« Sans aide, les filières AOP ne tiendront pas cinq ans » Michel Lacoste, président du Cnaol
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Si le secteur agricole répond présent pour assurer l’approvisionnement en produits alimentaires des Français, la modification des comportements alimentaires liée au confinement pèse lourd sur certaines filières. C’est le cas des fromages AOP, dont les ventes ont été plus que divisé par deux depuis le début de la crise. Explications avec Michel Lacoste, président du Cnaol, instance regroupant l’ensemble des syndicats d’appellation d’origine laitière françaises.
Le confinement imposé par le Covid-19, pour limiter sa propagation, a modifié les comportements d’achats des consommateurs. Certaines filières en pâtissent plus que d’autres. Particulièrement touchés par les conséquences de cette crise, les fromages AOP ont vu leurs ventes dégringoler depuis plusieurs semaines. Explications avec Michel Lacoste, président du Cnaol, instance regroupant l’ensemble des AOP laitières, qui alerte sur l’urgence de la situation et fustige le manque de réactions de la part du ministère de l’Agriculture.
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Michel Lacoste, président du Cnaol, revient sur les conséquences de la crise du Covid-19 sur la filière des fromages AOP. © G. Blanchon / Cnaol.[/caption]
Référence Agro : Depuis le début du confinement lié à l’épidémie de Covid-19, les comportements de consommation des Français ont évolué. Quelles sont les conséquences pour les fromages AOP ?
Michel Lacoste : Depuis quelques années, les fromages AOP avaient plutôt le vent en poupe, car ils répondent à plusieurs attentes sociétales. Mais le vecteur d’achat a changé avec l’épidémie de Covid-19 et les consommateurs se sont plus tournés vers des produits de premières nécessité, comme le beurre, les yaourts ou le fromage râpé. Au contraire, ils se sont détournés du fromage « plaisir ». Cela s’ajoute à la fermeture d’une grande partie de nos débouchés, tels que les rayons à la coupe où nous écoulons 40 % de notre production ou les marchés couverts (15 %). Au final, les ventes de fromages AOP ont baissé de près de 60 %. La situation est encore plus critique pour les tandem « éleveurs PME-TPE /fermiers » pour lesquels les ventes ont chuté de 70 % à 100 %.
R.A. : Les éleveurs disposent-ils de marges de manœuvre pour faire face à cette situation ?
M.L. : La situation est d’autant plus compliquée que le mois d’avril est celui du pic de production du lait. Nos fromagers ont adapté leur production pour limiter les stocks ou en réorientant le lait vers d’autres ateliers comme le beurre. En Savoie, la production a été baissé de 20 %. C’est un manque à gagner qui aura des répercussions pendant plusieurs mois. La crise sanitaire exacerbe un phénomène annuel, à cette période, de saturation des outils de transformation. Les grands groupes, qui représentent 50 % de nos filières, peuvent se détourner vers d’autres créneaux. Mais les éleveurs fermiers n’ont pas cette capacité de réorienter le lait. De plus, nos producteurs peuvent normalement vendre mille litres pour 500 euros sur le marché SPOT. Mais en avril ce prix est passé sous la barre des 200 euros. Des éleveurs sont dans des situations catastrophiques.
R.A. : Comment le Cnaol répond à cette situation ?
M.L. : Nous avons lancé, avec le CNIEL, un appel à un engagement militant et une consommation solidaire pour sauver le patrimoine fromager français. Cette campagne sur les réseaux sociaux, appelée #fromagissons, souhaite ramener les consommateurs vers les rayons à la coupe, qui ont rouvert par endroit. Les réseaux de distributions ont également été sollicités pour mettre en avant nos produits, sans baisse de prix. Par ailleurs, l’INAO a mis en place des dispositifs pour traiter des dérogations très rapidement. Des dispositions de certains cahiers des charges ont été modifiées, pour par exemple pouvoir affiner des fromages hors de la zone d’appellation ou pouvoir baisser la température d’affinage pour laisser les fromages mûrir plus longtemps et étaler les stocks.
R.A. : Avez-vous sollicité des aides auprès du Gouvernement ?
M.L. : Nous avons eu des premiers échanges avec le ministère de l’Agriculture le 30 mars. Nous avons formulé à cette occasion plusieurs demandes. Tout d’abord une de sortie de crise, concernant le fonds européen de promotion des SIQO, accessibles à travers un appel d’offre. Nous souhaitons que ces fonds puissent être exceptionnellement alloués sans passer par un appel d’offre, pour pouvoir assurer la promotion de nos produits dès le déconfinement. Nous nous engageons à cofinancer cette démarche, ce qui représenterait près de 2 millions d’euros. Nous attendons également des mesures de compensation des éleveurs AOP qui produisent à perte. Deux mille tonnes de fromages devaient partir de nos caves en avril, il nous en reste encore 1500. S’ils ne sont pas distribués avant le 11 mai, ils seront périmés. Déjà, dix de nos filières ont été contraintes de jeter du lait ou des fromages. Nous souhaiterions que l’Etat nous aide à rendre nos produits plus accessibles pour les distribuer auprès des plus démunis. Nous voulons absolument éviter le gaspillage alimentaire.
R.A. : Certaines de ces demandes ont-elles déjà reçu une réponse ?
M.L. : De nombreuses initiatives voient le jour sur le terrain, les producteurs ne restent pas les bras croisés. Certains rachètent des fromages pour les donner ou les congeler. Des régions, des départements, la grande distribution se mobilisent. Mais malgré l’urgence de la situation, nous n’avons toujours reçu aucune réponse de la part du ministre de l’Agriculture, plus d’un mois après le début du confinement. Il n’est pas au rendez-vous. On se demande s’il y a encore un ministre de l’Agriculture en France. Nos demandes ont pourtant été soutenues à la fois par la FNSEA et la Confédération paysanne.
R.A. : Si les fromages AOP ne sont pas suffisamment soutenus, que risque-t-il d’advenir ?
M.L. : Les dégâts seront lourds si aucune aide n’est débloquée. La richesse de nos AOP réside dans la diversité des acteurs, avec des grands groupes et des éleveurs fermiers. Les fromages AOP sont une minorité du monde agricole mais ils sont un emblème de la gastronomie française. Sans cette diversité, si les PME ne sont pas sauvées, les 350 fromageries AOP ne tiendront pas cinq ans.