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La France se dote d’une loi sur la biodiversité

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Après un long parcours législatif de plus de deux ans, les députés ont adopté le 20 juillet la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Une première en France, quarante ans après la loi sur la protection de la nature de 1976. Promise par François Hollande et actée par la feuille de route pour la transition écologique de septembre 2012, le projet a été présenté en conseil des ministres le 26 mars 2014. Pendant 27 mois, le projet de texte a fait l’objet d’une bataille acharnée entre les députés et les sénateurs, échouant à trouver un accord en commission mixte paritaire le 1er juin. De nombreux points de désaccord ont concerné l’agriculture. Les néonicotinoïdes (voir notre article Néonicotinoïdes : interdiction au 1er septembre 2018, dérogations possibles jusqu’au 1er juillet 2020), la compensation écologique, la protection intellectuelle sur les semences, les obligations réelles environnementales, les zones prioritaires pour la biodiversité, la taxation sur l'huile de palme ont suscité des débats houleux jusqu’au bout.

L’Agence française de la biodiversité, un point central

Quoiqu’il en soit, la loi sur la biodiversité devrait permettre des avancées majeures en la matière. Une des mesures phares est la création de l'Agence française de la biodiversité, AFB. Elle sera effective au 1er janvier 2017, avec des déclinaisons régionales. Objectif : coordonner les politiques en faveur des milieux naturels, conseiller les élus et les aménageurs du territoire, et exercer une police de l’environnement. Elle regroupera les 1 200 agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, de l’Atelier technique des espaces naturels, de l’Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux de France. L’Office national de la chasse et de la faune sauvage et l’Office national des forêts ont obtenu de conserver leur indépendance et n’intègrent pas l’AFB. Elle sera dotée d’une enveloppe de 226 millions d’euros, soit le budget annuel de fonctionnement des quatre entités, ainsi que de 60 millions supplémentaires la première année au titre des investissements d’avenir. À côté, le Comité national de la biodiversité constituera une instance d’information, d’échanges et de consultation sur les questions stratégiques liées à la biodiversité.

La complémentarité avec l’agriculture reconnue

La loi entérine plusieurs principes, dont celui de la non-régression de la biodiversité. Ensuite, le principe de solidarité écologique appelle à prendre en compte, dans la prise de décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés.

Enfin, le principe de complémentarité entre l’environnement, l’agriculture, l’aquaculture et la gestion durable des forêts est acté. Ces surfaces sont reconnues comme porteuses d’une biodiversité spécifique et variée. Les activités concernant ces domaines « peuvent être vecteurs d’interactions écosystémiques garantissant, d’une part, la préservation des continuités écologiques et, d’autre part, des services environnementaux qui utilisent les fonctions écologiques d’un écosystème pour restaurer, maintenir ou créer de la biodiversité », indique le texte.

Autre point majeur du texte, celui de la compensation écologique qui doit permettre une absence de perte nette de la biodiversité. Les mesures de compensation doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Le rôle de l’État sera obligatoire, en cas de défaillance d’un opérateur de compensation ou si les mesures ne s’avèrent pas suffisantes. Un inventaire des espaces naturels à fort potentiel de gain écologique susceptibles d’être mobilisés pour ces mesures sera réalisé. Des décrets devraient préciser ce principe.

La loi introduit dans le code civil le préjudice écologique. Il oblige le responsable d’un dommage à l’environnement à le réparer en nature, à défaut, à acquitter des dommages et intérêts. Le délai de prescription sera de dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice. Et non pas à partir du fait générateur. La définition du préjudice reprend celle de la Cour d’appel de Paris dans l’Erika. L’action en justice est ouverte à toute personne « ayant intérêt et qualité à agir ». Le texte cite en exemple l’État, l’AFB, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que les établissements publics et les associations, agréées ou créées depuis au moins cinq ans, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.

Sur l’eau, les comités de bassin voient la création d’un collège dédié aux usagers non économiques. Cette réforme de la gouvernance de l’eau donnera donc plus de poids aux usagers domestiques, et moins aux agriculteurs. Des missions sur la biodiversité terrestre relèvent désormais du ressort des agences de l’eau. « Le champ des redevances a été précisé pour tenir compte de cette compétence », insistent les députés.

La taxation sur l’huile de palme est supprimée, afin d’éviter les conflits avec les pays producteurs. Mais l’Etat se fixe un objectif de proposer dans un délai de six mois une fiscalité sur les huiles végétales.

Des outils de gestion

La loi introduit des outils de gestion de la biodiversité. D’une part, les zones prioritaires pour la biodiversité, fortement discutées entre les députés et les sénateurs, sont maintenues. Objectif : mettre en place des pratiques agricoles pour la conservation d’une espèce sauvage en voie d’extinction. Il s’agira d’abord de définir une zone d’application correspondant à l’aire géographique de l’espèce concernée, et de bâtir ensuite un programme d’actions en faveur de cette espèce et de la maîtrise de son habitat. Un décret fixera les délais. Si à l’issue de cette date, les mesures contractuelles n’ont pas permis de préserver l’espèce, elles peuvent devenir obligatoires. Le délai pourrait être réduit selon les résultats obtenus. Les pratiques agricoles sont susceptibles de bénéficier d’aides lorsqu’elles induisent des surcoûts ou des pertes de revenus.

D’autre part, le texte créé des obligations réelles environnementales, ORE, sur la base du volontariat, qui consistent en des engagements entre propriétaires, agriculteurs, et collectivités. La durée des obligations, les engagements réciproques et les possibilités de révision et de résiliation doivent figurer dans le contrat. Si un propriétaire souhaite mettre en place une ORE, il doit consulter le locataire et les tiers ayant des droits sur le terrain, comme les chasseurs ou les forestiers. L’accord préalable et écrit de tous les preneurs à bail est encadré (l’absence de réponse vaut accord) et les refus devront être motivés. Le texte prévoit d’assurer la publicité foncière des ORE afin de garantir que les propriétaires successifs soient bien informés de l’ORE attachée au terrain. Cela permet de rendre le dispositif opposable aux tiers et de prévenir des conflits entre titulaires de droits concurrents. Un rapport sera réalisé dans un délai de deux ans sur la mise en œuvre du dispositif.

Enfin, la possibilité d’identifier des espaces de continuité écologique, ECE, dans les plans locaux d’urbanisme et d’élaborer des prescriptions, est maintenue. Objectif : finaliser le dispositif de la trame verte et bleue, TVB. Les ECE seront définis dans le code de l’urbanisme.