« En viticulture, la pulvérisation est mal maîtrisée », Corentin Leroux, Aspexit
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La pulvérisation, mal appréhendée par un grand nombre de viticulteurs ? C’est le constat dressé par l’ingénieur agronome, Corentin Leroux, auteur d’une synthèse sur le sujet. Selon lui, les viticulteurs, mais aussi les personnes les accompagnant, sont encore trop peu formées à ces pratiques. Bien mises en place, ces dernières pourraient être un levier à activer pour atteindre les objectifs du plan Écophyto. Explications.
L’agro-équipement, un levier majeur pour répondre aux objectifs d’Écophyto dans la filière viticole française. C’est le titre d’un rapport rédigé par Corentin Leroux, ingénieur agronome, et fondateur de la société Aspexit, centrée sur la thématique de l’agriculture de précision. Fruit de plusieurs mois de travail et de près de 50 heures d’entretien avec des chambres d’agriculture, instituts techniques, constructeurs et ONG, le document dresse un portrait mitigé de l’état de la pulvérisation en viticulture : ces pratiques seraient peu maîtrisées par les viticulteurs, mais aussi les personnes les conseillant. Pourtant, selon l’auteur du rapport, la pulvérisation, mieux mise en place, pourrait faire partie d’un éventail de solutions pour atteindre les objectifs du plan Écophyto.
Référence agro : Pourquoi avez-vous réalisé cette synthèse sur les agroéquipements en viticulture ?
Corentin Leroux : Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, il n’existait pas de vrai travail de synthèse. En tant qu’ingénieur agronome, j’ai eu envie d’en savoir plus. Je me suis rapidement rendu compte qu’il y avait un problème, notamment sur les réglages des pulvérisateurs. Une bonne utilisation des agroéquipements pourrait permettre de répondre aux enjeux environnementaux et être un levier fort du plan Écophyto. Mais ces objectifs ne pourront être atteints si ces équipements sont mal réglés. Quels que soient les produits, et d’autant plus avec des produits de biocontrôle, si l’application n’est pas réalisée de manière précise, le traitement ne sera pas efficace. Certains viticulteurs maîtrisent parfaitement ces pratiques, mais ce n’est malheureusement pas le cas de tous.
R.A. : Comment expliquer ce manque de maîtrise de la pulvérisation dans la filière ?
C.L. : La faute est partagée, mon travail n’est pas un rapport à charge contre les viticulteurs, bien au contraire. N’oublions pas qu’ils ont une énorme pression concernant la santé de leurs récoltes. Réduire les doses est aussi un risque pour eux. Si la production est perdue, qui va prendre la responsabilité de ces pertes ? La pulvérisation est un sujet très technique et complexe. Le manque de formation à ce sujet dans le secteur agricole n’arrange rien. En tant qu’ingénieur agro, par exemple, je n’avais aucune information sur la pulvérisation et son fonctionnement. Les agriculteurs s’attendent à ce que les machines soient déjà correctement réglées. Il faut davantage les former, mais aussi les concessionnaires, les conseillers. La pulvérisation est un mal nécessaire, les viticulteurs ne sont pas contents de le faire mais ils en ont besoin pour protéger leurs cultures. Les experts que j’ai interviewés sont, en grande partie, des gens de terrain, mais malheureusement, beaucoup de personnes qui traitent de ce sujet n’y vont pas assez.
R.A. : Quels sont les leviers d’action à mettre en place ?
C.L. : La pulvérisation demeure un sujet tabou, mais des solutions techniques existent. Une première étape serait de faire progresser la filière vers des bonnes pratiques de base : connaissance de la surface réellement plantée, avoir un manomètre et débitmètre fonctionnel, disposer d’une mesure précise de la vitesse d’avancement du tracteur, ne pas avoir de buses bouchées, etc. Toutes ces petites choses accumulées peuvent avoir un final un grand impact. Commençons par bien faire les choses. Pour aller plus loin, les viticulteurs doivent être accompagnés financièrement, notamment pour acheter du matériel performant. Par ailleurs, les Certiphyto doivent inclure le sujet des agroéquipements, des sessions de plusieurs jours pour expliquer le fonctionnement et les réglages des pulvérisateurs sont à organiser. La pulvérisation n’est pas le sujet le plus drôle du monde. Aux acteurs entourant et conseillant les viticulteurs de rendre cela stimulant et sexy ! Un vrai travail de vulgarisation est à mener.
R.A. : Voyez-vous néanmoins des évolutions dans la prise en compte de ce sujet ?
C.L. : Il y a effectivement des travaux en cours pour faire évoluer les modes d’expression de la dose - actuellement par hectare cadastral - pour pouvoir plus facilement moduler les apports de produits dans le temps en fonction de l’expression végétative de la vigne. Il y a des prises de conscience dans les derniers plans Écophyto de l’intérêt de l’agro-équipement pour améliorer la qualité de la pulvérisation. Il y a également des travaux menés pour labelliser les pulvérisateurs en fonction de leur performance. Tout ça va dans le bon sens, c’est certain. Mais il faut beaucoup plus de relation avec le terrain, de la formation et de l’accompagnement.