France 2030 : « Un effort de vigilance nous a été demandé sur la qualité des projets », Bruno Bonnell
Le | Politique
Bruno Bonnell évoque pour Référence Agro les projets financés par France 2030 depuis trois ans sur le volet agricole. Il aborde notamment l’appel à manifestation d’intérêt PRAAM, en faveur des alternatives phytopharmaceutiques, dont le dispositif sera clôturé le 29 novembre 2024.
Cela fait trois ans maintenant que vous pilotez le plan France 2030. Quel bilan faites-vous et qu’en est-il pour les filières agricoles et agroalimentaires en matière de fonds engagés et de projets accompagnés ?
Dès le départ, le plan France 2030 a été pensé d’une façon holistique, notamment avec des piliers importants que sont la décarbonation de l’industrie, et de l’agriculture. Dans les objectifs principaux de France 2030, il y avait notamment celui de stimuler la bioproduction, en s’intéressant au biocontrôle, au biostimulant. La France de demain ne se construit pas en silos. Ce n’est pas l’industrie d’un côté, l’agriculture de l’autre, l’éducation en troisième. C’est vraiment un travail collectif qui commence par la recherche fondamentale pour aller jusqu’à l’industrialisation et en passant par toutes les étapes intermédiaires que sont la recherche appliquée, la formation qui est un élément essentiel pour comprendre ces enjeux de demain, et puis après l’industrialisation.
La prochaine révolution est la révolution bio-industrielle. Mais pas bio au sens de l’agriculture biologique, mais bio au sens d’utiliser le vivant pour faire du vivant, pour produire et avoir des éléments (aliment, énergie, biomatériaux, textile, cosmétiques, etc…) qui finalement, sur le plan énergétique (et en matière de bilan carbone) seront beaucoup plus performants que ce que l’on connaît aujourd’hui. Au niveau des chiffres, nous avons 1,8 Md€ à déployer sur l’agriculture et l’alimentation, sachant que nous avons engagé aujourd’hui 1,2 Md€. Nous parlons ici d’agriculture et d’alimentation. Cela comprend des projets qui permettent de monter en compétence sur de la robotique, du numérique, pour à la fois améliorer la compétitivité des filières agricoles, mais aussi pouvoir diminuer l’usage des produits phytosanitaires.
Nous soutenons des projets de recherche sur les bio-intrants, les alternatives aux produits phytosanitaires, mais aussi aux intrants de synthèse. Nous allons aussi accompagner des projets prioritaires de recherche sur la sélection variétale et nous irons jusqu’au déploiement de ces solutions chez les agriculteurs.
Mais au-delà de ces masses-là, il y a des effets de levier entre les différents volets du plan. Par exemple sur le volet des Compétences et métiers d’avenir, qui n’est pas spécifiquement dans le budget agriculture et agroalimentaire, nous avons aujourd’hui financé 12 dispositifs de formation spécifiquement à l’agriculture, de la fermentation au soutien à l’élevage, etc. Et cela doit représenter environ une vingtaine de millions d’euros.
Combien de projets ont été soutenus avec l’enveloppe de 1,2 Md€ ?
Cela correspond à plus de 400 lauréats. Pour vous donner plus de détail, c’est 30 % de start-up, 11 % de PME et d’ETI, 17 % de grandes entreprises, 11 % de laboratoires et instituts techniques, et le reste, ce sont des associations, des collectivités, etc. Si nous considérons les Programmes de recherche (PEPR) sur la sélection variétale, c’est 30 millions d’euros, par exemple. Au global, France 2030 accompagne la recherche et le déploiement des alternatives aux produits phytosanitaires en investissant plus de 200 millions d’euros.
Il y a plusieurs mois, nous avons annoncé un fonds de 395 M€ baptisé « Entrepreneurs du vivant ». La moitié sera dédiée au portage du foncier agricole pour que de jeunes agriculteurs puissent s’installer, mais avec de nouvelles méthodes, sur d’anciennes exploitations, et l’autre moitié permettra de soutenir en fonds propres les industries qui font la révolution agricole.
Nous avons également lancé l’appel à manifestation d’intérêt« PRAAM » (Prise de risque Amont Aval pour la massification de l’utilisation des alternatives phytopharmaceutiques). De nombreuses solutions existent sur le marché, mais au niveau du déploiement, il est difficile de toucher au-delà des agriculteurs pionniers au sein des coopératives. Nous avons décidé de monter ce programme pour accompagner le déploiement et le test sur le terrain de combinatoires qui existent déjà, pour limiter l’usage des phytosanitaires. Nous sommes très conscients qu’un phytosanitaire ne sera pas remplacé par un biocontrôle, c’est beaucoup plus compliqué que cela.
Nous voulons donc accompagner les agriculteurs dans cette prise de risques. Ce dispositif sera clôturé le 29 novembre et nous espérons pouvoir lancer l’appel à projets d’un montant de 90 millions d’euros pour le salon international de l’agriculture l’année prochaine. Nous avonsdéjà pas mal de coopératives qui comptent répondre à cet appel à manifestation d’intérêt. Les agriculteurs ont besoin d’accompagnements pour massifier ces changements. Il faut donc trouver les modèles qui vont leur permettre d’accélérer. Et le modèle, la maille que nous avons choisie, c’est la coopérative ou équivalent. Nous travaillons en proche collaboration avec les coopératives pour avoir un effet de masse, donc « dérisquer » à plus grande échelle.
Savez-vous potentiellement combien de coopératives pourraient répondre à ce dispositif et déposer un dossier ?
Nous avons fait connaître le projet à travers des webinaires, avec autour de la table une trentaine de coopératives agricoles. Nous avons au moins des marques d’intérêts d’une quinzaine de coopératives, plus ou moins grandes. Je n’ai pas dit que nous aurions toutes les grandes malheureusement du premier coup, mais nous travaillons avec elles afin de voir si elles peuvent porter ce projet. Un certain nombre de coopératives ont déjà répondu à des appels à projets de France 2030 comme Vivescia sur la partie résilience et capacité agroalimentaire, à travers un projet sur le carbone des sols, donc pour elle, ce sera peut-être un peu tôt pour reproposer un projet.
Quels constats faites-vous sur l’innovation dans le monde agricole ?
Le monde agricole n’a pas du tout un problème de résistance au changement, mais un problème d’objectif de risque. Un agriculteur a 40 chances dans sa vie de faire une récolte. Il dit « si j’en rate une c’est assez dramatique », alors qu’il est possible d’avoir plusieurs cycles de production industrielle dans une année. Les accompagner dans ce risque est assez essentiel. Surtout que les agriculteurs sont assez volontaires s’ils sont accompagnés, c’est toute l’idée et l’originalité de l’idée du dispositif PRAAM.
Contrairement à l’agri-bashing ambiant, nous trouvons qu’il y a une conscience de l’écologie sur le terrain, une attention portée au sol agricole, une préoccupation sur les sujets de l’eau. En revanche, nous avons des problématiques sur les volumétries. Quand on concentre trop de vivants au même endroit, cela pose problème. Des usines utilisent des méthodes où il y a moins d’insectes au mètre cube, et ils ont des résultats qui sont, en tout cas pour le moment, plus satisfaisants. Le monde agricole n’est pas figé dans le temps, bien au contraire. En revanche, il y a un problème clair, c’est l’économie. Ils n’ont pas les moyens. C’est pour cela que nous faisons des efforts sur les subventions, sur les avances remboursables, sur les fonds propres, parce qu’ils n’ont juste pas les moyens de faire les investissements nécessaires aujourd’hui, compte tenu de la concurrence d’ailleurs déloyale d’un certain nombre de pays.
Justement, en matière de moyens, France 2030 garde-t-il le budget qui lui est alloué ?
Dans le contexte budgétaire global, le Premier ministre a été très clair, on ne sacrifie pas l’avenir au présent, donc nous investissons sur les 10 ans qui viennent. Notre budget de 54 Md€ n’a pas été touché. Un effort de vigilance nous a en revanche été demandé sur la qualité des projets ; nous cherchons vraiment l’excellence.
Les différents jalons contractuels passés avec les bénéficiaires doivent être tenus pour pouvoir débloquer les crédits de l’État au bon moment des projets, ni en avance ni en retard, au risque de mettre en péril les projets. Le contrôle va être plus rigoureux pour pouvoir lisser plus intelligemment nos moyens même si nous avons évidemment confiance dans les bénéficiaires sélectionnés.
« Un contrôle plus rigoureux » ? Ne l’était-il pas assez jusqu’à présent ?
Quand nous rentrons dans la notion d’excellence et que nous sommes dans des projets de rupture technologique, il peut parfois y avoir des dépassements de délais. Ce n’est pas très grave. Là, nous allons vraiment demander des justifications complémentaires pour expliquer pourquoi il peut y avoir des dérapages de projets. Certains peuvent être objectifs, certains peuvent être totalement déraisonnables, auquel cas, oui, nous serons encore plus exigeants et rigoureux. Mais ça, c’est le cas de tout contrôle d’organisation qui met des jalons. Nous passons un contrat avec les bénéficiaires. Mais, nous nous donnons le droit d’aller jusqu’à arrêter un projet si nous voyons que ce dernier n’aboutit pas ou qu’il n’a pas de chance d’aboutir. Nous allons regarder, nous allons analyser encore plus profondément ce type de données pour savoir si nous ne pouvons pas réallouer de l’argent pour d’autres si nécessaire.
À quoi vont servir les 600 M€ qui restent pour le budget agriculture ? Ce budget vous semble-t-il trop important ? Cherchez-vous à motiver le monde agricole à s’emparer des dispositifs ?
Au lancement, tout le monde disait que le budget était énorme. Aujourd’hui, au regard des défis de transformation que nous avons devant nous, réparti sur tous les sujets qui nous intéressent, il était à la bonne dimension entre 2021 et 2027. Est-ce qu’il y en aura un autre ? Je ne sais pas vous le dire aujourd’hui. Mario Draghi a rappelé qu’il faut continuer à investir dans l’innovation. À date, nous avons assez d’argent pour les projets qui nous sont proposés. Maintenant, si nous voulons prolonger l’effort sur 2040-2050, il y aura certainement des débats. Mais en ce moment, dans le contexte budgétaire actuel, il serait malvenu de commencer à parler de budget complémentaire.
Mon regret, mon regret majeur, est que l’argent de l’État ne soit pas accompagné par l’argent privé. C’est quand même assez scandaleux. Nous avons un effort considérable de l’État sur toutes ces nouvelles technologies, y compris en agriculture, et nous nous apercevons que sur le plan privé, cela traîne beaucoup des pieds. Pour tout investissement, nous subventionnions ou nous donnons des avantages de l’ordre de 25 à 35 %. C’est-à-dire qu’immédiatement, si vous faites un investissement dans le domaine agricole par exemple, vous avez la possibilité, s’il est d’excellence, d’avoir une subvention qui vous accompagne pour quasiment un quart voire un tiers de votre investissement. C’est considérable dans le monde actuel. Et là nous peinons, et pas uniquement que dans le monde agricole, nous peinons d’une façon générale sur France 2030 sur l’accompagnement de l’argent privé. Et cela ne va pas s’arranger avec les différentes annonces récentes.
Un défi pour l’avenir ?
Regardez dans le monde. Certains pays n’ont jamais cessé d’avoir de l’argent privé pour accompagner l’argent public, les États-Unis par exemple. L’État a fait sa part, il est temps que le privé fasse la sienne. Cela ne nous empêchera pas de compenser comme nous le faisons aujourd’hui. Quand nous montons un fonds « Entrepreneurs du vivant » avec 395 M€, nous voulons vraiment montrer que nous croyons à l’agriculture de demain et ça serait bien d’être accompagné.