« Les TC poseront des questions à l’IA, car les agriculteurs le feront », Jérôme Le Roy, Weenat
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Fondateur de Weenat, Jérôme Le Roy a également été un des créateurs de La Ferme Digitale dont il est le président. Il est aujourd’hui une des figures de l’agriculture numérique. Il livre à Agro Matin son analyse du développement du secteur.
Référence agro : Expliquez-nous la genèse de Weenat ?
Jérôme Le Roy : Je suis petit-fils d’agriculteur et passionné de technologies, notamment de capteurs. À l’époque je travaillais en recherche et développement chez Decathlon, et je voyageais beaucoup. Je suis notamment allé au Japon, en Inde, en Chine, en Turquie. Partout, j’ai constaté que les agriculteurs avaient un téléphone portable, qu’ils utilisaient comme un outil de divertissement et non pas comme un outil professionnel. Petit à petit, l’idée a germé en moi que le téléphone pourrait transformer le travail des agriculteurs et des techniciens, et même devenir le centre de l’innovation en agriculture.
Avant de me lancer, j’ai rencontré des agriculteurs. Tous m’ont expliqué que leur principal problème était la pluie. J’ai donc imaginé un pluviomètre connecté, sans câble, sans carte SIM, dont la batterie dure environ cinq ans, réparable et accessible, avec des mesures consultables depuis une application mobile. C’est comme cela que j’ai créé Weenat.
R.A. : Qu’est-ce que Weenat aujourd’hui ?
J.L.R. : Aujourd’hui nous sommes spécialistes de la donnée. De la parcelle au territoire, Weenat fournit les données essentielles sur la météo, le sol et les plantes aux professionnels de l’agriculture. Nous traitons un milliard de données par jour environ en nous appuyant sur notre équipe de data scientists. Les agriculteurs les retrouvent dans l’application Weenat, parce qu’ils ont des capteurs qui vont mesurer et transmettre les données dans l’application, et/ou parce qu’ils utilisent notre solution de météo spatialisée.
Nous proposons aussi de la donnée par API et des études sur-mesure comme les projections agroclimatiques, pour accompagner les acteurs agricoles dans leurs problématiques.
Nous travaillons avec plus de 200 partenaires, dans 9 pays. Nous sommes une soixantaine de salariés, et nous comptons 25 000 utilisateurs. Nous avons notre propre atelier de fabrication à Nantes qui assemble et répare les capteurs. Ainsi nous maîtrisons notre capacité de production.
R.A. : Quels conseils donnez-vous aux start-up pour réussir ?
J.L.R. : Il faut être passionné, avoir confiance, prioriser les investissements, et espérer attirer des talents en leur montrant que l’agriculture offre des perspectives de carrière. C’est important de collaborer avec des personnes qui partagent les mêmes valeurs que vous et avec qui vous avez envie de travailler. C’est même essentiel.
La marche est grande entre trouver ses premiers clients dans les 1 % les plus innovants et férus d’innovation et couvrir 30 % d’un marché : il est utile de bien investir sur chaque phase clé de diffusion de son innovation parfois en direct et parfois grâce à des partenaires.
Pour Weenat, j’ai fait le choix de la rentabilité, de trouver un modèle économique adapté. Je m’étais donné dix ans. Nous y sommes, mais chaque jour de nouvelles opportunités apparaissent. Il faut savoir les saisir quand elles sont adaptées à son entreprise et à ses clients ou futurs clients.
Une mise sur le marché prend du temps. Il est crucial d’expérimenter rapidement et de déployer sur le terrain sans délai.
R.A. : Pourquoi avoir créé La Ferme Digitale ?
J.L.R. : En créant La Ferme Digitale nous voulions accroître la visibilité des acteurs du secteur ; rapprocher le producteur du consommateur, grâce à nos entreprises. Nous aidons les entrepreneurs à progresser, nous leur faisons profiter de nos expériences respectives. La Ferme Digitale a été fondée en 2015 avec cinq membres. Aujourd’hui, nous sommes 180 et 600 millions d’euros sont investis par an.
Nos entreprises font preuve d’une grande résilience, mais il faut 8 à 10 ans pour obtenir des résultats, et non 3 à 5 ans. Elles doivent penser rapidement à s’étendre à l’international car la France n’est pas suffisante pour massifier l’innovation. Les start-up d’avant 2020 étaient très différentes de celles d’aujourd’hui. Les jeunes se tournent vers le carbone et les biosolutions. Chaque génération apporte de nouvelles thématiques.
R.A. : Que pensez-vous de l’intelligence artificielle ?
J.L.R. : On entend parler partout de l’intelligence artificielle, mais je pense que le sujet est ailleurs. La véritable nouveauté, c’est l’IA générative. Cette technologie a besoin d’être entraînée avec un très grand nombre de données pour être fiable. Nous devons accepter de partager nos données pour obtenir des réponses précises. Ces datas doivent être structurées, organisées et sécurisées pour devenir utilisables.
Si je souhaite que les technico-commerciaux reçoivent le bon SMS avec la réponse adéquate, il faudra un long historique de données. Demain, les technico-commerciaux poseront des questions à l’IA, car les agriculteurs le feront. Il est crucial que les entreprises soient en avance.