Biocontrôle, une politique française proactive
Le | Politique
Le soutien politique et les moyens mis en œuvre pour accélérer le déploiement du biocontrôle en France sont souvent enviés par les autres États membres de l’Union européenne. Plus de deux ans après la publication de la stratégie nationale dédiée à ces solutions alternatives, Référence agro a souhaité faire le point avec Maud Faipoux, directrice générale de l’alimentation au ministère chargé de l’agriculture.
Référence agro : Quelles sont les actions envisagées par le Gouvernement pour lever les freins au déploiement du biocontrôle ?
Maud Faipoux : Les actions du Gouvernement s’inscrivent dans la Stratégie nationale de déploiement du biocontrôle (SNDB), insérée dans la loi Égalim de 2018 ainsi que dans le plan Écophyto 2+, et publiée en novembre 2020, pour une durée de cinq ans. Dans le cadre de cette stratégie, il a été mis en évidence que le Gouvernement investit actuellement environ 20 millions d’euros par an dans le secteur du biocontrôle et des biostimulants. Avec entre autres pour objectif de soutenir les entreprises ainsi que la recherche fondamentale et appliquée.
Plusieurs dispositifs d’accompagnement de l’État, au premier rang desquels le Grand Défi Biocontrôle et Biostimulants pour l’agroécologie (GDBB) et Démonstrateurs territoriaux (DT), ont pour but, à court terme, de transformer et diversifier l’écosystème actuel d’innovation et de pousser l’accompagnement jusqu’au déploiement sur le terrain pour faire la preuve du concept. L’appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Compétences et métiers d’avenir » va également permettre à l’État d’accompagner un projet de diagnostic de la prise en compte du biocontrôle dans le référentiel de la formation initiale et continue. Ce projet, porté par l’Université Côte d’Azur, sera réalisé en 2023.
Enfin, comme chaque année, les programmes tels qu’Écophyto ou le Programme national de développement agricole et rural (PNDAR) continuent d’accompagner l’essor du secteur. Dans le cadre d’Écophyto2+, les groupes Écophyto 30 000 et le réseau Dephy contribuent à la capitalisation des bonnes pratiques. Ils permettent entre autres d’alimenter la base ÉcophytoPic. Comme prévu par la SNDB, cette base comprendra bientôt un espace dédié au biocontrôle, avec des témoignages de pairs. Les travaux ont été lancés cette année, sous la coordination des équipes de l’Acta.
Un événement national de promotion du biocontrôle est par ailleurs prévu en 2024, comme inscrit à l’objectif 4 de l’axe 3 de la SNDB.
Référence agro : Pouvez-vous nous détailler ces dispositifs de France 2030 ?
Maud Faipoux : Le Grand Défi Biocontrôle et Biostimulants pour l’agroécologie (GDBB), doté de 42 millions d’euros sur une durée de six ans, aura pour but de transformer et diversifier l’écosystème actuel d’innovation de ces deux secteurs grâce à des partenariats pérennes entre chercheurs, industriels et utilisateurs, en France comme à l’international.
Les Démonstrateurs territoriaux (DT), dont la seconde relève a eu lieu en décembre 2022, s’articuleront avec ce dispositif pour déployer des solutions et des innovations et les insérer dans les chaînes de valeur locales. GDBB et DT contribueront ainsi à enrichir et à documenter les conditions d’efficacité des solutions, selon des logiques durables de prévention et de régulation naturelles, ainsi qu’à accompagner financièrement et techniquement les chercheurs et entreprises innovantes dans ces domaines.
Enfin, le programme « Connaissances actionnables » vise à mettre à disposition des exploitants agricoles des savoirs et solutions innovants, adaptés à leurs besoins et leur facilitant la prise de décision, en capitalisant sur l’expérience de projets européens.
Référence agro : Comment réussir à lever l’aversion au risque, la résistance au changement ?
Maud Faipoux : Agir sur l’aversion au risque et la résistance au changement est possible en intervenant en amont et en favorisant un écosystème dynamique d’innovation, pour rendre disponibles des alternatives fiables et faire la preuve du concept. D’où l’intérêt des « parcelles vitrines » mises en place par Écophyto 30 000, le réseau Dephy ou encore les GIEE.
L’information et l’accompagnement sont également des éléments clés qui sont travaillés, tant au niveau de la formation initiale que continue, avec notamment le conseil stratégique, la mise à disposition de fiches spécifiques au biocontrôle sur ÉcophytoPic ou encore dans le Contrat de solutions. Ces éléments clés seront également pris en compte dans le cadre du pacte et de la loi d’orientation et d’avenir agricoles. Nous voulons nous assurer que les agriculteurs de demain aient connaissance de ces produits et sachent les utiliser. Pourquoi ne pas envisager un diagnostic d’exploitation à l’installation qui prenne en compte ces alternatives aux produits conventionnels ?
Enfin, les connaissances issues de la recherche en sciences humaines et sociales permettent d’appuyer les politiques publiques pour contourner ces résistances.
Référence agro : Les délais de mise en marché des solutions de biocontrôle sont encore longs. Comment les réduire ? Serait-il par exemple envisageable d’obtenir des dérogations provisoires ?
Maud Faipoux : L’accélération des approbations de substances actives de biocontrôle au niveau européen fait régulièrement l’objet de débats et la Commission souhaite travailler à l’amélioration des délais. Des ajustements réglementaires sont entrés en application le 21 novembre 2022 en vue d’adapter les requis relatifs à l’évaluation des substances et des produits de type micro-organismes. L’impact de ces évolutions ne sera toutefois pas immédiat, puisqu’une période de transition est prévue jusqu’en novembre 2024. Cependant, nous avons identifié des pistes d’amélioration que la Commission européenne a accepté d’inclure dans son programme de travail. En particulier, la France a fait une proposition dans l’objectif d’approuver en bloc de nombreux médiateurs chimiques dès lors qu’ils entrent dans la même enveloppe de risques que celle des médiateurs déjà approuvés au niveau communautaire. Si elle aboutit, cette initiative française permettra une mise sur le marché accélérée de nombreuses solutions phytopharmaceutiques naturelles et à risque réduit pour l’environnement et la santé.
Concernant la possibilité d’accorder des autorisations provisoires : elle était prévue jusqu’en 2016 par le règlement (CE) n° 1107/2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, mais cet article est aujourd’hui caduc et n’a pas fait l’objet de demande de réactivation jusqu’à récemment. Aucun débat n’a été engagé sur le sujet au niveau communautaire.
Côté français, lorsque des solutions de biocontrôle efficaces sont disponibles pour couvrir des situations d’impasses, celles-ci font l’objet d’une attention particulière. À ce titre, nous délivrons régulièrement des autorisations temporaires de mise sur le marché pour des solutions naturelles qui ne bénéficient pas encore d’AMM délivrée par l’Anses.
Référence agro : Le règlement (CE) n° 1107/2009, qui date de 2009, n’intègre pas l’évaluation d’une efficacité d’un produit utilisé en combinatoire. Peut-on envisager une telle évaluation, qui permettrait d’autoriser des solutions de biocontrôle à moindre efficacité ?
Maud Faipoux : Les produits de biocontrôle bénéficient déjà de facilitations lors de leur autorisation de mise sur le marché, en particulier pour la démonstration de leur efficacité. En effet, l’Anses a intégré dans son évaluation l’idée que ces produits sont inclus dans des itinéraires techniques de protection intégrée, et que certains ne peuvent présenter qu’une efficacité partielle et limitée lorsqu’ils sont employés seuls.
Il ne serait pas souhaitable que l’Anses restreigne les AMM à des itinéraires techniques qui auraient été précisés par les demandeurs dans leurs dossiers. En effet, si de tels itinéraires étaient inclus dans l’AMM, cela limiterait considérablement sa portée. Aujourd’hui, les AMM sont suffisamment flexibles pour laisser aux industriels et aux instituts techniques la possibilité de définir les itinéraires techniques les plus adaptés. Par ailleurs, toutes les démonstrations d’efficacité peuvent être apportées dans le dossier d’AMM, y compris si elles s’observent en combinaison d’autres méthodes.
Le site du ministère, une mine d’informations
Le site du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire publie régulièrement des articles sur le biocontrôle. Un dossier spécifique a été mis en place à l’automne 2022 pour les réunir. Il comprend divers articles techniques et renvoie notamment vers la page consacrée à la Stratégie nationale de déploiement du biocontrôle et à celle dédiée à l’information réglementaire sur le biocontrôle, où la liste des produits de biocontrôle est mise à jour mensuellement.
Peuvent également être trouvés dans ce dossier :
• la cartographie de tous les dispositifs de financement par bénéficiaires : chercheurs, agriculteurs, entreprises ;
• les mesures relatives au biocontrôle dans les programmes opérationnels révisées pour la nouvelle PAC.
Cet article est extrait de notre Mag biocontrôle 2023, qui décrypte toute l’actualité de ces solutions alternatives et en présente les perspectives.