Engrais, « Nous avons perdu la notion de réapprovisionnement et de nouvelle campagne »
Le | Agrofournisseurs
Déjà fortement haussier l’an passé, le marché des engrais subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine. Après une légère détente au mois de février, les prix ont fortement augmenté, et les disponibilités à venir sont incertaines. Face à ces risques de pénurie, les agriculteurs pensent déjà aux achats pour la campagne prochaine.
Le début de la guerre a mis fin à la relative détente observée en février sur le marché de l’engrais, et aux premières offres pour la campagne 2023. Avec le retrait de nombreux fournisseurs, les prix se sont à nouveau emballés. « Deux fournisseurs biélorusses importent leurs engrais azotés en France, et nous ne pourrons pas compter sur eux, au moins pour cette année, déplore Pierre-Antoine Foreau, co-fondateur et directeur de ComparateurAgricole.com. Nous ne savons pas combien de temps la situation va durer, ni si les fournisseurs, sur place, continueront à produire des engrais. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas être livrés car la logistique est compliquée. »
Des approvisionnements en prévision de la campagne 2023
Réaction, les marchés se sont à nouveau emballés : récemment, l’ammonitrate 33.5 est ressorti à 990 €/t vrac rendu culture, l’urée est partie à 1 050 €/t départ La Pallice et la solution azotée atteindrait également les 900 €/t. Surtout, les fournisseurs ne sont pas en mesure de s’engager sur des volumes pour la campagne 2023, n’ayant pas de certitudes de pouvoir les produire et les livrer. « Le problème, ce n’est pas seulement le prix mais surtout la disponibilité. Même si l’on voulait s’engager, il n’y a pas d’offres pour la campagne prochaine », indique Denis Lepers, directeur appro production végétale pour Unéal.
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Pour Pierre-Antoine Foreau, directeur de ComparateurAgricole.com, le prix de l’engrais rapporté à la tonne de blé va être au moins multiplié par trois. © DR[/caption]
« Certains agriculteurs achètent des appros, livrés maintenant, pour les mettre en stock en prévision de 2023 », explique Laurent Pasquier, directeur approvisionnement de Cavac. Un phénomène observé également par Pierre-Antoine Foreau : « Il y a un effet de panique, tout le monde veut se couvrir. Nous avons perdu la notion de réapprovisionnement et de nouvelle campagne. »
Doutes sur la rentabilité et la trésorerie
Face à cet empressement, la question de la rentabilité se pose. « Il n’est pas certain que les prix élevés des céréales couvrent les hausses des charges », abonde Laurent Pasquier. Les engrais ne sont pas les seules matières en hausse : le fuel et le GNR subissent également une forte augmentation de leurs tarifs. Alors que les éleveurs subissent déjà la hausse des coûts, les céréaliers craignent, eux aussi, un effet ciseau. « J’ai moi-même une exploitation, précise Pierre-Antoine Foreau, l’engrais m’a coûté 18 €/t l’année dernière et cette année je serai à 62 €/t ramené à la tonne de blé. »
Les responsables appro soulignent un autre problème : les trésoreries risquent d’être insuffisantes pour anticiper les achats. Pierre-Antoine Foreau estime à 30 000 € un camion d’engrais, dont la livraison, et donc le paiement, serait à effectuer avant la moisson. Denis Lepers abonde : « Auparavant, pour une péniche d’ammonitrate, il fallait 200 000 euros de trésorerie. Aujourd’hui, ce montant s’élève entre 900 000 et 950 000 euros. C’est extrêmement compliqué, voire dangereux, pour tout le monde. »
La potasse et les phosphates aussi concernés
D’autant que la potasse et les phosphates sont aussi concernés. « Il n’y a pas non plus d’offres en ce moment, déplore Pierre-Antoine Foreau. Cela va provoquer une hausse des prix, alors que les agriculteurs ont déjà fait l’impasse l’année dernière. Réaliser les apports en PK va être une urgence cet été. L’engrais organique suit la tendance, c’est tout le marché qui est bouleversé. Toute la filière est mobilisée pour couvrir les besoins des agriculteurs et ne pas voir les niveaux de production baisser. »