PLOA : « La transmission est le parent pauvre des politiques » (A. Gaillot, JA)
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La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a auditionné, le 10 avril 2024, Arnaud Gaillot, président des Jeunes agriculteurs (JA), ainsi que Julien Rouger, membre du bureau, dans le cadre du cycle d’auditions préalables à l’examen du projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
« Sur nos cinq priorités, le renouvellement des générations est un défi énorme : plus de la moitié de nos agriculteurs et agricultrices qui pourront prétendre à partir en retraite. Dans cette loi, il manque les mesures transmission. Depuis le Salon de l’agriculture, nous tardons de voir apparaître la mission annoncée par le Gouvernement, censée travailler sur les réponses à apporter à la question de la transmission. Nous le regrettons assez fortement. L’angle de la transmission est, depuis des années, le parent pauvre des politiques publiques », déclare Arnaud Gaillot, président des Jeunes Agriculteurs (JA), lors de son audition devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 10 avril 2024. Cette commission auditionnait Arnaud Gaillot, ainsi que Julien Rouger, membre du bureau des JA, dans le cadre du cycle d’auditions préalables à l’examen du projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
Un modèle de transmission « pas assez adapté et renforcé »
« Nos modèles de transmission dans ce pays correspondent à une agriculture d’un temps donné, sous les grandes lois Pisani. Les nouvelles transmissions sont de plus en plus avec des jeunes ou des moins jeunes pas forcément issus du milieu agricole. Et même dans les transmissions familiales, je n’ai jamais vu des exploitations qui se donnent gratuitement. Quand il y a des frères et sœurs, c’est aussi des coûts. Notre modèle de transmission n’est pas assez adapté et renforcé pour le monde agricole actuel, mais aussi pour tous ces jeunes hommes et femmes qui voudront intégrer le métier et qui auront envie de faire le métier différemment de ce qu’on connaît aujourd’hui : pas forcément des carrières longues, soit qui rentreront tardivement dans le métier, soit qui en ressortiront plus rapidement », a indiqué le président des JA.
« Nous portons une ambition autour d’un diagnostic modulaire de l’exploitation agricole, afin d’avoir un passage en revue de tous les points d’une exploitation : que ce soit sa capacité à s’adapter au changement climatique, que ce soit sur ses filières, ses bâtiments, son système parcellaire, son système d’exploitation… Qu’on ait un vrai diagnostic pour savoir où le repreneur ou la repreneuse met les pieds », a-t-il également préconisé.
Arnaud Gaillot poursuit : « Il est primordial d’avoir une obligation de passage à France service agriculture, un guichet unique. 95 % des gens étant passés par les dispositifs d’installations sont cinq ou même dix ans après encore installés. Il y a un décalage de plus de 10 points avec ceux qui ne passent pas par ces dispositifs. Le fait d’avoir un seul et même point, très bien identifié aux yeux du monde extérieur agricole, serait une vraie force. Que les gens puissent avoir un endroit avec tous les conseils nécessaires pour une bonne installation ou une bonne transmission. »
« Nous assumons de ne pas avoir trop élargi la question du foncier agricole dans cette loi. Nous ne sommes pas dupes : ce n’est pas à Jeunes Agriculteurs que vous expliquerez que sans foncier agricole il n’y a pas d’installation. Mais c’est prématuré de le traiter à l’heure actuelle. Il faut une étude des parties prenantes avant d’arriver à la loi », estime-t-il.
« Au vu du changement climatique et des épisodes que connaît ce pays depuis quelques années, c’est un enjeu primordial de réfléchir à du stockage d’eau collectif, à des projets qui collent à des territoires. Quand on voit encore toute l’eau qui est tombée depuis octobre 2023, et qui pourtant ne nous met pas à l’abri d’être dans une sécheresse sans précédent dans quelques mois. Quand on voit qu’on est capable de transporter du gaz ou du pétrole sur des milliers de kilomètres, et qu’à côté de cela on est incapable d’assurer l’accès à de l’eau. Sortons par pitié du dogmatisme que telle ou telle personne voudrait s’accaparer de l’eau. L’eau est un bien commun que nous n’avons jamais remis en cause. Mais chacun doit y avoir accès et n’ayons pas peur d’utiliser les termes de réserve ou de stockage », revendique Arnaud Gaillot.
« Nous avons besoin d’avoir la garantie qu’on cadre la volumétrie du GFAI » (Julien Rouger, JA)
Intervenant sur le sujet du Groupement foncier agricole d’investissement (GFAI), Julien Rouger déclare : « Dans l’état actuel de son écriture, il ne nous convient pas. Nous souhaitons l’améliorer avec des éléments structurants pour rassurer l’ensemble des organisations professionnelles sur la capacité à faire rentrer de l’argent extérieur pour porter le foncier et le capital. Dans l’écriture actuelle, nous ne voyons pas de priorisation à l’installation, ni de garde-fou et d’assurance claire, nette et précise que ce GFAI est bien soumis à la loi Sempastous et aux différents contrôles de régulation du foncier. C’est induit, soit, mais c’est bien de le repréciser, de clarifier ces éléments pour rassurer tout le monde ».
« Il y a aussi la question de la limitation de la taille de ce GFAI, puisqu’il n’est pas fixé dans la loi. C’est une crainte. Nous avons besoin d’avoir la garantie qu’on cadre la volumétrie de cet instrument financier, ainsi que de différents ensembles pour garantir que les exploitants, qui sont dans ces GFAI, restent majoritaires et prioritaires pour l’achat des parts, et resteront bien aux manettes de cet aspect foncier », ajoute-t-il.
« Mettre aussi en cohérence des outils qui existent aujourd’hui, notamment la Déclaration d’intention de cessation d’activité agricole (DICAA) envoyée par la Mutualité sociale agricole (MSA) aux agriculteurs, qui doit être renvoyée à la Chambre d’agriculture. Dans le texte de loi, il est prévu une transmission des informations de la MSA vers les Chambres d’agriculture. De ce fait, cette DICAA n’a plus lieu d’être. Nous proposons, en lien avec la DICAA que nous souhaitons supprimer, de faire en sorte que l’attestation de passage à France service agriculture soit une pièce constitutive pour monter son projet de retraite. Cela permet à la fois de transformer les outils existants, de créer un nouveau système et de le simplifier avec cette attestation de passage beaucoup plus fonctionnelle et opérationnelle que ce qu’on peut avoir avec la DICAA, déclare Julien Rouger. Cette réforme de France service agriculture nous permettra de répondre à certaines critiques, notamment du CGAAER, sur la perte de candidats qu’on avait juste après le guichet unique. Grâce à ce niveau dispositif, nous arriverons à mieux les capter, mieux les accompagner et mieux les installer. »
Sur le thème du foncier agricole, il développe : « Quand nous en discutons avec les différentes organisations professionnelles, nous avons énormément de mal à nous mettre d’accord sur un tronc commun d’améliorations. En s’emparant du sujet à travers notre rapport d’orientation, qui sera débattu avec l’ensemble de notre réseau et validé lors de notre congrès début juin, nous pourrons être cette locomotive manquante sur le sujet et sur les évolutions que notre réseau jugera nécessaires. Le foncier est l’un des sujets les plus importants pour la question de l’installation et il n’est pas traité dans cette loi. Nous en sommes nous aussi déçus, mais nous partageons le constat qu’il n’y a pas de locomotive sur ce sujet, nous voulons l’être. Oui, il y a le portage. Oui, il y a le stockage. Mais il ne faut pas oublier que la majorité de notre foncier est détenu par de petits propriétaires. Faisons un geste économique fort pour tous les propriétaires qui détiennent le foncier, en leur disant : »Vous mettez à bail un jeune agriculteur, vous jouez le jeu du renouvellement des générations : on est au rendez-vous et on vous garantit que la rémunération de ce foncier dépasse simplement les impôts.« Parce que dans certains territoires, l’impôt foncier absorbe complètement le fermage. »
« Repositionner l’élevage dans des zones où on l’a abandonné »
Reprenant la parole, Arnaud Gaillot déclare : « La France doit être une puissance sur le marché à l’export, parce qu’elle a un rôle de stabilité géopolitique, un rôle de participer à l’alimentation du monde, parce qu’on le veuille ou non, il y a des territoires où ils ne produiront jamais d’alimentation mais il produisent d’autres richesses. Comment être en capacité d’être rémunérateur pour les agriculteurs qui sont sur ces marchés ? Sur le cœur de gamme, malheureusement nous sommes concurrencés par d’autres produits avec des standards différents des nôtres. Il y a deux solutions à cela : soit nous arrivons à faire que ces standards respectent les mêmes règles et ont les mêmes coûts de production que nous pour arriver au même prix sur nos étals ; soit on se repose la question de nos modèles, mais elle demande de l’analyse, du point par point et décortiquer tout cela pour voir où sont nos faiblesses. »
« C’est dommage que les États généraux de l’alimentation (EGA) n’intègrent pas cette loi, mais nous faisons confiance à la mission. Nous sommes pour un renforcement de l’indicateur coût de production défini par les interprofessions dans l’EGA. Mais oui, nous sommes bien conscients que sans rémunération il n’y a pas d’agriculteurs qui vivent dignement de leur métier. Après, ne soyons pas dupes. EGA ne répond qu’à une partie de notre agriculture française. Quand vous êtes sur du marché extérieur ou d’autres marchés, EGA ne répond pas à une partie de nos agriculteurs. Ne laissons pas croire à l’ensemble de notre agriculture française que EGA permettrait de résoudre tous les maux de l’agriculture, même si c’est une des solutions, ce n’est pas la seule. Il faut arriver à faire ce qui était le principe à l’époque d’EGA 1, et avoir enfin un outil qui rémunère dignement les agriculteurs. »
« Sur la vision de la Ferme France à 2050, il y a 200 000 agriculteurs à remplacer demain. Sur ces 200 000, ce ne seront pas forcément des gens issus de familles d’agriculteurs. Et nous y voyons une vraie chance, car ils arriveront avec très peu d’a priori. Ils n’auront pas grandi dans un système familial où c’est assez compliqué, quand cela fait des générations qu’on a toujours fait ce système de production, de dire »demain tu ne vas peut-être plus faire ça« . Ce sera une vraie chance pour adapter notre agriculture et repositionner des filières sur certains territoires. Il y a des enjeux de repositionner l’élevage dans des zones où on l’a abandonné parce que ce n’était pas assez rémunérateur et qu’on a voulu se lancer dans des filières céréalières. Je pense à nos zones intermédiaires qui, aujourd’hui, souffrent du changement climatique avec des rendements qui plafonnent voire qui baissent dans un système où on se fait concurrencer par d’autres grands pays. »
Arnaud Gaillot conclut : « Ce serait utopique de faire croire à nos agriculteurs que demain nous pourrons adapter des techniques agricoles de l’étranger. La société française a une sensibilité à la protection de l’environnement et à la forme dont est faite l’agriculture, différente des autres pays. Je reste convaincu que c’est une chance plutôt qu’une contrainte, même si perçu comme une contrainte par nos agriculteurs car on n’arrive pas à leur amener de la rémunération. Derrière ces contrats et ces plans d’avenir on a en tête : comment produit-on toujours autant pour nourrir en interne, et à l’étranger, tout en préservant l’environnement et les supports de production ? »