Référence agro

Sophie Thoyer, économiste - « 2020 : un délai difficile à tenir pour réformer la Pac »

Le | Politique

Les citoyens européens ont trois mois pour donner leur avis sur ce que pourrait être la Pac, version post-2020. Tel est l’enjeu de la consultation publique lancée par la Commission européenne le 2 février. Mais cette date de 2020 est-elle tenable ? Quels sont les enjeux de cette réforme ? Que se joue-t-il aujourd’hui à Bruxelles ? Qui sont les acteurs ? Sophie Thoyer, professeur à Montpellier Supagro, économiste et ingénieur agronome répond à ces questions.


La réforme de la Pac aura-t-elle bien lieu en 2020 ?

Les échos en provenance de Bruxelles sont contradictoires. Pour certains, à l’image de la DG Agri, la réforme de la Pac sera bien alignée sur le prochain calendrier financier européen, acté pour la période 2021-2028. Pour d’autres, comme le député européen Michel Dantin, les délais sont intenables. Les élections pour le renouvellement du Parlement européen auront lieu en 2019 et  le mandat de Phil Hogan se termine en septembre 2019. Dans ce cas, ce serait à de nouvelles équipes de peaufiner et mettre en œuvre la réforme. Une situation qui compliquerait la tâche.


Quel est le contenu des discussions actuelles ?

De nombreux groupes de réflexion comme Momagri, Rise, ARC 2020… affinent et dévoilent au fil des mois leurs idées, leurs projets pour réformer, simplifier et améliorer l’efficience de la Pac. Bruxelles est très à l’écoute de tous car l’objectif de Phil Hogan est de présenter, en juillet, une communication de la Commission sur la future Pac : un document de quelques pages qui dresserait un bilan de la consultation publique et listerait les premières pistes d’évolution. Momagri défend la sécurisation des agriculteurs et à ce titre, dissocie les efforts environnementaux des revenus : pas d’effort supplémentaire sans revenus stables. Momagri milite pour l’instauration d’aides contracycliques. Un projet souvent critiqué car perçu par beaucoup comme difficile à mettre en place. Pour certains, cela signifierait revenir au système des prix garantis, comme lors de la période 1962-1992.


Quelles autres idées sont proposées ?

Une autre proposition consiste à financer les agriculteurs pour qu’ils rendent davantage de services environnementaux, pour une Pac encore plus verte. Dans ce cas, finis les deux piliers actuels. Une reformulation de la stratification des aides serait dès lors indispensable : l’aide de base serait du ressort de l’UE puis chaque Etat membre aurait la liberté de financer des strates de verdissement supplémentaires. Une enveloppe dédiée aux zones en difficulté, aux systèmes agricoles labellisés comme durables, aux actions ciblées en faveur de l’environnement… Chaque région, chaque Etat disposerait alors de plus de marge de manœuvre.


La question de la gestion des risques s’avère centrale ? De quoi s’agit-il ?

L’idée est de proposer des outils pour gérer de façon plus efficace les risques financiers et climatiques. Certains outils existent déjà, d’autres sont à créer. La Pac pourrait renforcer son soutien aux assureurs privés et financer des systèmes d’assurance publique pour les risques les plus gros. Un troisième pilier, voué à l’alimentation, assurerait aux consommateurs des produits sains, de qualité. Là encore, tout reste à construire.


La France est-elle proactive dans la mise en place de cette réforme ?

En septembre dernier, Stéphane Le Foll recevait, à Chambord, les ministres européens de l’agriculture. Une rencontre inédite qui n’avait rien d’anodine. Car une réforme se négocie à trois : Commission européenne, Parlement européen et ministres européens de l’Agriculture. Là, les ministres ont voulu donner une impulsion et être force de proposition très en amont de la réforme. Mais aujourd’hui, l’Europe reste divisée entre une Europe du Nord (Hollande, Danemark…) qui souhaite une agriculture moderne à coups de drones et de technologies de pointe, et le Sud (France, Espagne…) qui voit le salut de l’agriculture dans sa modernisation et qui espère que les drônes et les technologies de pointe pourront répondre aux enjeux environnementaux, et une Europe du Sud, dont la France, qui défend une agriculture de territoire, plus protégée des variations du marché. Mais avec le Brexit voté par le Royaume-Uni en juin 2016, le « vent du Nord » semble avoir quelque peu faibli. En France, l’élection présidentielle et la nomination d’un nouveau ministre de l’Agriculture pourraient également modifier la donne.


NB : Sophie Thoyer anime avec Pauline Lécole, ingénieur d’étude à Montpellier Supagro, le site CAPeye, une cellule de veille et de formation sur la Pac. Vidéos, cours en ligne, newsletter… pour tout savoir sur la Pac d’aujourd’hui.