Les coopératives du chanvre à l’heure des choix
Le
CBD, cannabis thérapeutique… De nouveaux débouchés s’ouvrent aux producteurs de chanvre industriel. Ces opportunités dépendent toutefois d’une évolution réglementaire en devenir.
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La coopérative Interval (Eurochanvre), dont Philippe Guichard est le directeur s’intéresse au cannabis thérapeutique. ©Snezana Gerbault[/caption]
Les coopératives pionnières du chanvre dans les années 70 se comptent sur les doigts de la main. La Chanvrière de l’Aube près de Troyes, Interval (Eurochanvre) en Bourgogne, Groupe Cavac en Vendée… furent parmi les premiers à relancer la culture de cette plante frugale en eau et pesticides. S’ajoute Planète Chanvre, qui fédère, dans la Marne, des agriculteurs dans un esprit proche de celui de la coopération. Grâce à leur ténacité, la France est leader de la production de chanvre en Europe avec 17 000 hectares.
Ce retour de Cannabis sativa L. ne fut pas un long fleuve tranquille. Les coop ont dû développer des outils spécifiques afin de transformer la fibre pour les isolants et les vêtements, les bioplastiques… Il a aussi fallu convaincre les autorités publiques que seules des variétés sans danger pour la santé seront cultivées dans les champs.
Ces cinq dernières années, les chanvrières naviguent carrément en mer agitée. Sous la pression de l’opinion publique et de l’Union européenne, deux nouveaux marchés s’ouvrent progressivement. Le premier concerne le CBD ou cannabidiol, molécule dont les effets relaxants ne sont pas addictifs. Huiles, cosmétiques, liquides pour vapoter, alimentation… les produits abondent dans une multitude de boutiques. Une vraie explosion commerciale encore mal réglementée.
Le deuxième marché, celui du cannabis thérapeutique est beaucoup plus encadré. Une expérimentation dans plusieurs CHU français doit déterminer les conditions de production et de distribution de médicaments à base d’extraits de cannabis à l’horizon… 2023, autant dire qu’il va falloir s’armer de patience.
Incertitudes autour du CBD
Dans l’immédiat le marché du CBD semble le plus prometteur. « Nous sommes prudents et attendons une clarification de la réglementation, précise un responsable de coopérative qui tient à rester anonyme. Il faut absolument éviter toute confusion avec la drogue qui pénaliserait tous les efforts entrepris sur le chanvre industriel. »
De fait, les règles du jeu concernant le CBD ne sont pas encore stabilisées en France. Certes, dans son arrêt Kanavape de novembre 2020, la cour de justice de l’union européenne (CUEJ) a bien spécifié que le CBD n’était pas une stupéfiant. De plus, un projet d’arrêté qui autorise la production et la commercialisation de CBD en France a été notifié en juillet 2021 à la commission européenne. Les plus optimistes espèrent un texte définitif en fin d’année.
Sans attendre, des producteurs locaux, des importateurs et des commerçants se positionnent sur ce marché en plein boom quitte à flirter avec la légalité pour faire bouger les lignes. Les coopératives agricoles ne peuvent se permettre un tel militantisme. Conséquence : elles se retrouvent distancées. « Le marché est déjà saturé de nouvelles marques, reconnaît ce même dirigeant. Nous n’irons pas batailler sur le terrain du marketing. En revanche, la demande est si forte du côté des consommateurs que nous pouvons fournir ces marques, en assurant la première transformation en huile par exemple. »
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Après la récolte et le rouissage sur les champs, le chanvre est stocké dans les entrepôts d’Interval (Eurochanvre) en Haute-Saône. ©Snezana Gerbault[/caption]
Cannabis thérapeutique : rendez-vous en 2023
Autre dilemme, le cannabis thérapeutique. « Cette culture nous intéresse, reconnaît Philippe Guichard, directeur de la coopérative Interval (Eurochanvre). Cela concernera sans doute moins d’un hectare de serre, certainement en pots avec des systèmes très sophistiqués de contrôle. » La coopérative fait partie des premiers adhérents de l’association Santé France Cannabis qui constitue l’amorce d’une filière tricolore de cannabis médical. En plus d’Interval, une autre coopérative, Hemp-it, située près d’Angers et spécialiste de création variétale de semences de chanvre, adhère à cette structure. Les deux coop côtoient une dizaine de laboratoires pharmaceutiques (StaniPharm, Boiron…).
Tous suivent de très près l’évolution de l’expérimentation encadrée par l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) sur des patients atteints de douleurs neuropathiques sévères, sclérose en plaque, d’épilepsie…
Faute d’autorisation de produire en France où le cannabis est considéré comme un stupéfiant, les médecins testent des produits importés d’Amérique du Nord, d’Australie ou encore d’Israël. Une situation regrettable au regard de la souveraineté. « Nous attendons des autorisations avant de nous lancer. Il n’est pas question de devancer la loi, précise Philippe Guichard. Nous sommes en retard par rapport aux spécialistes étrangers, partis les premiers sur le thérapeutique. Il faudrait que la future loi impose des fournisseurs nationaux pour fabriquer les médicaments. »
Gare à la caricature
L’agenda politique n’est guère favorable à une évolution rapide. Les débats avant les élections présidentielles n’incitent guère à la nuance. Or l’amalgame est facile entre cannabis thérapeutique et récréatif. Pourtant, la mission parlementaire sur les usages du cannabis présidée par le député Robin Reda -vice-président de Libres ! aux côtés de Valérie Pécresse- a pris soin de publier des rapports distincts pour chaque type de cannabis. Le dernier opus publié en mai 2020 préconise une légalisation encadrée du cannabis récréatif. Mais l’échéance semble tellement lointaine et improbable que l’heure reste au statu-quo.
Marie Nicot