Marc Zribi, FranceAgriMer - « Fin des quotas sucriers : l’enjeu n’est pas seulement industriel, il est aussi agronomique »
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Instaurés en 1968, les quotas sucriers européens ont vécu leur dernier jour le 30 septembre 2017. Des producteurs aux industriels, toute la filière s'y était préparée. Mais avait-elle anticipé une récolte mondiale historique et des prix en berne ? La France, comme ses voisins, cherche de nouveaux débouchés. Quels sont les facteurs qui, à court ou moyen terme, dessineront le marché du sucre en Europe ? Marc Zribi, chef de l'unité grains et sucre chez FranceAgriMer, nous répond.
Référence-appro.com : La fin des quotas sucriers était programmée depuis plusieurs années. Depuis le 1er octobre, c'est chose faite. La filière française était-elle prête ?
Marc Zribi : « Depuis plus de 10 ans, les industriels sucriers et les planteurs se sont préparés à l'arrêt des quotas. La France, comme ses voisins allemands, polonais, anglais ou hollandais, ont massivement restructuré leurs outils de production pour les rendre plus performants. La durée de campagne devrait s'allonger, d'une trentaine de jours environ, pour produire plus, et ainsi, conquérir de nouveaux débouchés. Si l'enjeu est industriel, il est aussi agronomique car la compétitivité de la betterave passe par des variétés plus productives, moins gourmandes en intrants. Le programme Aker (1), lancé en 2012 pour huit ans, vise à répondre à ces attentes.
Référence-appro.com : Vers quelles destinations l'Europe compte-t-elle exporter davantage ?
Marc Zribi : En 2017/2018, les volumes de sucre exportés vers les pays tiers pourraient avoisiner 3 Mt en Europe (pour une production de 20 Mt), dont près d'1 Mt au départ de la France, soit trois fois plus que l'an passé. Une grosse partie du surplus produit devrait être absorbée par nos clients habituels, notamment les pays tiers mais également par l'Europe elle-même : le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie ou la Grèce pourraient réduire leurs importations de sucre blanc et roux en provenance des pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique. La production européenne pourrait également trouver des débouchés en Afrique ou au Moyen-Orient.
Référence-appro.com : Quel rôle pourrait jouer le Moyen-Orient ?
Marc Zribi : Ces dernières années, les pays du Moyen-Orient ont massivement investi dans de gigantesques raffineries de sucre brut. Ils importent du sucre roux du Brésil, le raffinent sur place puis l'exportent vers l'Asie, l'Indonésie notamment. Mais avec la fin des quotas européens et la mise à disposition de volumes supérieurs à des prix moindres au cours des prochains mois, l'importation de sucre blanc européen pourrait être tout aussi rentable. Quid de la viabilité de ces sites de production ? La seule raffinerie israëlienne, Sugat, a par exemple annoncé sa fermeture pour la fin de l'année, au profit d'importations de sucre blanc européen jugé plus compétitif.
Référence-appro.com : L'horizon semble donc plutôt dégagé ?
Marc Zribi : A court terme oui. Mais les points de vigilance et d'interrogation sont nombreux, notamment en Europe : conséquences du Brexit, avenir des biocarburants, capacité de la betterave à rester compétitive au sein de la rotation, impact des campagnes de communication « santé et sucre »… A l'échelle du globe, les yeux se tournent vers le Brésil, premier producteur et exportateur mondial (27 Mt exportées en moyenne chaque année). Dans ce pays, la filière canne à sucre a beaucoup souffert de la crise financière. Les plantations sont vieillissantes, tout comme les outils industriels. A moyen terme, l'incertitude pèse sur les capacités de ce pays à préserver son niveau de productivité. Autre facteur d'incertitude : le taux de change du réal. S'il est intéressant, le Brésil exporte du sucre pour récupérer des devises. S'il ne l'est pas, la canne alimente les usines d'éthanol brésiliennes : il y a donc moins de sucre disponible sur l'échiquier mondial. La fiscalité des carburants au Brésil influe également sur ces arbitrages.
Référence-appro.com : Autant de facteurs qui impactent le prix du sucre, très bas depuis le début de l'année ?
Marc Zribi : Le contexte actuel est, il est vrai, moins encourageant que celui du début d'année. Le prix du sucre, à New-York, a diminué de moitié en six mois. La pression sur les prix devrait se maintenir car le potentiel de production est bon, voire très bon, non seulement en Europe mais aussi au Brésil, en Inde et en Thaïlande. Je pense toutefois qu'en termes de prix, nous pourrions avoir atteint un seuil plancher. »