Référence agro

« Nous ne pouvons pas exclure que la qualité des sols intervienne davantage dans le prix du foncier », Dominique Potier, député PS

Le | Politique

La loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations contient certaines mesures sur le foncier agricole. Alors que texte a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 7 mai, Dominique Potier, député PS, répond aux questions de Référence agro

« Nous ne pouvons pas exclure que la qualité des sols intervienne davantage dans le prix du foncier », Dominique Potier, député PS
« Nous ne pouvons pas exclure que la qualité des sols intervienne davantage dans le prix du foncier », Dominique Potier, député PS

Référence agro : Alors que le PJLOA a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale, quels sont les enjeux du foncier agricole pour les prochaines années ?

Dominique Potier : Nous sommes dans un moment, dans la décennie qui vient, d’accélération absolument majeure sur les questions du foncier. Nous aurions besoin plus que jamais d’un instrument de régulation du foncier, pour être sûr que les terres qui se libéreront iront à l’installation et non pas à l’agrandissement.

La puissance publique a la vocation de réguler le foncier. Elle le fait depuis les années 1960. Les trois piliers de la régulation sont l’autorisation d’exploiter, le contrôle de l’intervention sur le marché foncier des Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) et le statut du fermage. C’est tout cela qui est aujourd’hui très largement remis en cause.

R.A. : Que reproche-t-on aux Safer dans leur gestion du foncier agricole en France ?

D.P. : Les Safer sont sous le coup potentiel de deux critiques. Les libéraux qui ne veulent pas de régulation et des régulateurs qui pensent que les Safer ne sont pas assez puissantes. Ce sont des critiques contradictoires.

Je n’ai pas de reproche à formuler. Globalement, j’atteste qu’elles remplissent leur mission. Cette mission est capitale pour la compétitivité de l’agriculture française et pour tenir notre objectif de renouvellement des générations. Elle mériterait d’être renforcée, à deux niveaux. Une part du marché sociétaire et le démembrement de propriétés sont distraits au pouvoir de préemption des SAFER.

Leur pouvoir de préemption est fragilisé par ces détournements sociétaires. De plus, elles n’ont pas de moyens dédiés pour financer leurs opérations. Elles sont parfois contraintes dans leur budget pour remplir leurs missions.

R.A. : Dans le PJLOA voté en première lecture à l’Assemblée nationale, il y a été inscrit des objectifs chiffrés du nombre d’exploitations (400 000) et d’exploitants (500 000) à atteindre d’ici à 2035, mais aucune mesure concrète pour y arriver. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

D.P. : S’il n’y a pas de régulation du marché français, il n’y aura pas de relève. Et sans relève, il n’y a pas d’agroécologie. L’enjeu est à la fois économique, social et environnemental. Il faut réparer tout ce qui fait l’objet d’un désordre et d’une dérégulation : insuffisance de la loi Sempastous, démembrement de propriétés, travail délégué. Sur tous ces sujets, nous avons des propositions de réparation, mais plus largement, il nous faut penser une nouvelle architecture de la politique foncière.

Il faut tenir compte de l’effort exceptionnel de transmission d’exploitation que nous aurons à faire dans les années à venir, mais aussi des nouvelles attentes en ce qui concerne le respect de la biodiversité, de protection de l’eau. Nous avons besoin de redessiner une nouvelle politique agricole et foncière. C’est absolument fondamental.

R.A. : De nombreux députés et associations défendent un retour à un modèle d’exploitations agricoles familiales. Est-ce compatible avec la réalité du monde agricole aujourd’hui, entre production, compétitivité et conditions de travail ?

D.P.  : Je suis intimement convaincu, et pas seulement avec le cœur, mais aussi avec la raison, que l’agriculture familiale reste la plus compétitive. C’est celle qui préserve le mieux les terres, de par la diversité des productions qu’elle permet. Plus vous avez d’actifs à l’hectare, plus vous avez de valeur ajoutée, plus vous avez de diversité. Cette diversité est la clé de la fertilité de demain. Je dirais au contraire que l’agriculture de firme, de spécialisation et d’agrandissement démesuré, celle qui pratique l’accaparement des terres est en train de détruire l’agriculture dans ses capacités de production. Si nous voulons défendre notre capacité à produire, il faut défendre un modèle d’agriculture familiale.

C’est le plus productif, dans le respect des limites planétaires. Je n’ai aucun doute à ce sujet. Alors je ne parle pas de l’agriculture familiale des années 1950, mais de celle des agriculteurs avec une surface moyenne de 70 ha. Il n’y pas d’incompatibilité entre des exploitations de taille raisonnable et la productivité. Si nous voulons rester sur une agriculture d’entrepreneurs, à taille humaine, qui coopèrent entre eux, la culture familiale a beaucoup d’avenir. Si nous organisons la compétition de tous contre tous, nous aurons un paysage désolé, une France plus pauvre sur le plan économique et social et écologiquement détruite.

R.A. : Dans la version initiale du PJLOA, l’article 12, prévoyait l’introduction d’entreprises privée dans le foncier agricole. Il a été supprimé lors de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale. Quels enseignements cela donne-t-il sur les intentions du Gouvernement ?

D.P.  : C’est ce que j’appelle éteindre un incendie avec un lance-flammes. C’était totalement incompréhensible. Aujourd’hui, nous avons majoritairement des problèmes de fonds de transition, des foncières, pas de portage. Cela fait deux ans que les pouvoirs publics ont annoncé un fonds de transmission. Il n’est toujours pas mis en place. Il y a des foncières un peu partout dans les territoires. C’est la solution du portage transitoire. Pour le portage sur le long terme, les propriétaires ruraux sont là et ne font pas faillite. Et il y a Terre de liens qui propose ses formules associatives pour porter du foncier collectivement. Globalement, il n’y a pas de gros problèmes de portage du foncier en France. Nous avons plutôt un souci de partage. Si nous ne partageons pas et ne régulons pas, les prix augmenteront et la terre deviendra inaccessible.

La proposition de cet article 12 dans le PJLOA nous est apparue comme une provocation. Il n’y a aucun instrument de régulation sur le foncier et tout ce qu’on fait, c’est introduire la financiarisation, et avoir la titrisation du foncier dans la loi, ce qui était une pure folie. Pour l’instant, le ministre nous dit que sa majorité n’a pas de consensus sur une réforme foncière.

R.A. : Le PJLOA a apporté des modifications au diagnostic modulaire lors de l’installation ou de la transmission. Dans quelle direction vont ces modifications ?

D.P.  : Le diagnostic modulaire est la capacité à s’arrêter, à regarder les sujets de la ferme dans sa globalité par rapport à l’évolution des marchés, aux dérèglement climatiques, à un événement social. Entre nous, ce sont des choses qui se pratiquent déjà. La nouveauté, c’est l’adaptation aux dérèglements climatiques, mais pour le reste, rien de nouveau. C’est plutôt une bonne innovation, nous l’avons soutenue. Nous avons regretté que la question des sols soit écartée, parce qu’on ne peut pas imaginer une étude d’impact des dérèglements climatiques qui fasse l’impasse sur l’état des sols.

Ce n’est même pas imaginable. Une crainte formulée notamment par Les Républicains était que, si on rentre dans une logique de classification des sols en fonction de leur qualité physique, mais également de la présence ou non de polluants, on avait un impact sur le marché, que nous n’avions pas ou mal mesuré. Je regrette que cet aspect ait été retiré du PJLOA, parce que sur le plan agronomique, ne pas avoir un diagnostic des sols est dramatique. Mais je comprends la question de l’impact sur le marché agricole dont personne ne savait qui seraient les gagnants ou les perdants. Cette question mérite d’être abordée. Nous ne pouvons pas exclure que la qualité des sols intervienne davantage dans le prix du foncier, mais c’est un aspect qu’il faut manipuler avec une grande prudence, au vu de son impact social et économique.