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Le Cruiser OSR sur la sellette

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Le ministère chargé de l’agriculture n’aura pas tardé à réagir : à peine l’étude de l’Inra/Acta/CNRS/Adapi (1) publiée, démontrant l’effet perturbateur du thiamétoxam sur l’orientation des abeilles, et donc sur leur mortalité, qu’il envoyait un communiqué annonçant le lancement de la procédure de réévaluation de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Cruiser OSR, un traitement de semences autorisé sur colza en juin 2011 commercialisé par Syngenta. L’Anses (2) est saisie et son avis attendu avant le 31 mai. « Si ces nouvelles données scientifiques étaient confirmées, l’AMM du Cruiser serait retirée », précise le ministère. Ce dernier a également demandé à l’Inra et l’Acta d’accélérer les recherches en plein champ pour évaluer si les éléments de leur expérimentation se retrouvent en conditions réelles, et a saisi la Commission européenne et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) de l’étude, les appelant à « en tirer toutes les conséquences pour l’évaluation européenne du thiamétoxam et, le cas échéant, à compléter le cadre harmonisé de l’évaluation des produits phytosanitaires pour les abeilles ». L’étude de l’Inra/Acta/CNRS/Adapi, publiée le 29 mars au soir sur le site de la revue Science, et présentée peu avant à la presse, met en évidence le rôle du thiamétoxam dans le déclin des abeilles, non pas par toxicité directe mais en perturbant leur orientation spatiale et leur capacité à retrouver la ruche. Nourries avec une dose de thiamétoxam cinq fois inférieure à la dose létale, plus de 650 abeilles ont ensuite individuellement été suivies grâce à des micropuces RFID collées sur leur thorax. Résultat : une disparition d’abeilles deux à trois fois supérieure à la normale due à un taux significatif de non-retour à la ruche. Un modèle mathématique simulant la démographie des colonies d’abeilles montre alors que si la majorité des butineuses étaient contaminées chaque jour, l’effectif de la colonie pourrait chuter de moitié pendant le temps de la floraison, et jusqu’à 75 % dans les scenarii les plus pessimistes. « Notre étude se différencie des précédents travaux scientifiques sur les abeilles en ce sens qu’elle isole le facteur pesticide des autres facteurs de stress, et qu’elle est réalisée, grâce à notre méthode fondée sur les micropuces, en condition réelle de vie des abeilles, et non en laboratoire », précise Axel Decourtye, de l’Acta, co-auteur de l’étude. Une étude biaisée, selon Syngenta En condition réelle de vie des abeilles, mais pas en condition réelle d’exposition au produit. Et pour Syngenta, l’étude reste donc fortement éloignée de la réalité. La société conteste notamment la dose de thiaméthoxam administrée aux abeilles, qui serait, selon elle et selon l’avis de l’Anses du 15 octobre 2010, au moins trente fois plus élevée que celle du nectar de colza protégé avec du Cruiser OSR. Enfin, Syngenta rappelle que « les études fournies à l’appui du dossier d’autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR comportent un suivi en conditions réelles sur quatre ans (soit l’équivalent de vingt générations successives) de colonies d’abeilles butinant du colza protégé avec Cruiser OSR ». Or, selon la société, qui renvoie à l’avis de l’Anses du 15 octobre 2010, les résultats n’ont montré aucune baisse de poids des colonies au cours de la floraison du colza en comparaison avec des témoins, prouvant l’absence de dépopulation des colonies. Une étude anglaise incrimine également la famille des néonicotinoïdes Une autre étude, conduite au Royaume-Uni et également publiée le 29 mars sur le site de la revue Science, montre que des colonies de bourdons exposées à l’imidaclopride prennent moins de poids et produisent 85 % de reines en moins. « Un pourcentage qui nous a nous-mêmes surpris », souligne Penelope Whitehorn, de l’Université de Stirling. Cette étude, également réalisée hors laboratoire, dans un terrain clos où les bourdons ont pu s’alimenter dans des conditions naturelles, remet en cause l’utilisation des pesticides de la famille des néonicotinoïdes, dont font partie l’imidaclopride et le thiamétoxam. « Les néonicotinoïdes agissent sur le système nerveux central des insectes et se disséminent via le nectar et le pollen des fleurs cultivées, explique Dave Goulson, de l’Université de Stirling. Leur utilisation dans les cultures est une menace pour la santé des bourdons et doit être revue de toute urgence. » Pour Mickaël Henry, de l’Inra d’Avignon, « ces deux études révèlent bien que pour évaluer les pesticides, il ne faut pas se limiter à l’examen d’une dose létale pour les abeilles ». Le chercheur signale par ailleurs qu’à court terme, les partenaires de l’unité mixte technologique PrADE (Protection des abeilles dans l’environnement) en lien avec les instituts techniques agricoles concernés Arvalis-Institut du végétal et Cetiom, mèneront des expérimentations en grandeur réelle, dans les conditions des pratiques culturales y compris pour la phase d’administration de l’insecticide, en utilisant cette même technologie RFID de suivi individuel des abeilles. Pour l’Unaf, cependant, « le temps n’est plus aux études mais à l’action politique courageuse ». L’Union nationale de l’apiculture française demande un rendez-vous avec le ministre chargé de l’agriculture pour exiger le retrait immédiat de l’AMM du Cruiser OSR et de l’ensemble des pesticides néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles ». Une requête également formulée par l’association Agir pour l’environnement. (1)Association pour le développement de l’apiculture provençale, déclinaison régionale de l’Itsap-Institut de l’abeille. (2)Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.