Les plans européens sur l’agriculture et la biodiversité font réagir le monde agricole et les ONG
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Le 20 mai, la Commission européenne a, avec près de deux mois de retard- Covid Oblige- présenté les volets agricole et pour la biodiversité de son Green Deal. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Si les syndicats agricoles estiment que la Commission fait fausse route, de nombreuses ONG félicitent l’instance du cap engagé mais regrettent des mesures insuffisantes. Les attentes sont grandes en ce qui concerne le rôle à jouer par la Pac, encore au cœur de discussions entre les États-membres.
Le Green Deal de la Commission européenne doit permettre à l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone dans trois décennies. Pour soutenir cette ambition, plusieurs plans sont prévus. Deux d’entre eux ont été présentés le 20 mai : Farm to Fork pour le secteur agroalimentaire, et la stratégie pour la biodiversité. Réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides et de 20 % des engrais, conversion de 25 % des terres à l’agriculture biologique et de 10 % des surfaces agricoles à des dispositifs paysagers non productifs, font partie des objectifs fixés. Fortement attendues, leur présentation ayant été décalée en raison de la crise liée au Covid-19, ces stratégies n’ont pas manqué de faire réagir un large panel de parties prenantes.
Une « fausse route » pour les syndicats agricoles
Du côté des syndicats agricoles, le ton monte. Admettant des bonnes intentions, la FNSEA regrette des stratégies qui « conduiront l’agriculture européenne dans une impasse ». Rappelant les enjeux de souveraineté alimentaire, remis en premier plan durant la crise du Covid-19, le syndicat évoque, pour définir le programme de la Commission européenne, « une voie de décroissance avec un impact environnemental incertain qui conduira, par contre, de façon certaine à une augmentation des importations de l’alimentation des européens ». Une position également défendue par la Confédération européenne de la production de maïs (CEPM), pour qui les annonces de la commission européenne menacent la souveraineté alimentaire. « La Commission a-t-elle seulement mesuré l’impact de ces chiffres ? Ce sont d’énormes pertes de productions à l’échelle européenne et des importations massives de produits obtenus avec des méthodes qui y sont interdites ! » Des inquiétudes partagées par la Coordination rurale. « La Commission se trompe vraiment de combat et de siècle. Pour un meilleur effet écologique, elle devrait instaurer d’urgence un plan protéines reposant sur des protections douanières contre le soja, plutôt que de réduire ses surfaces cultivées de 10 % », réagit son président, Bernard Lannes.
Un objectif de réduction des pesticides « pas réaliste »
Au niveau européen, l’ECPA, qui représente les industries européennes de protection des plantes, assure vouloir être acteur des ambitions présentées par la Commission européenne. Pour cela, l’organisation insiste sur les forts investissements à mobiliser pour développer de nouveaux moyens, innovants, pour protéger les cultures. Elle souhaiterait également que l’agriculture numérique soit davantage encouragée, notamment par la Pac. Mais en ce qui concerne l’objectif de réduire de moitié l’utilisation des pesticides, l’ECPA, qui se dit ouverte à la discussion, ne le considère pas comme « réaliste » et demande des objectifs résultants d’analyse d’impact. De manière plus modérée, le Copa-Cogeca appuie également ces déclarations et appelle à la réalisation d’une analyse d’impact avant toute décision législative. « Une approche précipitée pourrait menacer la sécurité alimentaire, la compétitivité de l’agriculture européenne et le revenu des agriculteurs, alors que ces derniers ont déjà été fortement touchés par la crise liée au Covid-19 ».
Un constat salué mais insuffisant pour les ONG
Du côté des ONG environnementales, le cap fixé par la Commission européenne à travers ces annonces est salué. De manière générale, celles-ci se félicitent des objectifs concernant une moindre utilisation de pesticides. « La publication simultanée de ces deux stratégies est remarquable en soi, car l’agriculture et la pêche intensives sont les principaux moteurs de la perte de biodiversité. L’UE reconnaît ainsi que les systèmes alimentaires destructeurs ne doivent plus être la norme en Europe », commente ainsi la LPO. Mais passé ce premier constat, les réactions sont un peu plus nuancées. Les ONG expliquent attendre davantage de moyens et d’ambition pour mettre en œuvre le Green Deal. Pour Générations futures, la baisse de moitié de l’utilisation des pesticides n’est qu’une « première étape », car « trop faible pour assurer efficacement le rétablissement de la biodiversité ». Si pour le WWF, ces stratégies pourraient permettre « d’inverser la courbe de perte de biodiversité », l’association regrette que la question de la consommation de produits animaux, « principal facteur de déforestation » ne soit pas abordée. L’approche est similaire dans les rangs du CIWF, qui regrette des propositions « insuffisantes et affaiblies par rapport à des versions précédentes » sur le sujet de l’élevage. Concernant l’étiquetage sur le bien-être animal, « la dernière version [a supprimé] le lien avec les modes de production. Nous regrettons l’approche timide suivie par la Commission européenne », souligne l’organisation.
Appel à une mise en cohérence avec la Pac
Par ailleurs, de nombreux appels ont été lancés pour mettre en cohérence la prochaine Pac avec les ambitions du Green Deal. « Ces stratégies se heurtent à l’immobilisme dessiné pour la réforme de la Pac par la proposition législative en cours de négociation depuis juin 2018 », regrette la plateforme Pour une autre Pac. Celle-ci cite plusieurs exemples pour illustrer son propos dont le fait que « la Commission suggère une baisse drastique du budget du 2e pilier de la Pac », l’absence des sujets de la baisse de la fertilisation azotée, des antibiotiques en élevage ou du bien-être animal dans la proposition de la Commission pour la Pac post-2020, ou encore le fait que celle-ci ne « remette pas en cause l’allocation des aides directes en fonction du nombre d’hectares ».
« Atteindre les objectifs esquissés demandera cependant d’aller un cran plus loin en faisant de cette stratégie le cadre de référence pour la mise en œuvre de la Pac, le déploiement de stratégies industrielles dans le secteur alimentaire et la (re)négociation des accords commerciaux internationaux », résume Pierre-Marie Aubert, qui coordonne l’initiative Politiques publiques pour l’agriculture européenne au sein de l’Iddri. Toutes ces attentes risquent néanmoins d’être déçues. Le 26 mai, la Commission européenne a fait savoir qu’elle ne reviendrait pas sur sa proposition concernant la Pac post-2020, son secrétaire à l’agriculture, Woflgang Burtscher, estimant qu’elle était compatible avec les stratégies Farm to fork et pour la biodiversité.