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Les externalités positives de l’élevage soulignées par le CGAAER

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Pour dépasser ces remises en question « souvent simplistes ou même caricaturales », le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) publie le 12 juillet 2024 un rapport, intitulé « Alimentation et élevages : externalités positives », sur la nature stratégique de l’élevage.

Crédit photo : Chambre agriculture de Normandie - © D.R.
Crédit photo : Chambre agriculture de Normandie - © D.R.

« Depuis plusieurs millénaires, nous avons tissé avec les animaux domestiques des liens de dépendance mutuelle qui ont structuré nos sociétés et nos paysages. Ce lien tend toutefois à se distendre et l’on voit fleurir aujourd’hui les opinions prétendant que l’élevage serait responsable, ou en partie responsable, de multiples désordres climatiques, environnementaux ou de santé publique ». Pour dépasser ces remises en question « souvent simplistes ou même caricaturales », le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) publie le 12 juillet 2024 un rapport, intitulé « Alimentation et élevages : externalités positives », sur la nature stratégique de l’élevage.

« Il est structuré dans cet objectif en deux parties, la première étudiant les différents sujets liés à l’élevage, la seconde abordant, au travers de deux grandes controverses, la problématique des discours actuellement portés et proposant une synthèse susceptible de rapprocher les points de vue, voire de réconcilier les parties », indiquent Dominique Chabanet et Charles Pujos, les auteurs de l’étude.

Celle-ci démontre que le discours incriminant l’impact de l’élevage sur le réchauffement atmosphérique « ne doit pas ignorer la différence fondamentale entre le méthane biogène émis par les ruminants et le méthane additionnel résultant de la consommation de stocks fossiles ». Un second débat, portant sur la nocivité supposée de la viande pour la santé humaine, est tranché par les études scientifiques qui « montrent que ce problème n’est pas dû à une surconsommation de protéines animales mais plutôt à une insuffisance de fibres végétales », selon les deux inspecteurs généraux.

L’étude du CGAAER émet cinq propositions :

  • Pour faire évoluer les comportements alimentaires, porter un discours de complémentarité et de diversité des sources alimentaires.

« Parmi les minéraux, une mention particulière doit être faite pour le fer et le zinc. Le fer se retrouve en effet dans de nombreux aliments mais souvent sous une forme qui le rend non assimilable, alors que le fer héminique, contenu dans la viande, n’a pas cet inconvénient : ce point est en particulier important pour toutes les personnes potentiellement carencées en fer (notamment les femmes non ménopausées). Le zinc, impliqué pour sa part dans de nombreux processus biologiques, notamment la croissance, la reproduction, le système immunitaire, la cicatrisation des plaies et le métabolisme, doit aussi être présent sous forme assimilable ce qui est le cas avec les produits animaux alors que les végétaux peuvent contenir des phytates qui contrecarrent cette absorption.

La diversité des apports est la base de toute alimentation saine et omnivore et permet de trouver en quantité suffisante tous les micronutriments dont nous avons besoin. Elle se double, en France particulièrement, d’une diversité dans notre capacité culturelle à préparer de manières différentes les aliments : pour les produits laitiers grâce à plus de 1 200 variétés répertoriées et classées en fromages à pâte fraîche, molle à croûte fleurie, molle à croûte lavée, pressée non cuite, pressée cuite, pâte persillée, beurre, crèmes fraîches, crèmes lactées.

Dans le cas des viandes, cette même diversité est liée à celle des espèces productrices (bœuf, veau, mouton, agneau, chèvre, porc, gibiers divers, volailles), à leur âge (veau, bœuf, agneau, mouton, chevreau, chèvre etc.), aux pièces qu’on en tire (tranches à griller, pièces à braiser, à rôtir, à bouillir, abats) et à la manière de les préparer : à griller, à braiser, à la vapeur, à poêler, à frire, en ragoût, à rôtir, à sauter, à pocher. La dimension gustative (et culturelle) de l’attachement aux goûts particuliers des produits animaux demeure fondamentale et explique pour partie la difficulté de développement de leurs succédanés végétaux, souvent hyper transformés, alors que les produits animaux naturels doivent par ailleurs s’adapter à l’époque et à un temps dévolu à la préparation du repas de plus en plus réduit. »

  • Réaliser une expertise pluridisciplinaire, pour tester les conséquences pratiques de l’augmentation des surfaces en bio, selon diverses hypothèses, et pour évaluer les possibilités réelles d’y répondre dans un contexte de déclin de l’élevage.

« L’arrivée de la méthanisation, dont la vocation est de valoriser le carbone en énergie, est un élément supplémentaire de complexité si l’on veut atteindre un bon équilibre entre le carbone source d’énergie et le carbone retournant au sol ; elle permet par ailleurs de récupérer un azote disponible, sous forme d’ammonium, mais le marché des engrais ne paie pas ni ne reconnaît à ce jour les services et co-bénéfices particuliers liés à ces apports (amélioration de la structure du sol et de l’enracinement, meilleure rétention d’eau, limitation des transferts de pollution par lessivage).

L’élevage nécessite des bâtiments (abri des animaux, stockage de fourrages et de matériels), pour une surface moyenne d’environ 1 349 m² pour les élevages bovins, qui peuvent être équipés de panneaux photovoltaïques. En prenant un rendement dans la fourchette basse de 250 kWh par an, la couverture de la moitié des toitures d’un élevage moyen produirait 166 250 kWh. La consommation moyenne par habitant étant en France de 2 220 kWh, on voit donc qu’un élevage peut produire la consommation de 75 personnes, voire 150 si la totalité des toitures peut être exploitée.

Certains biocarburants utilisent des graisses animales en plus des huiles végétales. Ces graisses viennent alors de sous-produits alimentaires (qu’il vaudrait mieux dédier à l’alimentation animale) et d’équarrissage. La Cooperl estime ainsi que 8200 porcs contiennent le carburant d’un aller-retour Paris - New-York, ce qui laisse présager le développement futur de cette valorisation. »

  • Faire évoluer les systèmes de mesure des empreintes carbone au niveau national pour une prise en compte au fil de l’eau des progrès du terrain (via CAP’2ER) et pour leur connexion avec le niveau international (GFLI).

« Les modèles utilisés en France pour en rendre compte sont basés sur des abaques figés qui traduisent une réalité nationale ou mondiale à un moment donné mais qui ne sont pas remises à jour au fil de l’eau. Il en est ainsi de la base Agribalyse, dans sa version simplifiée pour le grand public, ou encore des comptabilités annuelles du Citepa. En effet, ils s’ajustent aux évolutions de pratiques au bout de plusieurs années, après réanalyse et actualisation complètes. Leur conception même a donc pour conséquence qu’ils ne constituent pas encore un instrument éventuel et opérationnel de progrès.

À l’inverse, un outil comme CAP’2ER, commun aux filières agricoles françaises et permettant d’apprécier la performance environnementale d’une exploitation, permet de mesurer des avancées effectives, mais sans lien avec les références Agribalyse et Citepa, si bien que celles-ci ne les valident pas dans la réalité. C’est un sujet en soi méritant un examen spécifique, de même que celui de la connexion des bases françaises de l’Ademe et de leur homologue international GFLI.

Des méthodes complémentaires, prenant en compte d’autres effets que la seule empreinte carbone, seraient souhaitables : c’est tout le débat sur les Analyses de cycle de vie (ACV), qui donnent par exemple une empreinte carbone des produits industriels bien meilleure que celle des produits bio. Ce résultat vient du fait qu’en industrie, domaine d’emploi originel des ACV, moins l’emprise au sol est élevée et mieux c’est pour l’environnement ; mais ce raisonnement est inadapté à l’élevage, dont l’une des fonctions est d’entretenir l’espace et donc de l’occuper. »

  • Mettre en place avec les chambres consulaires et le monde vétérinaire un accompagnement zootechnique des éleveurs de bovins permettant d’abaisser l’âge du premier vêlage à deux ans et, pour les vaches laitières d’allonger le nombre de lactations.

« En prenant une vache laitière ayant une production annuelle de 6 000 kg et produisant 400 g de méthane par jour et ayant un Intervalle vêlage-vêlage (IVV) d’un an nous avons simulé sur un tableur, le gain de production de méthane entérique en passant d’un vêlage à trois ans à un vêlage à deux ans et ensuite en reculant l’âge de sa réforme de deux à 18 ans. Ce calcul présente de probables imperfections mais approche le lien ajustable entre méthane entérique et production laitière, tout en montrant les ordres de grandeur de gains possibles (entre 20 et 45 %) sur la production de méthane entérique par des mesures uniquement zootechniques.

Une dernière notion est celle de la marge versus la performance. Nos calculs pourraient laisser penser qu’une vache qui produit 8 000 kg de lait vaut mieux que deux produisant 4 000 kg, puisque la ration nécessaire à l’entretien de base de l’animal est moins importante dans le premier cas. Mais d’autres éléments doivent s’appréhender, les effets des externalités ayant la forme d’une courbe en cloche : trop peu de productivité pose la question de l’impact de l’élevage sans en tirer de bénéfice, tandis que trop de productivité peut s’avérer néfaste pour l’animal, l’environnement ou même l’éleveur.

Sur un animal à haute performance, les derniers kilogrammes de lait ou de viandes sont les moins rentables. Ainsi deux animaux de plus petit gabarit produisant chacun 4 ou 5 000 kg de lait et réformés à six ou sept lactations ou plus peuvent être plus rémunérateurs qu’une vache à 8 000 kg que l’on réforme à deux lactations. Notre approche de l’élevage a souvent privilégié la culture de la performance pour mettre à l’honneur le plus gros animal ou la vache la plus productrice de lait. Cela s’est fait par une génétique de la performance, mais les enjeux du bien-être des animaux (et de l’éleveur) et l’environnement poussent aujourd’hui dans d’autres directions pour privilégier le passage à une culture de la marge et à la circularité des systèmes de production, en particulier. »

  • Rapprocher les structures spécialisées en production de lait et de viande, afin de bénéficier de la complémentarité des deux productions, ce qui permettra d’accroître la proportion des races mixtes. Une réflexion similaire pourrait être portée dans d’autres espèces.

« Cette situation est également associée à une sélection des races à viande qui, en France, a favorisé des races tardives ; celles-ci ne s’engraissent pas à l’herbe (sauf dans des conditions très particulières) et nécessitent donc des complémentations diverses. En comparaison, les races mixtes présentent des avantages : une production de lait puis une fin bouchère permettent en effet de se retrouver dans la configuration de la production laitière pour la répartition du poids carbone et permet de mutualiser sur les deux productions (lait et viande) les différents coûts. Un rapprochement des deux branches de production aiderait sans doute à progresser en la matière ».