« L’application d’Egalim 2 est source de tensions », Thierry Dahan, médiateur des négociations commerciales agricoles
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Thierry Dahan a été nommé médiateur des négociations commerciales agricoles en décembre 2021 au moment de l’entrée en vigueur de la loi Egalim 2 et au début de la crise ukrainienne. En 2022, il a réalisé 192 médiations, 114 en 2023 et déjà 70 dossiers, en 2024 Thierry Dahan, également magistrat à la Cour des comptes, répond aux questions de Référence agro, à la suite de la publication du bilan 2024 des négociations commerciales.
Référence agro : Quelle nouveauté a apporté Egalim 2 en 2021 pour les négociations commerciales ?
Thierry Dahan : La loi du 30 octobre 2021, dite Egalim 2, a rendu obligatoire la prise en compte de la matière première agricole dans les contrats avec la grande distribution ou, comme on dit dans le jargon, a sanctuarisé la MPA. Cela a bouleversé les négociations commerciales sur les produits alimentaires de grande consommation alors que s’ouvrait une période d’inflation des produits agricoles mais aussi de l’énergie.
Dans le projet de loi initial, il n’y avait qu’une seule manière de prendre en compte le poids des intrants agricoles qui était d’en donner le détail pour chaque produit. Il y avait deux options : soit de donner le détail matière par matière, beurre, lait, farine, viande, huile, etc…, c’est l’option 1, soit de donner la moyenne de toutes les matières, c’est l’option 2. Si vous êtes un petit industriel de l’agroalimentaire et que vous avez peu de références, c’est jouable. Si vous êtes un groupe mondial avec des centaines de références et que vous négociez une hausse ou une baisse de prix par famille de produits, par exemple tous les yaourts ou tous les biscuits de votre marque, c’est très contraignant de faire du ligne à ligne.
Beaucoup d’industriels, notamment les plus grands, ont refusé de donner le détail des coûts de fabrication de tous leurs produits à leurs acheteurs, qui sont aussi leurs concurrents lorsqu’ils ont leur propre marque de distributeur. Ils ont obtenu l’ajout de l’option 3 moins transparente que les deux autres et qui permet au vendeur de se limiter à annoncer une hausse certifiée. Par exemple, je vous demande une hausse de 5 % dont 3 % de hausse de la matière agricole, part qui est non négociable. Un commissaire aux comptes vérifiera dans mes dossiers que c’est bien 3 %. Cette option pose un problème parce qu’il y a plusieurs façons de l’appliquer et que les distributeurs n’ont pas confiance dans la certification. C’est le nœud des critiques du système des options depuis 2022.
R.A. : Dans votre bilan, vous ne recommandez plus de modifier ni de fusionner ces trois options.
T.D. : L’application de la loi est source de tensions car elle rend obligatoire quelque chose qui est difficile à vérifier. La grande distribution souhaite la suppression pure et simple de l’option 3. J’ai moi-même envisagé une amélioration de l’option 3, voire sa fusion avec l’option 2 pour en faire une option 3 bis. Finalement, je crois qu’il faut renoncer à modifier les options, d’autant que l’option 2 convient à ceux, de plus en plus nombreux, qui l’appliquent.
Je suis désormais favorable à une solution qui vise à arrêter de négocier sur des pourcentages de hausse ou de baisse sans jamais parler de prix au litre ou au kilo. Il faut dire clairement : voilà le prix de départ de telle ou telle MPA l’année dernière et voilà son prix d’arrivée cette année. Pour cela, il suffit de prendre la moyenne d’un indicateur public sur une période donnée et de s’y tenir.
Si vous faites des pâtes, il faut acheter du blé dur. Il y a des cours du blé dur. C’est une information publique. Par exemple, le blé dur coûtait 300 euros la tonne en moyenne au troisième trimestre 2023, il coûte 315 euros la tonne au troisième trimestre 2024, soit 5 % d’augmentation, point final, fin de la discussion. Il suffit alors d’appliquer cette variation de MPA au paquet de pâtes, ce qui n’est pas le plus difficile. Cette méthode a le gros avantage d’être totalement transparente pour l’acheteur qui a accès aux mêmes indicateurs publics. Inutile de s’encombrer avec des factures et des certifications, des prix normatifs suffisent.
R.A. : Comment être sûr que la méthode de calcul des prix normatifs des produits ne s’éloigne pas des coûts réels d’approvisionnement ?
T.D. : Il faut se débarrasser de la superstition de l’exactitude parfaite des coûts puisque les contrats sont annuels et qu’il ne s’agit pas d’ajuster tous les mois les prix des produits en fonction des variations mensuelles des prix agricoles. On ne fait pas de l’indexation, on fait de la mise à jour des contrats. On a signé un contrat au mois de février de l’année N et on en signera un autre douze mois après, en février N+1. Entre les deux, on aura éventuellement recalé le tarif en juillet ou septembre en déclenchant une clause de révision automatique qui est d’ailleurs obligatoire dans les contrats sous Egalim.
Les prix de contrat dont on parle sont donc forcément des estimations des coûts puisque, sur six ou douze mois, ces coûts ont pu bouger et qu’on les a mis à jour au mieux une seule fois dans l’année. Vous ne vendez pas des yaourts ou du beurre comme vous vendez de l’essence à la pompe. Vous n’avez pas à changer les prix de gros toutes les semaines ou tous les mois. Vos prix sont basés sur une estimation des coûts sur l’année.
Dans ces conditions, il vaut mieux prendre des indicateurs publics qui donnent une estimation vraisemblable des prix d’achat, plutôt que de vouloir lever des secrets commerciaux protégés par la loi et vérifier les prix d’achat d’une entreprise que, de toute façon, on ne peut pas connaitre précisément à l’avance sur une année.
R.A. : Egalim 2 instaure la logique de construction du prix des produits alimentaires « en marche avant », c’est-à-dire à partir des coûts de production des agriculteurs. Est-il possible de légiférer sur un mode de calcul de ces coûts de production ?
T.D. : La partie Egalim consacrée à l’amont demande que le prix de première mise sur le marché doit tenir compte des coûts de production, mais elle ne s’applique pas encore à toutes les filières alimentaires.
Si vous allez dans un supermarché au rayon alimentaire, il y a une majorité des produits sur lesquels Egalim ne s’applique pas. Sur tout le rayon fruits et légumes frais, cela ne s’applique pas, parce que les contrats sont plus difficiles à écrire et parce qu’on est dans une logique de récolte qui rend disponibles des volumes de produits périssables.
En ce moment, il y a des fraises. Elles ont certes un coût de production, mais il n’est pas contractuel et il faut bien écouler les fraises quand elles sont ramassées. Les coûts de production sont ici secondaires par rapport aux mécanismes de saisonnalité de l’offre et de la demande.