Foncier : « Les Safer sont totalement contre la financiarisation des terres » (Emmanuel Hyest)
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Emmanuel Hyest, président de la fédération nationale des Safer, réagit aux critiques qui visent les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, estimant qu’une régulation du foncier est nécessaire pour permettre le renouvellement des générations d’agriculteurs.
Des critiques contradictoires sont formulées à l’encontre des Safer : certains estiment qu’il y a trop de régulation, d’autres trouvent au contraire que les Safer ne sont pas assez puissantes pour réguler le marché du foncier agricole. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de cela ?
La première chose qu’il suffit de regarder est le prix du foncier en France, par rapport à tous les autres pays d’Europe. La régulation fonctionne. Depuis la création des Safer, l’objectif n’est pas d’être dans un marché artificiel, mais nous régulons un marché existant. Nous sommes dans un pays où nous avons la liberté d’entreprendre, avec une régulation. Les Safer s’inscrivent dans ce cadre. Nous permettons au foncier de garder un prix abordable, ce qui est un des derniers atouts compétitifs agricoles en France.
Malgré tout, sur la partie foncière, nous n’intervenons pas sur tous les dossiers, puisqu’il n’y a pas forcément besoin. Il faut rappeler que plus de 60 % des terres sont exploitées par des sociétés. C’est la raison pour laquelle la loi Sempastous a été votée. Si la régulation n’agit que sur le foncier, aujourd’hui, elle n’agit que sur une partie du marché.
Comment évaluez-vous cette loi Sempastous ? Certains la jugent insuffisante…
J’ai du mal à dire que quelque chose est insuffisant quand nous sommes dans la première année et qu’il n’y a pas encore eu d’évaluation. Nous ferons un bilan après deux ans, comme la loi l’a prévu. Aujourd’hui, la loi Sempastous a permis de réorienter du foncier. Les chiffres le montrent. Nous attendons le bilan qui sera fait à la fin de l’année 2025. Et nous en tirerons les premières conclusions. Nous verrons s’il faut un peu plus d’éléments, ou moins. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, elle permet de réorienter un certain nombre de dossiers.
L’agrandissement des exploitations est-il compatible avec les enjeux et les objectifs que se donne le monde agricole ? Cet agrandissement doit-il être davantage régulé pour permettre de conserver un modèle agricole familial ?
À un moment donné, il faut des cohérences dans les politiques. On ne peut pas unanimement, c’est-à-dire les élus politiques au niveau national, régional, départemental, local, les agriculteurs et l’ensemble des organisations, dire que nous avons un défi à relever, celui d’installer des jeunes agriculteurs pour renouveler les générations, et en même temps, dire qu’il ne faut pas de régulation. Cela s’appelle de l’hypocrisie. On voit que la production française décroche globalement. Les chiffres d’Inrae sont parlants : moins il y a d’agriculteurs et plus la production agricole décline. Si nous voulons installer des jeunes, il faut une régulation qui permette d’orienter les terres vers les jeunes, sinon cela n’arrivera pas.
Il y a des changements de modèles d’exploitation dans la demande des jeunes agriculteurs qui veulent s’installer aujourd’hui. Les exploitations qui continuent de s’agrandir ne sont pas forcément le type d’exploitation que les jeunes souhaitent reprendre. Là aussi, il y a donc un vrai dilemme à mettre en place. Est-il logique de créer des structures qui ne correspondent pas à l’attente des jeunes ? C’est une réalité que nous voyons au quotidien.
Un dernier point me semble important. Malheureusement, nous voyons qu’à chaque fois que les exploitations s’agrandissent, le revenu hectare baisse. Finalement, nous sommes dans une course à l’échalote, où l’agriculteur ne gagne jamais. À chaque fois qu’il y a des gains de productivité, ils échappent à l’agriculteur.
Quels sont les leviers dont disposent les Safer pour permettre de devenir propriétaire ou d’accéder à la terre ? Le fermage généralisé est-il envisageable ?
Le fermage reste le modèle d’agriculture très largement prioritaire en France. On est autour de 70 % des terres exploitées en fermage. Il n’y a pas de différence entre un agriculteur individuel ou un agriculteur qui exploite en société. Il y a le même taux de fermage, soit direct, soit indirect. Quand je parle de fermage, dans une société, cela peut être l’agriculteur associé qui est fermier et qui met à disposition les terres dont il est locataire, mais c’est le même principe. Il faut accompagner les propriétaires bailleurs, ce que font d’ailleurs très régulièrement les Safer. À chaque comité technique, nous attribuons des terres à des bailleurs, notamment dans le nord de la France. Ceux-ci s’engagent à louer à un exploitant proposé par la Safer. Il faut mieux accompagner les propriétaires, pour qu’eux aussi soient enclins à conserver leur foncier et à le transmettre familialement pour que les agriculteurs n’aient pas l’obligation d’acheter leur foncier.
Depuis une dizaine d’années, il n’y a pas d’augmentation des ventes des propriétaires. Il faut donc améliorer les choses. Malgré tout, il est important de proposer des améliorations fiscales pour les accompagner ou pour faciliter les transmissions, par exemple en ne faisant plus peser l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) sur le foncier agricole. Il n’est pas logique qu’un propriétaire qui met à bail des terres doive payer l’IFI, alors que dans le même temps, on a exempté d’impôt sur la fortune ceux qui détiennent des actions d’une société.
Le foncier agricole est un actif au service de l’économie agricole. Nous pourrions imaginer cette exemption. Nous proposons également une exemption sur le revenu foncier des terres qui seraient mises à bail. C’est-à-dire que le propriétaire qui fait un bail de neuf ans minimum pour un jeune agriculteur serait exonéré d’impôts sur le revenu foncier.
L’intervention de l’État dans l’attribution des terres ne présente-t-il pas un risque pour les futures orientations de l’agriculture ?
L’État n’intervient pas dans le processus d’attribution. Il intervient dans le contrôle, puisque nous sommes sous sa tutelle. L’État s’assure de la conformité légale du processus d’attribution, et qu’il est bien en phase avec les objectifs fixés. Il y a une voie qui est donnée à l’État, au même titre que d’autres dans le comité technique. Mais c’est bien le comité technique et le conseil d’administration qui, en fonction de notre PPAS (programme pluriannuel d’activités de la Safer), donnent les orientations.
Selon le député Dominique Potier, le droit de préemption, dont disposent les Safer, est aujourd’hui fragilisé, car il est en proie à des détournements sociétaires. Observez-vous cela aussi du côté des Safer ?
C’est justement la raison pour laquelle il fallait que la loi Sempastous s’applique. Il y avait effectivement un vrai risque de détournement puisqu’il y a des terres exploitées en société et nous n’avons pas de droit de préemption sur les sociétés. Il fallait que nous trouvions le moyen d’intervention. Aujourd’hui, nous considérons que nous avons globalement les moyens d’intervention pour faire notre mission. Notre droit de préemption est actuellement efficient. Ceux qui considèrent qu’il ne marche pas n’ont qu’à le demander à ceux qui sont préemptés. Nous préemptons peu finalement, 1 % des déclarations d’intention d’aliénés que nous recevons. Cela représente 10 % de l’activité des Safer. C’est important, mais cela reste quand même très limité.
Nous intervenons en fonction des besoins. Nous considérons qu’aujourd’hui, le prix du foncier est encadré. Le but n’est pas d’intervenir et d’empêcher le marché. Il y a beaucoup de cas dans lesquels on nous demande de préempter, alors qu’il n’y a aucune raison de le faire. Il peut y avoir des choses à modifier, sur les droits de préemption partiels par exemple, mais cela reste très technique. Globalement, le droit de préemption fonctionne. Aujourd’hui, il est surtout nécessaire de pouvoir agir sur les sociétés.
L’article 12 du PJLOA, dont l’examen est suspendu, prévoyait l’introduction de sociétés privés dans le foncier agricole. Il a été supprimé, mais sa proposition souligne toutefois la volonté du Gouvernement. Comment se positionnent les Safer face à cette financiarisation ?
Les Safer sont opposées à la financiarisation du foncier agricole. Quel est l’enjeu de financiariser le foncier ? Est-ce que, parce qu’il y a des SCPI (société civile de placement immobilier) dans l’immobilier, il n’y a pas de crise immobilière ? Je ne crois pas. Aujourd’hui, le marché du foncier n’augmente pas en termes de volume. Il faut accompagner ce qui existe. Nous sommes tout à fait opposés à ce modèle. Nous préférons mettre en avant des propriétaires fonciers qui sont des personnes physiques, qui sont sur les territoires, qui ont une relation directe avec leurs fermiers.
La financiarisation entraînerait des relations totalement différentes. Le fermier ne pourra plus jamais acheter, dans un système comme celui-là, puisqu’on ne vendrait plus de foncier mais des parts. On voit ce qu’il se passe dans la forêt aujourd’hui. Il y a une très forte augmentation du prix de la forêt décorrélé du prix économique du bois. Si une financiarisation du foncier agricole avait dû s’appliquer, on devrait changer de modèle agricole. Aujourd’hui, c’est un modèle dans lequel le propriétaire est sur les territoires. Quand il touche son fermage, il l’utilise pour vivre, il l’utilise sur son territoire. C’est un modèle que les Safer tentent de conserver.