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« Une forte compatibilité entre l’IA et l’agriculture » : G. Babinet, Conseil national du numérique

Le | Ia & robotique

Gilles Babinet, vice-président du Conseil national du numérique, auteur et conférencier partage à Référence agro son point de vue sur l’impact croissant de l’intelligence artificielle (IA) en agriculture. Il évoque l’accélération phénoménale des capacités de l’IA, tout en soulignant la nécessité d’une mise en œuvre prudente et concertée, et met en avant les bénéfices potentiel, tant en termes de productivité que de durabilité environnementale

« Une forte compatibilité entre l’IA et l’agriculture » : G. Babinet, Conseil national du numérique
« Une forte compatibilité entre l’IA et l’agriculture » : G. Babinet, Conseil national du numérique

Comment percevez-vous l’émergence de l’intelligence artificielle ?

Nous avons pris l’habitude d’être stupéfiés par les nouvelles performances technologiques. Nous pourrions nous dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, car nous savons que cela accélère depuis cinquante ans avec le doublement de la performance des microprocesseurs tous les 24 mois. Ce qui distingue cette période, c’est la loi de Jensen Huang, PDG de Nvidia, qui stipule que le champ de l’IA double tous les dix mois. Cette accélération est phénoménale et correspond à un facteur 1024 tous les dix ans.

Vous êtes pourtant nuancé sur l’IA. Pourquoi ?

Les technologies systémiques, bien qu’extraordinaires, ont un inconvénient majeur : elles nécessitent du temps avant que leurs gains de productivité ne deviennent visibles. Mettre en œuvre une technologie systémique est complexe et demande l’interconnexion de tout un écosystème. Pour l’automobile, il faut des pompistes, des garagistes, un code de la route, des panneaux routiers, des cartes routières, des permis de conduire, des constructeurs, etc. Cela a pris des décennies. Pour l’IA, ce sera plus rapide car son infrastructure, qui est Internet, est déjà en place, offrant un facteur de scalabilité immense. Tout le monde peut désormais se connecter à un modèle d’IA. Pourtant, selon une étude de Daron Acemoglu, un des plus grands économistes actuels, le gain de productivité avec l’IA sur une décennie pourrait ne représenter que 0,5 % du PIB. Ceux qui prédisent des augmentations de productivité, comme Roland Berger ou McKinsey, ne font qu’induire les gens en erreur. Nous devons être réservés. Diffuser des idées exagérément optimistes peut susciter des peurs injustifiées, qui à leur tour freinent la concertation nécessaire entre les parties prenantes. Il est essentiel d’impliquer ces dernières et de collaborer avec elles pour réussir.

Comment l’IA va-t-elle se développer en agriculture ?

L’IA et l’agriculture présentent une forte compatibilité. L’hétérogénéité des contextes et la grande multitude de facteurs qui concourent au succès d’une récolte en font un domaine idéal pour l’IA. Aucun autre secteur ne présente une telle importance de variables, de surcroît faiblement prédictibles. Actuellement, ces milliers de facteurs sont sous-optimisés, malgré la qualité de l’accompagnement disponible. Dans ces environnements complexes, les modèles d’IA révèlent toute leur puissance. Les capacités prédictives et d’optimisation de l’IA peuvent transformer la gestion agricole en apportant des solutions précises et adaptées à chaque situation unique.

Pensez-vous que l’IA sera bénéfique pour l’environnement ?

En effet. L’augmentation de la productivité agricole grâce à l’IA permettra aux agriculteurs de se concentrer davantage sur les externalités positives, telles que la protection des ressources en eau et la biodiversité. L’IA arrive à point nommé, au moment où les attentes sociétales en matière de durabilité sont particulièrement élevées. Certes, l’IA consomme de l’énergie, ce qui est une véritable préoccupation. Néanmoins, elle permet une utilisation plus efficace de nos systèmes, augmentant ainsi la productivité globale. Prenons l’exemple de l’automobile, utilisée seulement 7 % du temps alors que 91 % de l’espace public lui est consacré. Cela est absurde. Avec les voitures autonomes, dont l’arrivée est proche, la possession individuelle de voitures deviendra à moyen terme obsolète, ce qui se traduira par des gains environnementaux et économiques considérables.

Quelles sont, selon vous, les clés de la réussite dans l’intégration de l’IA ?

L’intégration réussie de l’IA nécessite une forte capacité d’interaction entre l’écosystème, notamment entre la recherche, à l’origine du développement technologique, et les autres acteurs. Les Pays-Bas ont réalisé des progrès remarquables en agriculture grâce à leur capacité de concertation et à trouver un consensus. C’est un modèle que j’ai observé de près. En France, nous disposons d’excellents centres de recherche, bien que souvent sous-financés, et de nombreux innovateurs de talent. Nous avons également un solide système agricole, mais nous n’avons pas encore réussi à instaurer une concertation efficace. Nous sommes pris dans une spirale négative d’innovation, marquée par de nombreux conflits, notamment entre écologistes et agriculteurs. Il est impératif de sortir de cette confrontation et de retrouver une dynamique positive. Nous devons réapprendre à rêver et à construire des narratifs communs. C’est en partant de cette vision collective que nous pourrons progresser.

Le président de la République nous a donné mandat pour organiser des cafés IA à travers toute la France, afin de favoriser une compréhension commune de l’IA. J’espère que nous aurons l’opportunité de mener cela à son terme.