« Généraliser l’ovosexage sur les œufs français en 2022 reste un défi ! », Maxime Quentin (Itavi)
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Où en est la France dans son engagement d’en finir avec l’élimination des poussins mâles à horizon 2022 ? Si les solutions techniques semblent gagner en fiabilité, la question des coûts, entre autres, reste encore à dénouer. Maxime Quentin, directeur scientifique de l’Institut technique de l’aviculture (Itavi), fait le point pour Référence Agro.
Référence Agro : Quelles sont les démarches initiées par la France pour avancer sur la question de l’ovosexage, presque deux ans après avoir pris l’engagement de sortir de l’élimination des poussins mâles d’ici à 2022 ?
Maxime Quentin : Cet engagement avait été pris avec l’Allemagne. Le Covid-19 a compliqué le travail bilatéral. Chaque pays a avancé de son côté. Les Allemands ont voté un projet de loi dédié, qui entre en vigueur début 2022. La France n’a, à ma connaissance, pas entamé de processus législatif. Mais Julien Denormandie insiste pour que nous ne relâchions pas nos efforts. Un projet Casdar centré sur cette thématique, Yoong, a été lancé en novembre 2020 pour évaluer les différentes méthodes existantes.
R.A. : Quelles sont ces méthodes à l’heure actuelle ?
M.Q. : Deux méthodes sont déjà présentes en France au stade de la commercialisation. La première intègre la démarche de certification Respeggt, créée en Allemagne. Elle nécessite un prélèvement de liquide allantoïque en vue d’une analyse. La seconde est également issue d’Allemagne, développée par la société Agri Advance Technology (AAT). Elle s’appuie sur l’imagerie hyperspectrale couplée à un algorithme d’intelligence artificielle qui permet de caractériser la couleur du duvet, et ainsi d’en déduire le sexe des œufs. Elle est néanmoins utilisable seulement sur les œufs bruns. Une troisième méthode développée par la start-up néerlandaise In-ovo propose depuis peu une méthode invasive basée sur le dosage de molécules du liquide allantoïdien, elle n’est pas présente en France à ce jour. Beaucoup d’autres stratégies d’ovosexage sont en cours de développement, car l’enjeu est aujourd’hui mondial !
R.A. : Quels sont les prix des méthodes d’ovosexage ?
M.Q. : La méthode AAT est estimée à environ 0,4 centime par œuf, contre 1,4 centime par œuf pour Respeggt, avec des taux d’erreurs de sexage aux alentours de 2 %. Mais les coûts présentés ne concernent que la prestation d’ovosexage. Ils ne prennent pas en compte les investissements matériels et l’entretien des machines au couvoir, les frais induits par la gestion de la traçabilité des lots ou des nouvelles gammes, créés tout au long de la filière. Et comme on reste aujourd’hui sur une échelle très faible, avec des applications de ces méthodes encore marginales au niveau français, nous avons encore besoin d’affiner ces coûts pour un déploiement large. Sur cette base de prix, toutefois, on peut d’ores et déjà estimer que généraliser l’ovosexage en France reviendrait à 64 M€ par an, soit près 4 % du chiffre d’affaires de la filière (source CNPO). La question du transfert du coût de l’ovosexage au consommateur est posée. Ce dernier est disposé à payer plus, mais peut-il tout assumer ? Le Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO) travaille ce sujet. La distribution, qui est présente au sein de l’interprofession de la filière, est également dans la discussion.
R.A. : En dehors du prix, quels sont les critères de jugement utilisés par Yoong pour évaluer ces méthodes ?
M.Q. : Nous évaluons en premier leur applicabilité et leur innocuité. Respeggt, par exemple, est une méthode dite « semi-invasive » car elle nécessite un prélèvement de liquide allantoïdien mais la technique est particulièrement fine. La méthode AAT est non invasive car elle utilise l’imagerie mais elle n’est cependant efficace que sur les œufs bruns. Respeggt permet un sexage après neuf jours d’incubation, AAT après treize. Ce qui pose la question éthique d’une nouvelle manière, car arrêter le broyage des poussins à un jour pour broyer des embryons sensibles ne représente pas un progrès en soi ! Aujourd’hui, les scientifiques estiment que la connexion entre le cerveau et les nerfs n’intervient pas avant sept jours, la conscience apparaîtrait après 15 jours de développement, donc la douleur ne peut être intégré avant cet âge, mais cette sensibilité de l’embryon est finalement mal connue entre 7 et 15 jours de développement. En la matière, les Allemands ont inscrit dans la loi l’objectif de trouver une méthode de sexage à sept jours d’ici à 2024. A ce jour aucune méthode ne permet d’y arriver efficacement.
R.A. : Dans ce contexte, vous semble-t-il réaliste de tenir les délais, et d’en finir avec l’élimination des poussins mâles en 2022 ?
M.Q. : Cela reste envisageable progressivement ! Mais la question mobilise les professionnels, et les solutions concrètes existent, même si nous devons encore mieux les caractériser et apporter de la sécurité et de la visibilité pour le long terme. Il est certain que la généralisation de ces méthodes reste un défi, car au-delà de leurs coûts, elles nécessitent de réussir à équiper tous les couvoirs avec un matériel produit par peu de fabricants, avec également des changements non négligeables tout au long de la filière. Il faut aussi être conscient des risques économiques, plus particulièrement pour la filière des ovoproduits. Le secteur est très concurrentiel, mobilisé vers la fin de l’élevage en cage, qui a ses propres coûts et contraintes. L’ovosexage pour cette filière est un grand risque, celui d’une distorsion de concurrence avec les entreprises étrangères, qui mérite que la problématique de l’élimination du poussin mâle soit portée au minimum à l’échelle européenne. Pour la France, pays autosuffisant en œuf, c’est une question de souveraineté alimentaire et la fin de l’élimination du poussin mâle est potentiellement une porte ouverte à l’importation de produits étrangers.