« L’agriculture prend progressivement sa place dans les Cop », Précila Rambhunjun, FARM
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Organisée du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï, la Cop 28 a accordé une place plus affirmée à l’agriculture, incarnée par la prise de plusieurs engagements, n’ayant cependant aucune portée contraignante. Explications avec Précila Rambhunjun, responsable d’études au sein de la Fondation FARM, autrice d’une note sur le sujet.
Référence agro : Quelle place a été accordée à l’agriculture dans la Cop28 ?
Précila Rambhunjun : La présidence émiratie de la Cop28 avait formulé, dès le moment de sa candidature, sa volonté de faire davantage apparaître l’agriculture dans les débats, voire dans les engagements pris. C’est l’aboutissement du processus de Koronovia engagé en 2017, qui avait pour objectif de préciser la place des questions agricoles dans les négociations. Les enjeux agricoles et alimentaires sont de plus en plus souvent abordés, même si les actions à déployer sont encore insuffisamment détaillées. Au départ, les Cop étaient avant tout un moyen de discuter de la mise en œuvre de mesures d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Progressivement, les questions d’adaptation ont également émergé. Le secteur agricole avait alors toute sa place dans les négociations puisqu’à la fois responsable, victime et solution face au changement climatique, avec notamment un potentiel important de captation de carbone dans ses sols.
R.A. : Des engagements ont-ils été pris sur le sujet agricole ?
P.R. : Le point fort a été la signature d’une déclaration commune sur l’agriculture durable et les systèmes alimentaires résilients. Cela finalise le processus engagé lors de la Cop23 et donne le positionnement des États sur ces enjeux. Néanmoins, ce texte n’est pas contraignant, les objectifs ne sont pas chiffrés et pour l’heure, aucun plan d’action n’a été précisé. Cette déclaration relève finalement plus d’une annonce que d’un réel engagement. La volonté d’intégrer dans les plans nationaux, d’ici à 2025, des mesures de transition agricole et alimentaire est néanmoins affichée.
La FAO a pour sa part rédigé une feuille de route, présentée lors de la Cop, qui donne un nouvel éclairage à cette déclaration. Ce document donne des pistes d’actions, dans les domaines de l’élevage, des sols et de l’eau ou du gaspillage alimentaire. C’est un plan d’action informel : les États ne l’ont pas signée. L’agriculture prend peu à peu sa place dans les Cop, c’est une bonne nouvelle et les signaux sont encourageants, même si du chemin reste à parcourir. Par exemple, les engagements financiers pris en faveur de l’agriculture et des systèmes alimentaires restent insuffisants, représentant seulement 1,3 Mrd $, soit 1,5 % des engagements globaux.
R.A. : De quelle manière l’accord trouvé par les États peut toucher l’agriculture ?
P.R. : Le secteur agricole est concerné par d’autres engagements, de manière plus indirecte. C’est notamment le cas du fonds « pertes et dommages », discuté depuis plusieurs années, et dont l’opérationnalisation a été votée lors de la Cop28. Son objectif est de soutenir les pays touchés par des événements climatiques extrêmes, comme des inondations ou des sécheresses, qui peuvent avoir un fort impact sur l’agriculture. Ce fonds sera hébergé par la Banque mondiale et géré par un conseil d’administration composé de 14 pays en développement et 12 pays développés. Celui-ci doit cependant encore être constitué et, là encore, aucun objectif chiffré n’a été pris. Si l’on met bout à bout les premières promesses financières faites lors de la Cop et dédiées à ce fonds, nous arrivons à un total d’environ 800 M$. Or, plusieurs études estiment plutôt les besoins entre 290 et 580 milliards de dollars pour 2030. À noter également, l’annonce par le président brésilien Lula d’un programme « zéro déforestation » pour 2030. Ce plan prévoit également de reconvertir 40 Mha de terres dégradées par l’agrobusiness et l’élevage. La question du modèle agricole qui sera déployé à l’avenir sur ces terres réhabilitées se pose. Lula souhaite inspirer d’autres pays amazoniens à rejoindre cet objectif ambitieux.
Enfin, la Cop28 se clôt avec un accord signé par 200 pays et mentionnant pour la première fois la « transition hors des énergies fossiles ». C’est un signal important pour une Cop ayant lieu aux Émirats arabes unies, un grand producteur de pétrole. Cette annonce concerne particulièrement l’agriculture et les systèmes alimentaires, fortement émetteurs de gaz à effet de serre et consommateurs importants d’énergies fossiles, en particulier dans les pays en développement. Il s’agit donc d’un défi de taille pour les systèmes alimentaires. N’oublions pas que ces négociations sont climatiques mais avant tout diplomatiques. Aux États d’appliquer individuellement des actions plus concrètes, à la société civile d’y veiller et au secteur privé de véritablement se mobiliser pour permettre la réalisation de ces différents engagements.
>> Consulter la note rédigée par Précila Rambhunjun, responsable d’études au sein de la Fondation FARM, sur la Cop 28 et l’agriculture