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Plan Farm to Fork, analyse d’Aurélie Trouvé, Attac France

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Avec son Green Deal, la Commission européenne souhaite faire de l’Union européenne le premier continent neutre en carbone à l’horizon 2050. Dans ce cadre, des volets sont prévus pour le secteur agroalimentaire, avec la stratégie Farm to fork. Maître de conférences à AgroParisTech, Aurélie Trouvé revient sur les ambitions de cette stratégie, dont la mise en place efficace dépendrait, selon elle, d’une plus grande ambition agroécologique de la Pac.

Plan Farm to Fork, analyse d’Aurélie Trouvé, Attac France
Plan Farm to Fork, analyse d’Aurélie Trouvé, Attac France

La présentation de la stratégie « Farm to fork », volet agricole et alimentaire du Green Deal porté par la Commission européenne, était attendue pour le 31 mars. Entre temps, la crise du Covid-19 a bouleversé les agendas européens et décalé cette annonce pour le mois de mai. Si aucune date certaine n’est encore connue, selon le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans, de premiers éléments sont néanmoins déjà révélés, comme la volonté de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, bien qu’elle ne soit pas encore chiffrée. Porte-parole d’Attac France et maître de conférences à AgroParisTech, Aurélie Trouvé revient sur les premiers éléments de cette stratégie. Selon elle, la Pac devrait être un des outils de sa mise en œuvre. Ce qui nécessiterait de fortement relever les ambitions de la proposition de la Commission européenne pour la politique agricole commune post-2020, laquelle ne serait pas à la hauteur du défi agroécologique.

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Plan Farm to Fork, analyse d’Aurélie Trouvé, Attac France - © D.R.
Plan Farm to Fork, analyse d’Aurélie Trouvé, Attac France - © D.R.

Aurélie Trouvé, maître de conférence à AgroParisTech, plaide pour un rehaussement des ambitions agroécologiques de l’exécutif européen.[/caption]

Référence Agro : Pourquoi les négociations du budget de l’UE et de la Pac sont toujours aussi compliquées ?

Aurélie Trouvé : Plusieurs facteurs contribuent à rendre la situation actuelle complexe. D’une part, les États membres sont de plus en plus nombreux. D’autre part, l’Europe politique est en crise, avec des pays contributeurs nets qui veulent baisser le budget, et une Pac qui représente près de 40 % du budget de l’UE mais souffre d’une légitimité socio-économique et environnementale vacillante.

R.A. : Les annonces de la Commission européenne concernant le Green Deal et la stratégie dédiée à l’agriculture, Farm to fork, vous semblent-elles crédibles, vecteurs de réels changements ?

Aurélie Trouvé : Sur le texte et dans le discours, un pas a été franchi, on peut le dire. Le problème est que ces ambitions ne se déclinent pas concrètement dans la Pac, alors même que celle-ci devrait être l’outil principal de Farm to fork, vu le budget qui y est consacré. Or, la proposition de la Commission européenne pour la prochaine Pac ne contient pas d’objectifs chiffrés, comme le souligne la cour des comptes européenne dans un de ses rapports. Ceci contrairement à la Pac actuelle, qui fixe des contraintes chiffrées dans le cadre des paiements verts, c’est-à-dire 30 % des aides directes. Conséquence, sans conditions de pratiques quantifiées à l’échelle européenne, les États membres risquent de niveler vers le bas leurs exigences environnementales, dans un contexte de concurrence entre pays européens et de pression vers le bas des coûts de production des exploitations. La réforme proposée par la Commission européenne marque un recul car elle risque d’entraîner une renationalisation de la Pac et de tirer plutôt vers le bas les exigences environnementales.

R.A. : Quelle est la priorité pour mettre la Pac au service de la transition agroécologique ?

Aurélie Trouvé : À mon sens, il faudrait contraindre tous les États membres à un budget suffisant pour le deuxième pilier. Aujourd’hui, il existe une très grande flexibilité et il risque donc d’être une variable d’ajustement. La proposition de la Commission européenne prévoit d’ailleurs une baisse de 25 % de ce second pilier. Or, aujourd’hui, ce qui pourrait faire changer les choses, ce sont entre autres des MAE bien pensées et des aides bio. Enfin, la transition agroécologique nécessite des revenus agricoles décents et stabilisés, d’où l’urgence d’une régulation des marchés agricoles européens, qui a été démantelée depuis les années 1990.

R.A. : Quels dispositifs souhaiteriez-vous voir être mis en place pour que l’agriculture soit mieux accompagnée ?

Aurélie Trouvé : C’est maintenant que tout se décide. Il faut que le Parlement européen se saisisse de ces enjeux et de la stratégie Farm to fork pour la renforcer. Il faut donner les moyens à l’ensemble des agriculteurs de mettre en œuvre cette transition écologique et sociale - ce qui signifie un maintien du budget de la Pac, mais avec une réorientation des aides. Personnellement, je plaide pour la mise en place de contrats de transition agroécologique, pour mettre en place des mesures établies suite à un diagnostic de l’exploitation et du territoire dans laquelle elle se trouve. Ce dispositif est défendu par d’autres agro-économistes. Enfin, rappelons que les directives environnementales sur l’eau ou les nitrates avancent plus vite que la Pac. Certes, elles sont nécessaires selon moi au regard des enjeux environnementaux. Mais elles relèvent du domaine de la contrainte. Il manque encore un volet « incitation » et accompagnement bien plus ambitieux, avec des moyens financiers conséquents, pour assurer la durabilité environnementale et socioéconomique des exploitations.