Référence agro

Claire Gassiat, Agoterra : « Nous travaillons à la fois sur le carbone et la biodiversité »

Le | Projets-territoriaux

Claire Gassiat, directrice des partenariats agricoles chez Agoterra, est intervenu au GT#13 du Club Agata, animé par l’association Noé, le 02/04/2024, pour présenter l’intégration de la biodiversité agricole dans les projets de contribution carbone volontaires. Les premiers résultats entrevoient un avenir prometteur à ce dispositif.

Claire Gassiat, directrice des partenariats agricoles chez Agoterra - © D.R.
Claire Gassiat, directrice des partenariats agricoles chez Agoterra - © D.R.

Référence agro : Pourquoi utiliser des projets bas carbone pour favoriser les pratiques vertueuses pour la biodiversité ?

Claire Gassiat : L’agriculture est une victime du changement climatique (baisse des rendements, diminution de la disponibilité en eau, augmentation des ravageurs avec, potentiellement, des impacts plus grands sur les cultures) mais aussi l’une de ses causes, puisqu’elle est responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Elle est également une solution. Avec certains types de pratiques agricoles, nous pouvons baisser ces émissions, développer des systèmes plus résilients face au manque d’eau, aux événements extrêmes, et notre objectif est d’obtenir des effets bénéfiques sur la biodiversité : régénération des sols, qualité de l’eau et de l’air. 

Notre mission est de connecter des agriculteurs souhaitant s’engager dans l’évolution de leurs pratiques, notamment sur la biodiversité, avec des entreprises engagées dans des démarches carbone pour financer ce type de projets. Pour faire ce lien, nous utilisons l'indicateur carbone : c’est un outil pour labelliser des projets carbone dans les exploitations et les financer par les entreprises via l’achat de crédits carbone. L’objectif est d’atteindre, d’ici à 2050, la neutralité carbone pour respecter la trajectoire des accords de Paris, qui souhaite limiter le réchauffement à 1,5°C.  Pour cela, il apparaît aussi important de réduire les émissions de GES que de stocker le carbone, et les entreprises peuvent agir sur ces deux volets. 

Notre approche consiste à leur proposer de financer des fermes locales. L’idée n’est pas d’acheter un crédit carbone à l’autre bout du monde, dont nous ne mesurerions pas l’impact, mais de financer les agriculteurs au plus près, à moins de 100 kilomètres. Nous travaillons en proximité avec tous nos partenaires terrain, qui accompagnent les agriculteurs, pour avoir des remontées d’information sur les projets, que nous mettons à disposition sur une plateforme . Nous proposons des visites de ferme pour que les entreprises comprennent l’impact de leurs financements sur les projets et que les agriculteurs parlent de leur démarche d’amélioration.

R.A. : Concrètement, comment se déroule un projet carbone ?

C.G. : Au début, nous accompagnons techniquement les agriculteurs pour le diagnostic carbone de l’exploitation, avant de définir un plan d’action et réaliser un suivi. Nous avons un autre partenariat pour les démarches administratives, afin que le projet soit labellisé bas carbone au cours de la première année. Dans le label Bas Carbone, plusieurs indicateurs de co-bénéfices biodiversité peuvent être suivis, sans être obligatoires. Ils sont compris dans trois thématiques : la configuration du paysage, l’absence de perturbation et la composition du paysage, qui ont chacun des indicateurs. Pour valider le co-bénéfice général sur la biodiversité, les projets doivent valider au moins une amélioration sur l’un de ces indicateurs dans les trois thématiques. Ainsi, pour chaque projet, nous allons suivre les indicateurs et vérifier qu’il n’y a pas d’effet négatif et s’il y a des effets positifs, pouvoir le valoriser via les indicateurs.

Dès que le projet est labellisé, nous cherchons des financements auprès des entreprises. Le financement peut avoir lieu soit annuellement, soit en deux fois au cours des cinq ans que dure un projet. Un auditeur indépendant vérifie que les leviers ont été mis en place et que les réductions de carbone sont effectives. À la fin du projet, un audit de vérification est réalisé et les crédits carbone sont émis de manière officielle et accordés à l’entreprise.

Pour la réduction des émissions, nous agissons sur la consommation d’énergie et d’engrais, le plus gros poste pour les grandes cultures. En élevage, l’un des leviers est la productivité du troupeau : moins de vaches pour moins d’émissions au global. Sur le volet séquestration du carbone, nous visons le développement des couverts végétaux, davantage de restitution au sol et l’implantation de haies et de projets d’agroforesterie. 

Nous travaillons avec des entreprises liées avec le monde agricole et d’autres qui n’en font pas partie, mais qui souhaitent contribuer à la neutralité carbone. Elles appartiennent aussi bien au secteur agroalimentaire qu’au prêt-à-porter, à l’industrie, aux IT, aux médias, en plus de quelques structures de loisirs. Cette contribution est ensuite mise en valeur par des organismes qui évaluent les bonnes pratiques en matière de démarche climat, comme Science Based Target (SBTI). 

Aujourd’hui, nous vendons un crédit carbone aux alentours de 50-60 € la tonne de CO2. Cela comprend, pour la plus grande part, la rémunération de l’agriculteur, mais aussi l’accompagnement terrain et l’expertise d’Agoterra.

R.A. : Quels sont les effets de ces projets sur la biodiversité ?

C.G. : Nous commençons à avoir des premiers chiffres sur le suivi des projets en grandes cultures. Sur un échantillon de 335 fermes observées, l’augmentation des surfaces en couvert intermédiaire est l’un des premier leviers mis en place. Dans le cadre du label Bas Carbone, 86 % des agriculteurs ont choisi cette option. Près de la moitié (44 %) a opté pour une plus grande part de couvert favorable aux insectes. La part des fermes avec moins de 20 % de surface intermédiaire a diminué de moitié tandis que les fermes avec au moins 80 % de couvert intermédiaire a augmenté après une année de programme carbone. C’est un levier qui est décidé par un grand nombre d’agriculteurs et mis en place rapidement. 

Sur les grandes cultures, nous travaillons ainsi à la fois sur le carbone et la biodiversité. L’objectif principal est qu’il n’y ait pas d’effet négatif et de valoriser les progressions. Les indicateurs restent facultatifs, et résultent toujours de compromis entre la complexité des démarches et leur valorisation. Aujourd’hui, nous n’arrivons pas encore à le valoriser d’un point de vue économique, bien que les demandes affluent de plus en plus.