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Souveraineté alimentaire : « Une harmonisation européenne est nécessaire » (Benoît Vallet, Anses)

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Benoît Vallet, directeur général de l’Anses, a été auditionné par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 30 mai 2024. Il est accompagné de Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée, pôle des produits réglementés de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

Souveraineté alimentaire : « Une harmonisation européenne est nécessaire » (Benoît Vallet, Anses)
Souveraineté alimentaire : « Une harmonisation européenne est nécessaire » (Benoît Vallet, Anses)

« Nous fonctionnons avec cinq tutelles, qui sont les ministères de l’Agriculture, de la Santé, de l’Écologie, du Travail et de l’Économie. Depuis 2014, le législateur a confié à l’Anses la mission de délivrer et de retirer les AMM des produits phytopharmaceutiques, mais aussi des matières fertilisantes, des biocides, des médicaments vétérinaires. Le travail de l’agence est d’évaluer l’efficacité de ces produits, les risques qu’ils entraînent pour la santé humaine, bien sûr, et pour les écosystèmes. Cette évaluation de risque se fait dans un cadre juridique européen extrêmement complet, très détaillé, très fort, qui s’impose à nous en tant que dispositif de réglementation », déclare Benoît Vallet, directeur général de l’Anses, lors de son audition devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 30 mai 2024. Il est accompagné de Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée, pôle des produits réglementés de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

Cette commission d’enquête a été créée le 5 mars 2024 par la Conférence des présidents au titre du droit de tirage exercé par le groupe RN, pour « analyser en profondeur les causes et fondements de la succession des choix politiques posés depuis vingt ans ayant progressivement désagrégé les filières agricoles françaises ».

Référence agro  rend compte des principaux éléments de l’audition.

 

« Nous sommes l’agence de la zone Sud Europe qui donne le plus grand nombre d’AMM »

  • « Nous avons aussi une déclinaison nationale, en particulier sur les produits phytopharmaceutiques, sur lesquels nous avons à rendre une décision : autorisation, refus ou retrait. Pour l’année 2023, plus de 4000 décisions qui ont été prises ainsi par l’agence : 1423 pour des produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes ou supports de culture et adjuvants ; 286 pour les produits biocides ; 2 356 pour les médicaments vétérinaires.
  • Chaque année, environ 80 demandes de nouvelles AMM sont faites pour les produits réglementés. Nous sommes aujourd’hui, au niveau de la zone Sud Europe, l’agence qui donne le plus grand nombre de résultats par rapport à cette demande d’autorisation. Nous sommes aussi sur la partie substance active, qui fait référence au niveau européen, l’une des agences qui évalue le plus grand nombre de dossiers.
  • Nous avons un comité de suivi des AMM, ce qui nous permet là aussi, par anticipation sur certaines décisions que nous prenons, de regarder ce qu’il en est des conséquences sur les filières par rapport aux usages ou à l’utilisation en tant que telle des produits. À l’intérieur même de l’Anses, des agents présentent des compétences en agronomie, dans différents secteurs de la production, et des personnes qui viennent de la vie réelle et des structures réelles des organisations du monde agricole français.
  • L’Anses travaille étroitement avec le MASA, au sein d’organisations installées dans le contexte actuel sur la recherche de solutions dans des domaines où des interdictions pourraient apparaître à l’horizon ou seraient déjà actées et actées par le passé (le Parsada). On peut mentionner, à cet endroit, que certaines interdictions nationales ont été des aventures politiques ou des décisions politiques plus que des avancées que l’Anses proposait. »

Benoît Vallet

« Depuis 2015, les délais de gestion des dossiers se sont beaucoup raccourcis »

  • « Le premier terme qui nous vient à l’esprit en matière de souveraineté alimentaire, c’est celui de la sécurité. Nous envisageons d’abord cette sécurité à l’échelle européenne, parce que les problématiques rencontrées dans le domaine sanitaire n’ont aucun respect des barrières nationales. Par ailleurs, la réglementation qui s’impose à nous est de niveau européen. Les discussions qui se posent aujourd’hui, les difficultés rencontrées, y compris par nos filières, font apparaître des tensions, des contradictions, des écarts au niveau européen, qui sont sources de mauvaises compréhensions de la nécessité de la sécurité sanitaire, ou en tout cas de son application au niveau national, et peuvent mettre en porte-à-faux soit les filières, soit l’agence.
  • Une des raisons du transfert d’autorisation du MASA à l’Anses, proposé à l’époque par Stéphane Le Foll, a été de faire une amélioration des délais d’approbation, car il semblait, étant donné les navettes entre le MASA et l’Anses par rapport aux expertises rendues, que les décisions prises par le ministère étaient trop longues et qu’il fallait améliorer cela. Force est de constater que depuis le transfert opérationnel en 2015, les délais de gestion des dossiers se sont beaucoup raccourcis. La seule chose qui reste aujourd’hui à l’initiative du ministre, c’est une dérogation dite 120 jours, qui lui permet d’aller au-delà de ce qui peut être décidé en matière d’arrêt, par exemple, de refus d’autorisation, ou par anticipation d’une autorisation.
  • Il y a des agences en Europe qui ressemblent beaucoup à l’Anses, notamment le CTGB aux Pays-Bas, qui procède à l’évaluation et à la décision, de manière intégrée. Cela va de ce modèle très proche à des modèles qu’on pourrait questionner en matière de fluidité. Je pense à l’Italie où les parties du dossier en évaluation sont même morcelées, prises en charge, un peu en forme de sous-traitance par des universitaires, sont colligés ensuite et peuvent revenir par exemple au ministère de la Santé. L’Allemagne s’appuie sur deux établissements pour la partie de l’évaluation, ce qui est quand même assez compliqué, et la décision est portée de manière gouvernementale. Plusieurs modèles coexistent, avec des contraintes similaires puisque tout le monde est à la même enseigne en matière d’encadrement légal. »

Benoît Vallet et Charlotte Grastilleur

« Le retrait des CMR1, la partie la plus importante de la réduction du nombre de substances utilisés en France »

  • « Le classement CMR du produit émane du classement des substances passées au crible par l’Echa et l’Efsa. Ces substances ne peuvent pas légalement rentrées en réapprobation. Le roulement progressif vient du fait qu’on a cette révision périodique dans la législation des substances actives et une révision périodique des classements, d’où le fait que logiquement les CMR1 ont été progressivement éliminés et n’existent quasiment plus en formulation. Il existe maintenant une poignée de produits qui sont CMR1, mais ce retrait progressif vient de la révision scientifique et de l’affinement des classements et de la logique de révision périodique.
  • C’est cette baisse des CMR1 qui a été la partie la plus importante de la réduction du nombre de substances utilisées en France, et cela s’est fait avant 2015. Par contre, les volumes globaux de phyto n’ont pas changé de façon majeure au cours de ces années. Il est donc clair que certains produits CMR1 ont été remplacés par d’autres, mais cela a représenté un chantier de plusieurs années, voire au moins une décennie. »
  • L’Efsa n’est pas là pour décider de l’approbation ou non, mais vu ce qui se dégage dans son rapport sur l’acétamipride, il est possible de considérer que l’approbation reste recevable. »La Commission européenne a demandé à l’Efsa de revérifier les valeurs toxicologiques liées à l’acétamipride. L’Efsa l’a fait dans son rapport, que je qualifierais d’autoportant. L’Efsa n’est pas là pour décider de l’approbation ou non, mais vu ce qui se dégage dans le rapport, il est possible de considérer que l’approbation reste recevable. Néanmoins, certaines valeurs toxicologiques sont quand même revues de manière un peu plus drastique, et pourraient nécessiter, dans les États membres qui ont des produits de revoir certaines conditions d’autorisation, notamment sur les résidus sur les productions à visée alimentaire qui sont engendrés par la pulvérisation ou l’application.
  • L’interdiction en France a coïncidé finalement avec la réapprobation de l’acétamipride à l’échelle européenne. Cela a bousculé le calendrier. On a reçu des dossiers, qu’on a déclarés non recevables, puisqu’ils ont été pris en charge au cas où mais comme l’interdiction a prospéré, on ne les a pas évalués. La substance est utilisable en formulation, peut-être avec des conditions plus drastiques du fait du rapport de l’Efsa. Pour un emploi en France, il faudrait qu’on puisse évaluer les dossiers avec les propositions de la firme qui serait porteuse de ce projet, cela reste possible nonobstant le verrou législatif mais avec délai, puisqu’on réattaquerait des dossiers de réapprobation.
  • En l’état, il appartiendra à nos autorités de savoir si on reste dans le contexte de la réapprobation du glyphosate au niveau national »À l’époque où le glyphosate a été en cours de réapprobation, il a été souhaité par le législateur d’instruire ce dossier pour en restreindre certains usages pour lesquels il y avait une alternative. Il y a eu, à l’occasion de cette demande, l’utilisation de l’article 50.2 du règlement 11/07. Nous avons eu une saisine de nos tutelles, à notre endroit et à celle d’Inrae, pour faire un travail conjoint sur cette évaluation dite comparative et donc de pouvoir regarder quelles étaient les substitutions possibles au glyphosate. En l’état aujourd’hui, il appartiendra à nos autorités de savoir si on reste dans ce contexte, c’est-à-dire celui de la réapprobation du glyphosate au niveau national et l’application continue de ce 50.2, c’est-à-dire d’une restriction des usages en fonction des alternatives possibles. »

Benoît Vallet et Charlotte Grastilleur

« Les pays ont des considérations très particulières sur certaines formes de produits »

  • « Il y a des choses qui ne sont pas parfaitement cohérentes d’un État à l’autre parce que les pays peuvent avoir des considérations très particulières sur certaines formes de produits. D’où le fait qu’une harmonisation européenne est nécessaire. Elle passe avant tout par une harmonisation sur les méthodologies et l’appréciation de l’évaluation des risques. C’est le gros travail de l’Efsa, qui est de centraliser les avis. C’est vrai pour les substances actives, c’est moins vrai pour la déclinaison opérationnelle produit par produit, y compris avec ces questions de zones. »

Benoît Vallet