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Séparation vente et conseil, « solidifier la prescription raisonnée et le diagnostic préalable » conseille Jacques Guérin, Ordre des vétérinaires

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La loi issue des États généraux de l’alimentation acte la séparation du conseil et de la vente des pesticides. Un projet de loi similaires dans le secteur des antibiotiques avait suscité la colère de la profession vétérinaire, en 2013. La mobilisation de cette dernière avait abouti au retrait de ce projet. Président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, Jacques Guérin revient sur cet épisode, les arguments avancés ayant permis l’abandon de ce projet et le succès des plans Écoantibio. Selon lui, le secteur des phytosanitaires doit se focaliser sur la structuration d’une prescription raisonnée et préventive.

Référence environnement : Où en est-on sur la question de la séparation de la prescription et de la délivrance dans la profession vétérinaire ?

Jacques Guérin : C’est un point sur lequel la profession vétérinaire est aujourd’hui plus à l’aise, compte-tenu des résultats des plans Écoantibio 1 et 2. Ils incarnent cette prise de conscience des vétérinaires, des éleveurs et de l’État, qu’il faut changer de cycle de raisonnement, pour passer d’une utilisation salvatrice des antibiotiques en toutes circonstances, à une utilisation raisonnée et prudente.

R.E : Comment avez-vous réussi à avoir gain de cause auprès du gouvernement ?

J.G. : La médecine humaine dissocie le médecin qui prescrit, du pharmacien qui dispense. Cela n’existe pas en médecine animale. Un des régulateurs que nous avons mis en avant pour empêcher les dérives, dans l’utilisation des médicaments vétérinaires, est que l’éleveur paye les médicaments, sans remboursements, et qu’un animal malade lui coûte de l’argent. D’où le travail mené aujourd’hui pour prévenir la maladie, par la vaccination, la gestion du bâtiment et de la ventilation, des mécanismes alternatifs renforçant l’immunité de l’animal, l’alimentation, etc.

Nous avons compris que nous ne pouvions pas nous passer d’antibiotiques, importants dans le cadre du bien-être animal et de leur santé. Mais nous devions nous engager dans un processus vertueux où leur utilisation n’est enclenchée que quand cela est nécessaire, suivant de bonnes pratiques. L’usage des antibiotiques, c’est l’image du vétérinaire pompier qui intervient quand l’incendie est déclaré et fait avec les moyens du bord. Quand un pompier est face à un incendie, ce n’est pas en lui réduisant le débit de son tuyau qu’il va l’éteindre.

R.E : Comment expliquez-vous la réussite du plan Écoantibio ?

J.G. : Que ce soit pour les antibiotiques ou les phytos, la première des choses à faire est de solidifier l’étage de la prescription raisonnée et du diagnostic préalable. Et ce, avant même de réfléchir à la question de la délivrance. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Pour Écophyto, il manque l’étage du prescripteur indépendant. Nous avons démontré avec la profession vétérinaire, sur les antibiotiques, que l’étage essentiel sur lequel il fallait appuyer des politiques publiques, était celui du prescripteur.

Quand vous analysez les différents programmes européens, il n’y a pas de corrélation entre la séparation de la prescription et de la délivrance, et la réussite des plans de type Écoantibio. En Espagne et Italie, les dispositifs vétérinaires ont dissocié les deux dimensions et pour autant ils sont dans le trio de tête des pays européens les plus gros consommateurs d’antibiotiques. L’important est le prescripteur et qu’il soit positionné suffisamment en amont des processus engendrant des maladies, pour pouvoir activer les leviers utiles.

R.E : Quelles sont les conséquences de cette évolution sur la santé économique de la profession ?

J.G. : Il est clair que cela a eu un impact significatif, notamment sur les vétérinaires en zone rurale. Avant, le conseil était payé par les intrants d’élevage. Cela permettait aux vétérinaires de dégager une marge et d’être présents en zone rurale. Aujourd’hui, le mix économique des entreprises vétérinaires est en train de bouger. Et cela a fragilisé le maillage vétérinaire. La perte liée à la réduction des médicaments n’a pas été compensée par une valorisation du conseil et de l’acte. La situation économique des filières animales étant également difficile, nous n’avons pas vraiment de leviers. La contractualisation avec les éleveurs et les collectivités territoriales me paraît être une réponse à cette situation. Les vétérinaires assurent un rôle de sentinelle sur certaines maladies transmissibles à l’homme, sur la qualité des aliments, le bien-être animal. Ces missions étaient conduites dans un mix où les médicaments étaient prédominants, il faudra sans aucun doute les valoriser différemment.