Engrais, un début d’année atypique, mais de bonnes perspectives pour la morte saison
Le | Agrofournisseurs
Après plusieurs années très chahutées, les cours des engrais sont revenus à des niveaux relativement bas. Pour autant, ce début d’année est marqué par des tendances opposées : la hausse de l’urée et la baisse de la solution azotée et de l’ammonitrate. Les mois à venir semblent prometteurs, malgré la météo qui aurait pu déstabiliser la consommation. Référence agro fait le point avec Alexandre Willekens, consultant marchés pour Agritel.
[caption id=« attachment_130004 » align=« alignleft » width=« 360 »]
Alexandre Willekens, analyste marchés chez Agritel fait le point sur les cours des engrais.[/caption]
Covid, protectionnisme chinois, conflit russo-ukrainien et hausse des tarifs de l’énergie… ces dernières années, les cours des engrais ont été très chahutés par l’actualité internationale. En ce début d’année, les prix sont revenus à des niveaux relativement bas, même si un sursaut se fait sentir du côté de l’urée. Pour décrypter ces tendance, Référence agro s’est entretenu avec Alexandre Willekens, consultant mrchés pour Agritel.
Référence agro : Quelles sont les tendances du marché des engrais azotés, en ce début d’année ?
Alexandre Willekens : Nous faisons face à une situation plutôt spéciale : les cours de l’urée remontent, tandis que ceux de la solution azotée et des ammonitrates baissent. Cela s’explique, pour l’urée, par une hausse de la demande mondiale par les principaux importateurs, Turquie, Italie, Espagne, et par une restriction des exportations de la Chine, qui veut protéger son marché intérieur. L’Inde, qui s’approvisionne majoritairement chez son voisin chinois, reporte sa demande sur l’Egypte, l’un des fournisseurs de l’Europe. Alors comment expliquer que les autres engrais azotés ne suivent pas la tendance ? La solution azotée et l’ammonitrate sont fortement indexés sur le prix du gaz. Pendant longtemps, les cours du gaz étaient drivés par la Russie, mais à la suite du conflit avec l’Ukraine, l’Europe a changé d’approvisionnement, et s’est majoritairement tourné vers les États-Unis et l’Algérie. Cette année, les Européens ont constitué des stocks de gaz très en avance, et l’hiver est doux : le marché du gaz est baissier, et l’ammonitrate et la solution azotée aussi. Bien sûr, si les tensions se poursuivent sur l’urée, la tendance pourrait changer, mais nous n’imaginons pas revenir dans un scénario tel que celui que nous avons vécu ces trois dernières années.
Février 2024 | Janvier 2024 | Février 2023 | Mars 2022 (le plus haut) | Juin 2023 (le + bas depuis le conflit) | Moyenne avant le conflit | |
Urée Franco Atlantique | 365 € /t | 337 €/t | 430 €/t | 1000 €/t | 300 €/t | 250 - 300 €/t |
Solution azotée FOT Rouen | 255 €/t | 282 €/t | 527 €/t | 875 €/t | 225 €/t | 250 €/t |
Ammonitrates 33,5 % Franco France | 362 €/t | 392 €/t | 570 €/t | 1200 €/t | 325 €/t | 250 - 300 €/t |
Évolution des prix des engrais azotés depuis le conflit russe
Comment les distributeurs envisagent-ils la saison ?
A.W. : Nous arrivons dans la période où il va falloir commencer à livrer les tonnages d’engrais azotés pour les apports de printemps. Même s’il y a toujours de légères tensions logistiques, les distributeurs avec qui nous échangeons sont moins inquiets que pour les années précédentes, car les agriculteurs se sont plutôt bien couverts au fur et à mesure. Pour les blés et les orges d’hiver, les agriculteurs sont couverts, il restera des besoins sur le maïs. Même avec un rebond de l’urée, nous aurons une morte saison et des prix moins élevés que les cours actuels.
Les pluies massives des derniers mois ont compliqué les semis des céréales d’hiver. Cela aura-t-il un impact sur la consommation d’engrais ?
A. W. : Cela dépend de ce que les agriculteurs vont emblaver. Dans le Nord de la France, la culture principale qui devrait remplacer les blés, c’est l’orge de printemps. Les besoins d’azote sont certes un petit peu moins élevés que pour le blé, mais ils demeurent importants, la consommation d’engrais devrait ainsi peu varier. Dans l’Ouest et le Sud-Ouest, il pourrait y avoir une baisse des besoins en azote sur les surfaces de blé remplacées par du tournesol. Cela étant, cette diminution pourrait être contrecarrée en raison de la mobilisation des agriculteurs. En effet, la Commission européenne pourrait octroyer une nouvelle dérogation concernant les 4 % de jachère, donc nous retrouverons de la consommation d’engrais pour ces surfaces.
Quelle est la situation des engrais de fond ?
A. W. : Sur la potasse, il y a eu de nombreuses tensions au début du conflit, car la Russie et la Biélorussie, tous deux frappés de sanctions européennes, sont les principaux producteurs mondiaux. La Biélorussie notamment, n’a plus pu exporter ses produits par la Lituanie, ce qui a mis un coup d’arrêt à ses exportations. Depuis, sa potasse transite par le nord de la Russie et la mer baltique, et les marchés se sont apaisés. Les prix sont à 390 €/t , encore au-dessus des cours d’avant le conflit, qui étaient autour de 300 €/t. En août 2022, ils avaient atteint 900 €/t. Quant aux phosphates, la disponibilité est bonne chez les principaux exportateurs, notamment au Moyen-Orient. Il y a quelques inquiétudes chez ces certains producteurs pour la livraison de leurs clients asiatiques, en raison de l’instabilité du Canal de Suez et de la Mer Rouge, mais nous manquons globalement d’informations sur les phosphates. Les cours sont de 660€/t, contre 500 €/t cet été, et 1150 €/t en 2022. Sur ces engrais de fond, il y a eu de nombreuses impasses ces dernières années, et les distributeurs ne sont pas sûrs de revenir à ce qu’était le marché auparavant. D’autant que face au manque de disponibilités et aux prix prohibitifs, des alternatives organiques existent.