Qualité de l’air, « le risque d’un durcissement législatif existe », Étienne Mathias, expert agriculture au Citepa
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Le 12 juin 2019, le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, Citepa, organisait une journée sur les interactions et bénéfices des actions climat, qualité de l’air et énergie. Le sujet de la pollution atmosphérique est encore peu connu des agriculteurs. Pourtant le secteur est visé, aussi bien sur l’élevage que sur les cultures. Et le lieu de l’organisation de la journée, au siège de l'Assemblée permanente des chambres d’agriculture, ressemblait à un appel pour la profession à se saisir du dossier. Étienne Mathias, expert agriculture et forêt du Citepa, interrogé en marge de la journée, nous livre les enjeux pour la profession.
Référence environnement : La qualité de l’air est-elle le nouveau sujet environnemental pour l’agriculture ?
Étienne Mathias : C’est vrai que cette problématique est récente pour la profession. L’agriculture est surtout concernée par l’ammoniac en tant que précurseur de particules fines. Pour l’heure, il n’y a pas de réglementation à proprement parler en la matière pour les exploitants. En France, le Plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prepa) prévoit de progresser sur la réduction de NH3, mais de manière volontaire en encourageant l’investissement dans des matériels ou le recours à des formes d’engrais azotés moins émissives.
R.E. : Quelle est la tendance, en termes de réglementation ?
É.M. : Le risque d’un durcissement législatif existe. Le protocole de Göteborg a fixé pour la France un objectif de baisse de 4 % des émissions d’ammoniac d’ici à 2020 par rapport à 2005. Il est repris dans la directive Nec de l’Union européenne relative aux plafonds d’émissions nationaux avec en plus un objectif supplémentaire très ambitieux de -13 % pour 2030. Or, nous n’y serons pas sans effort important du monde agricole, car les émissions de NH3 ne diminuent pas. Elles augmentent même plutôt sur les années les plus récentes, contrairement à la plupart des polluants suivis comme les oxydes de soufre et d’azote. La France risque un contentieux. L’agriculture est responsable de 94 % des émissions d’ammoniac et pourrait être accusée de contribuer fortement à la pollution de l’air ! Le secteur agricole doit donc être très vigilant et intégrer cet enjeu environnemental dans ses priorités !
D’autant qu’un autre gaz est dans le viseur : le méthane, en tant que précurseur d’ozone troposphérique. Le protocole de Göteborg sera très certainement révisé dans les années qui viennent avec des discussions fortes sur l’intégration du CH4, jusqu’à présent absent des débats sur la qualité de l’air et uniquement traité comme gaz à effet de serre.
R.E. : Quelles sont les solutions agricoles ?
É.M. :Pour l’ammoniac, le principe est simple : éviter le contact entre les effluents et l’air. Pour éviter les pertes par volatilisation, les agriculteurs peuvent couvrir les fosses à lisier, utiliser du matériel d’injection des engrais organiques et minéraux ou les enfouir rapidement. Cela rejoint une problématique plus globale qui consiste à valoriser au mieux l’azote dans les fermes et éviter qu’il ne s’échappe dans le milieu. Il est aussi possible de réduire la quantité d’azote à la source en adaptant l’alimentation des animaux : les aliments biphasiques voire multiphases pour les porcs et les volailles fonctionnent par exemple très bien et diminuent les rejets azotés. Depuis 2005, l’élevage a réussi à réduire ses émissions d’ammoniac au bâtiment, au stockage, à l’épandage, et grâce aussi à la baisse du cheptel. Mais les cultures ont vu leurs émissions augmenter, du fait d’une plus forte utilisation de l’urée, forme d’engrais azoté minérale au prix attractif mais potentiellement fortement émettrice d’ammoniac. Des marges de progrès réelles existent mais la réduction de ces émissions est un défi tant la question de l’azote reste liée à celle de la productivité.
R.E. : Comment progresser ?
É.M. :La réduction de l’impact du secteur sur la qualité de l’air doit être couplée à d’autres politiques. Or, des synergies existent avec la lutte contre la pollution de l’eau, qui reste la priorité numéro un du secteur agricole, notamment dans la baisse des intrants azotés. Atteindre les objectifs européens en matière d’ammoniac représente un gros défi pour l’agriculture, qui ne pourra pas se faire sans investissement.