Les chambres d’agriculture ouvrent à la critique leur plan stratégique
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« Je n’ai jamais vu un travail de si grande ampleur pour réconcilier agriculture et société », s’est félicité Claude Cochonneau, président du réseau des chambres d’agriculture (APCA). Il s’exprimait sur le projet stratégique de l’APCA pour 2019-2024, lors d’un débat organisé à l’issue de son assemblée générale, le 26 septembre à Paris. La structure avait invité des personnalités extérieures pour porter un regard critique sur ce projet et ses trois axes : accompagner l’agriculture vers la transition ; créer davantage de valeur dans les territoires ; faire dialoguer agriculture et société.
Mieux utiliser la recherche dans le conseil et la formation
Pour le premier point, Philippe Noyau, président de la Chambre d’agriculture du Centre-Val de Loire, a rappelé qu’un quart des agriculteurs vont céder leur exploitation dans les six années à venir. « L’enjeu est donc d’accompagner les nouveaux en leur assurant une assise stable », a-t-il expliqué. Pour cela, les chambres entendent développer un conseil stratégique, mettre en place des groupes sur des pratiques innovantes, déposer 30 projets innovants par an. Philippe Mauguin, directeur de l’Inra, estime que le lien entre la recherche, le conseil et la formation n’est pas assez fort dans le projet. « Il faut que vous soyez plus explicites sur ce point, a-t-il insisté. Les agriculteurs sont peu formés par rapport à la moyenne des salariés. Or, vous assurez 40 % des formations : vous devriez renforcer ce rôle. »
Autre critique : celle de Bernard Chevassus-au-Louis, président d’Humanité et Biodiversité. « Les agriculteurs doivent être plus actifs dans la préservation de la biodiversité, assure-t-il. Vous êtes en retard par rapport à d’autres secteurs. » Et d’ajouter qu’il faut rompre avec le modèle de l’agriculteur simplement consommateur de technologie, et essayer de l’impliquer davantage dans le processus d’innovation.
Pour accompagner l’exploitant dans ces transitions, les chambres ont besoin de moyens. Or, le projet de loi finances de 2020 prévoit de baisser de 45 millions d’euros les recettes fiscales du réseau. « Il est hors de question d’accepter cela, a martelé Jean Baptiste Moreau, député de la Creuse LaREM. J’ai réuni une centaine de députés pour défendre cette posture. »
L’alimentation, au cœur des projets de territoire
Les chambres entendent également accroître la création de valeur dans les territoires. Comment ? En accompagnant 200 projets de filière par an, 50 % des agriculteurs en bio, 15 000 agriculteurs à travers le réseau Bienvenue à la ferme, ou encore dix projets d’agriculture urbaine et en proposant aux intercommunalité l’offre de service Terralto.
Les intervenants, eux, ont insisté sur la question du foncier. « Nous devons accueillir beaucoup de personnes sur les territoires en respectant l’objectif d’aucune artificialisation nette, a expliqué Corinne Casanova, vice-présidente des intercommunalités de France, ADCF. Il va donc falloir que nous nous parlions, trouver les bons chemins pour dialoguer et ne pas nous retrouver uniquement lorsqu’il y a un conflit. » Les projets alimentaires territoriaux sont perçus comme une fenêtre de dialogue privilégiée avec les agriculteurs. Gilles Darde, directeur développement collectivités et territoires du groupe de restauration collective Elior espère que les chambres joueront un rôle de facilitateur entre des acteurs qui se connaissent peu.
Mais pour les agriculteurs, la crainte se situe au niveau des prix, très serrés en restauration collective. « Nous ne pourrons pas faire avec des bas prix, cette pression n’est pas acceptable », a interpellé un auditeur. Ce à quoi Gilles Dardes explique avoir peu de réponses, hormis jouer sur la limitation du gaspillage alimentaire. « C’est le meilleur levier pour nous pour trouver des marges de manœuvre financière », reconnaît-il.
« Connaissez-vous bien les consommateurs ? »
Enfin, le nouveau programme de l’APCA entend renouer le dialogue avec la société, en dépassant les clivages. Les chambres ont décidé de former les élus, salariés et agriculteurs à la communication vis-à-vis d’un public non agricole. Est-ce que cela sera suffisant ? Les agriculteurs n’ont de toute façon plus le choix, estime Hervé Le Bras, sociologue : « D’un côté, le nombre d’agriculteurs diminue et de l’autre, la population augmente, sur les mêmes territoires. » Robert Mondot administrateur à UFC Que-Choisir reconnaît que les relations ne sont pas au beau fixe entre les deux mondes : « Le consommateur citoyen voit des nuisances dans les agriculteurs. S’il achète bio, ce n’est pas pour les pratiques agricoles mais pour sa santé. » Il n’a pas hésité à interpellé l’auditoire sur leur rôle dans cette situation. « Vous avez appris à bien parler aux élus, mais pas aux citoyens, lâche-t-il. Et puis, vous estimez que les consommateurs ne connaissent pas les agriculteurs, mais connaissez-vous bien les consommateurs ? Lesquels seraient conquis par les discours des ONG. C’est en réalité plus compliqué que cela… »
De manière plus positive, la LPO a expliqué que des projets se montaient dans les territoires avec les agriculteurs en bonne intelligence afin de mettre en place dans les parcelles les aménagements favorables à l’accueil de la biodiversité. Mais Anne-Claire Vial, du réseau Sol et Civilisation, a mis en garde : si rien n’est fait, le risque est grand d’une rupture complète de dialogue entre agriculture et citoyens.