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Caudectomie, « mutualiser les expériences »

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Selon un audit de la Commission européenne, la France accuserait un gros retard dans la mise en place de la législation européenne sur l’interdiction de la coupe systématique des queues de cochons. De nombreux programmes et expérimentations sont néanmoins développés pour accompagner ces évolutions de pratiques. Explications avec Valérie Courboulay, ingénieure d’étude à l’Ifip.

Caudectomie, « mutualiser les expériences »
Caudectomie, « mutualiser les expériences »

Depuis 2013, des dispositions européennes interdisant la coupe systématique des queues des cochons sont en vigueur en France. En juin 2019, la Commission européenne a mené un audit pour évaluer la mise en œuvre de cette réglementation au sein de la filière porcine française. Ce dernier révélerait « un besoin urgent d’amélioration des conditions d’élevage dans le secteur porcin ». Selon l’instance, « seules quelques actions tangibles ont été prises pour améliorer la conformité [des élevages] avec les dispositions de la Directive, réduire les morsures de queues et éviter la coupe des queues, toujours pratiquée en routine dans le pays ». Un constat sévère derrière laquelle se cache une situation complexe, assure Valérie Courboulay, ingénieure d’étude à l’institut technique du porc, l’Ifip. « La Commission européenne voudrait que tout le monde avance vite, mais si les queues de tous les cochons arrêtent d’être coupées, il y aura beaucoup de cas de morsures graves, cela ne me semble pas cohérent pour le bien-être des animaux. » Dans cette situation, l’Ifip tempère et souligne l’importance d’avancer progressivement grâce à l’acquisition de connaissances.

Mieux comprendre les facteurs de risque de morsures

« On ne peut pas dire que rien n’est fait », assure Valérie Courboulay. Dès 2012, dans le cadre du projet AccEC, pour Accompagner les éleveurs dans une meilleure prise en charge des douleurs animales, des fiches ont été réalisées pour mieux identifier les facteurs de risques de morsure. La meilleure connaissance de ces facteurs est également au cœur de l’outil d’audit allemand Schwip, dédié à l’analyse des risques de morsure en élevage, actuellement testé en France. En lien avec les professionnels de la filière, les travaux se focalisent sur la hiérarchisation des facteurs de risque et l’adaptation de l’outil à la situation française. L’outil devrait être opérationnel en fin d’année.

Mutualiser les expériences de terrain

Des initiatives émergent aussi au sein même des exploitations. En 2019, une plateforme a été mise en place en Bretagne à l’initiative de l’OS (organisation sanitaire) porc Bretagne et de l’Ifip pour rassembler des informations et des retours d’expérimentation sur l’arrêt de la caudectomie. « Dans ce cadre, nous avons construit un protocole pour aider les éleveurs à tester l’arrêt de la coupe des queues et avoir un suivi de ces essais, explique Valérie Courboulay. Nous devons mutualiser les expériences pour progresser plus vite. » Une session regroupant des éleveurs faisant ou voulant faire des essais sur l’arrêt de la caudectomie était prévue au printemps, mais reportée en raison de la crise sanitaire actuelle.

Vigilance sur la biosécurité

Selon la réglementation en place, la caudectomie ne doit avoir lieu qu’en cas de signes de morsures. Pour les prévenir, « d’autres mesures doivent être prises afin de prévenir la caudophagie et d’autres vices », est-il indiqué. Valérie Courboulay souligne que des efforts dans ce sens sont faits. Un arrêté du 24 février 2020 rend ainsi obligatoire la mise à disposition d’un abreuvoir pour répondre à l’obligation d’abreuvement en permanence, y compris pour les élevages apportant de l’eau en même temps que l’aliment. Mais, souligne-t-elle, « changer de système d’élevage ne se fait pas du jour au lendemain. Quand certains disent que nous sommes hors la loi car la caudectomie est pratiquée en routine, je réponds que des choses sont mises en place, des recommandations techniques sont formulées et se diffusent, mais cela sera forcément progressif. »

Celle-ci rappelle enfin les fortes exigences en matière de biosécurité, découlant notamment de la menace posée par la peste porcine africaine. « On ne peut pas demander aux éleveurs de tout changer en même temps, d’autant plus que cela nécessite des investissements sur lesquels il n’y a pas forcément de retour. » Dans ce cadre, l’ingénieure se montre prudente quant à l'échéance posée en 2022-2024 pour l’arrêt de la caudectomie en France. « Ce qui est envisageable c’est que l’ensemble des éleveurs soient impliqués dans une démarche de progrès, et cela demande un minimum de recul et de retour d’expériences. »