Écophyto - « Les services de l’État en régions doivent avoir une stratégie prête au 31 octobre », Pierre-Étienne Bisch, coordinateur interministériel du plan Écophyto 2+
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Référence environnement : Où en êtes-vous de votre tournée des Régions dans le cadre de votre mission concernant Écophyto ?
Pierre-Étienne Bisch : Nous avons démarré cette tournée en juillet, avec un rythme de deux déplacements par semaine depuis la rentrée. Il ne reste plus que la Normandie, le Grand-Est et la Corse. Chaque séjour dure un à deux jours avec un programme similaire. Le préfet de Région réunit la Commission régionale de l’économie agricole et du monde rural (Coreamer), instance en charge du plan Écophyto et rassemblant tous les acteurs concernés : administrations intéressées, collectivités territoriales, chambres, coopératives et négoces, syndicats agricoles ou encore associations environnementales et de consommateurs. Nous avons également des visites de terrain, sur exploitation, pour découvrir des pratiques exemplaires. Je prends enfin le temps, en profondeur, d’échanger spécifiquement avec les représentants de la profession.
R.E. : Quel est l’objectif de cette tournée ?
P.-E. B. : La mouture « 2+ » du plan Écophyto a été adoptée en avril. Si Écophyto, dans le cadre du Code rural, doit être présidé par les ministres concernés, je pilote les différentes échéances entre chaque Comité national d’orientation stratégique (CNOS) du plan. Cette tournée vise précisément à s’assurer de la mobilisation du terrain, six mois plus tard : nous ne devons pas perdre de temps. L’objectif pour les Régions est d’avoir une stratégie de déploiement propre, au 31 octobre 2019 au plus tard. Nous rappelons également aux préfets qu’ils sont tenus de mettre en cohérence les dispositifs de financement existants autour de la réduction d’usage des pesticides, qu’ils relèvent des Agences de l’eau, de l’Agence française de la biodiversité ou de mesures portées par les conseils régionaux. Une mission peu évidente quand il s’agit de fonds européens, que les Régions ne peuvent s’approprier que dans une certaine limite. Des guides listant ces dispositifs, destinés aux agriculteurs et par Région, sont attendus.
R.E. : Quel regard portez-vous sur l’avancée du plan à ce jour, sachant que l’objectif est de réduire les usages de pesticides de 25 % à 2025 ?
P.-E. B. : La partie n’est pas gagnée. Les expérimentations menées dans le cadre d’Écophyto sont exemplaires. Les agriculteurs convaincus il y a dix ans se sont vite engagés, la démarche Dephy fonctionne bien. La diffusion des références produites révèle, en revanche, une certaine lenteur. L’essor des « groupes 30 000 », réunissant des agriculteurs censés prendre le relais des réseaux Dephy, n’est pas aussi dynamique qu’attendu. Nous devons encore identifier les causes de cette latence. Je suis, quelque part, peiné, car je sens bien que les agriculteurs y croient ! Mon rôle est de leur rappeler qu’on les soutient. Mais il devient difficile de leur donner plus de temps. Je constate qu’entre 2008 et 2019, nous avons pris un certain retard.
R.E. : Une évolution des objectifs ou des contours du plan est-il envisageable ?
P.-E. B. : Les objectifs demeurent. Nous restons fidèles à la trajectoire fixée. Si nous avons qualifié le plan « 2+ » et pas « 3 », c’est parce que nous sommes toujours convaincus de la philosophie développée, notamment l’idée de passer par des exploitations pionnières pour essaimer les bonnes pratiques. Nous avons enrichi le plan en y ajoutant une trajectoire pour le glyphosate, et intégré le ministère de la Santé à sa gouvernance. L’idée est aussi, désormais, d’insister sur le fait que les pouvoirs publics ne sont pas les seuls à agir : les filières, à travers leurs plans, et l’ensemble des parties prenantes, doivent se mobiliser. Nous devons reconnaître que tout n’a pas parfaitement fonctionné jusqu’à présent, mais il serait irresponsable de jeter le bébé avec l’eau du bain.
R.E. : Comment intégrez-vous votre rôle de président de la task-force « Glyphosate » à cette tournée ?
P.-E. B. : La France, par la voix d’Emmanuel Macron, se veut mobilisée sur la question du glyphosate. Il s’agit d’une thématique qui reste toutefois européenne avant tout. L’échéance, c’est 2022 et la fin de l’autorisation actuelle pour cette molécule au sein de l’UE. Il faut sortir de l’idée d’une « alternative nationale », franco-française. J’interprète l’objectif fixé par le président, à trois ans, comme un cap, un moyen de fédérer et d’être prêt à toute éventualité en 2022, y compris si l’Europe dit stop. C’est aussi l’un des messages que je passe aux chambres lors de cette tournée : leur action doit aller dans ce sens. Miser sur le glyphosate après 2022 serait un pari risqué.
R.E. : Quels sont les retours des acteurs de terrain sur les thématiques que vous abordez avec eux ?
P.-E. B. : Je sens de la mobilisation et de l’inquiétude. Au niveau technique, cette inquiétude est liée à d’éventuelles impasses, notamment sans le glyphosate. Le surcoût des solutions alternatives aux produits phytosanitaires est aussi régulièrement évoqué. La préoccupation la plus prégnante reste l’image de l’agriculture s’appuyant sur les pesticides pour produire. Sur le volet communication auprès du grand public, ma réponse est la suivante : le gouvernement a tendu la main à l’agriculture avec les chartes de riverains départementales, avec la possibilité de faire plusieurs chartes par département. Les agriculteurs ont une possibilité unique de participer à la mise en place d’un cadre. Ces chartes peuvent intégrer cette dimension « communication ». C’est une tâche dont je n’ignore pas la difficulté, mais c’est une occasion à saisir.
R.E. : Quel est l’engagement de la distribution agricole dans la dynamique locale de réduction des usages de pesticides ?
P.-E. B. : Les coopératives et négoces sont très présents dans cette tournée. Leurs représentants sont dans l’action, même s’ils se disent déstabilisés par les évolutions réglementaires en cours. Ils expliquent bien connaître les produits, et être les plus à même de dispenser un conseil pertinent. La nécessité, à leur niveau, est d’avancer, de réinventer un secteur d’activité qui, en effet, est concerné par des réformes de structure.
R.E. : Quel sera votre programme après cette tournée ?
P.-E. B. : Il restera beaucoup à faire ! Même s’il m’est difficile de donner une trajectoire au centimètre près, je resterai dans l’action. Concernant le glyphosate, je continuerai de réunir les équipes des quatre ministères concernés tous les deux mois environ. L’occasion de stimuler les synergies et de faire le point sur ce dossier.
Je ne suis pas missionné pour rédiger un rapport ou un état des lieux. J’ai un rôle d’action, d’animation, qui continue. L’enjeu est important et le temps presse… Un rapport de la Cour des comptes sera bientôt publié au sujet des efforts consentis depuis dix ans pour progresser sur la réduction des usages des pesticides. Je ne peux pas évoquer de chiffre dans le détail, mais depuis 2008, on parle de sommes conséquentes, à dix chiffres, pour un résultat mitigé. Il faut changer de braquet !