entraine une radicalisation », Hervé Le Prince, fondateur de NewSens
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Hervé Leprince est fondateur du cabinet de communication NewSens et spécialiste des mouvements antispécistes. Face à la montée en puissance des associations qui prônent l’arrêt total de l’élevage dans le paysage médiatique, L214 en tête, il décrypte leur mode de fonctionnement.
Référence environnement : Quel constat faites-vous de la montée en puissance des mouvements anti-élevage ?
Hervé Leprince : Nous avons toujours cru que manger de la viande allait de soi. Depuis 2015, L214 cherche à ancrer dans l’opinion que ce n’est pas naturel, mais amoral et mauvais pour la santé et la planète. Si seulement 0,5 % de la population est végan, cette communauté est très active.
R.E. : Quel est le portrait-type des personnes engagées dans cette lutte ?
H.L. : Dans les militants, nous trouvons une majorité de femmes, de l’extrême gauche à l’extrême droite, entre 20 et 35 ans, urbaines, ayant réalisé des études supérieures, sans aucune connaissance de la ruralité et des animaux d’élevage. Nous dénombrons environ 10 000 militants particulièrement actifs. Ce sont avant tout des antisystèmes, qui refusent l’exploitation et la domination, et qui cherchent une cause pour se faire entendre.
R.E. : Comment fonctionnent ces structures ?
H.L. : Leur but ultime est de faire légiférer en faveur de la cause animale. Tout part d’une dénonciation. Les opérations de communication, qui utilisent le marketing de la compassion, ont pour objectif de susciter l’indignation. Ils dénoncent aussi les personnes avec la technique du « name and shame » : nommer pour faire honte. Ils recherchent l’engagement en faisant signer des pétitions, réalisent des enquêtes d’opinion pour faire croire qu’une toute petite communauté peut avoir une forte influence. Et investissent des espaces de sensibilisation comme les écoles. Dernier exemple : l’université de Rennes qui lance pour la rentrée prochaine un diplôme « animaux et société ». Preuve de la capacité de lobbying de L214, l’un des enseignants du DU est salarié de l’association…
Puis, ils transforment cette indignation en euros par des appels aux dons afin de se développer. En 2008, L214 est parti avec un budget de 5 000 euros. Il s’élève aujourd’hui à 5,2 millions d’euros. L’association indique qu’elle n’a pas d’argent public. Or, 66 % de la somme versée par les donateurs sont défiscalisées ce qui revient à disposer d’argent public…
Quoi qu’il en soit, ce budget leur a permis de créer tout un système de services pour diffuser leurs opinions, notamment via des sites Internet et les réseaux sociaux. Le Veggie challenge, par exemple, donne des conseils pour devenir vegan. Ou encore Vegoresto qui propose aux restaurants de signer une charte ainsi qu’un approvisionnement pour favoriser les menus vegans.
R.E. : Vous indiquez également qu’une partie de cet argent vient de fondations américaines impliquées dans les biotechnologies pour créer de la viande artificielle…
H.L. : Tout à fait. 1,14 million d’euros a été donné fin 2017 par une fondation américaine, la Silicon Valley Fondation, qui investit également dans des laboratoires de biotechnologies d’alimentation artificielle. Cette « Vegan mafia américaine » instrumentalise les vegans français afin qu’ils préparent le consommateur à l’arrivée de la « viande de culture ».
R.E. : Comment voyez-vous la suite de ce mouvement ?
H.L. : La mobilisation stagne et L214 peine à recruter au-delà de sa sphère militante. Cet essoufflement entraîne une frustration et un durcissement du mouvement. Il y a eu une fracture au moment des États généraux de l’alimentation, car ils n’ont pas réussi à faire légiférer. Ce qui a provoqué une radicalisation avec des actes de vandalisme contre des boucheries et attaques des abattoirs. Or, ces actions n’ont pas une bonne image auprès du public : la population rejette cet extrémisme.
R.E. : Comment la filière agricole doit-elle réagir ?
H.L. : Alors que la filière viande a toujours eu une approche marketing produit, les abolitionnistes parlent différemment au consommateur : ils ont une approche politique, veulent donner du sens à l’alimentation et affirment qu’un nouveau monde est possible, que nous allons changer de civilisation. La filière élevage ne doit pas répondre à L214, mais s’adresser au consommateur, lui raconter comment se fabrique son alimentation, expliquer ses bonnes pratiques. Bref, montrer une filière en mouvement, ses progrès et réaffirmer son humanité. Enfin, le monde agricole doit également entendre ce que dit la société sur le bien-être animal.