Agroécologie

Agroécologie : l’Autorité de la concurrence fixe les règles du jeu des projets collectifs


L’Autorité de la concurrence a publié le 5 février 2025 des orientations informelles concernant la création d’un système de prise en charge collective des surcoûts et risques liés à la transition agroécologique. Ces orientations font suite à une demande de l’association Pour une Agriculture Du Vivant, PADV, qui pilote le projet Covalo. Il rassemble 5 distributeurs agricoles (Cavac, NatUp, Soufflet Agriculture, Terrena et Val de Gascogne) et dispose d’un financement de BPI France. Au-delà de Covalo, l’Autorité a formulé des recommandations destinées à encadrer les projets de transition agroécologique dans l’écosystème agricole et alimentaire pour être en conformité avec le droit de la concurrence. Explications avec Anne Trombini, directrice de PADV.

Anne Trombini, directrice de Pour une agriculture du vivant - © PADV
Anne Trombini, directrice de Pour une agriculture du vivant - © PADV

« Dès la construction du projet, avant même d’avoir obtenu le financement de BpiFrance, nous avons décidé de consulter l’Autorité de la concurrence. En effet, une évolution du droit européen de la concurrence a vu le jour le 8 décembre 2023 avec l’article 210 bis du règlement OCM. Celui-ci prévoit une possibilité d’exemption au cadre classique du droit de la concurrence pour les projets liés à la transition agricole. Cette évolution permet d’envisager que, même en présence de situations concurrentielles entre acteurs économiques - ce qui est fréquent en agriculture - la coopération puisse être encouragée pour accélérer la transition », explique Anne Trombini, directrice de Pour une agriculture du vivant, qui porte le projet Covalo. Il rassemble 5 distributeurs agricoles (Cavac, NatUp, Soufflet Agriculture, Terrena et Val de Gascogne) et dispose d’un financement de BpiFrance. Il s’appuie sur un diagnostic du niveau de transition agroécologique, mesuré l’indice de régénération, qui attribue un score sur 100 aux exploitations agricoles et leur permet de définir un plan de progrès. L’objectif est d’aider financièrement et techniquement les agriculteurs dans leur transition via des financements publics et privés, ou offres de services adaptés, pour couvrir les risques et surcoûts liés à la transition et les rémunérer pour les services écosystémiques rendus grâce aux changements de leurs pratiques

Une consultation qui fait jurisprudence

Cette consultation constitue la toute première application européenne de cet article et fait ainsi jurisprudence. L’Autorité a formulé des recommandations qui définissent un cadre au-delà du projet Covalo, en apportant des lignes directrices pour tout l’écosystème agricole et alimentaire. Son avis de 30 pages détaille les différents risques concurrentiels que peut soulever une coopération et précise les précautions à prendre ainsi que la manière d’analyser ces enjeux pour assurer la conformité au droit de la concurrence. « Ce cadre ne bénéficie pas seulement à Covalo, mais sert aussi de référence pour d’autres projets impliquant des acteurs économiques et des agriculteurs », indique la directrice de PADV.

Trois grandes recommandations

Trois grands sujets ressortent des recommandations de l’Autorité.

  • Considérer, par défaut, que toutes les données collectées sur une exploitation agricole sont sensibles.

    La gestion des données sensibles. La première recommandation porte sur la gestion des données, notamment dans le cadre du RGPD. La collecte et l’analyse de données, souvent utilisées pour le reporting dans les filières, vont au-delà des simples données personnelles. L’Autorité souligne qu’il est complexe de distinguer ce qui est sensible ou non et recommande de considérer, par défaut, que toutes les données collectées sur une exploitation agricole sont sensibles. Ces données peuvent revêtir un caractère stratégique et commercial et ne doivent donc pas être échangées librement, sous peine de constituer une entente illégale. L’Autorité insiste sur la nécessité d’un tiers de confiance chargé de gérer ces flux de données, de les anonymiser et de les restituer de manière agrégée aux partenaires de la coalition afin d’éviter tout partage d’informations stratégiques. « C’est précisément le rôle que joue PADV dans Covalo, et cette exigence crée une première jurisprudence pour notre projet », indique Anne Trombini. Désormais, dès qu’il y a des échanges entre, par exemple, deux coopératives dans un programme de transition, un tiers de confiance devra être impliqué.

  • Si un acteur répond aux critères définis, il ne peut être exclu du collectif.

    Les critères d’entrée dans les coalitions. Le deuxième point clé concerne les périmètres des coalitions : qui peut en faire partie et sous quelles conditions ? Qu’il s’agisse d’agriculteurs, d’acteurs des filières ou encore d’acteurs publics, l’Autorité rappelle que les critères d’entrée doivent être objectifs, transparents et non discriminatoires. Autrement dit, si un acteur répond aux critères définis, il ne peut être exclu du collectif. Toutefois, l’Autorité reconnaît l’importance du pragmatisme. « Nous sommes dans une phase de construction et d’expérimentation. Elle admet donc que, pendant quelques années, nous puissions limiter l’ouverture de la coalition afin de rester dans un cadre gérable et mesurable. En pratique, nous ne sommes pas en capacité d’accueillir immédiatement 70 acteurs d’un coup : nous devons d’abord construire, tester et éprouver nos modèles. L’Autorité comprend cette approche et reconnaît l’importance du pragmatisme », poursuit Anne Trombini.

  • La nécessité d’une validation scientifique.

    La définition d’un référentiel pour la transition agroécologique. Le troisième point concerne la nécessité d’un référentiel permettant de définir clairement ce qu’est la transition agroécologique et comment la mesurer. L’Autorité souligne que pour bénéficier d’une exemption au droit de la concurrence, le projet doit poursuivre un objectif de développement durable fondé sur une norme de durabilité supérieure. Cela signifie que les financements mis en œuvre doivent avoir un véritable impact, appuyé sur une approche scientifique.« C’est exactement ce que nous faisons avec l’indice de régénération. Nous avons conscience qu’il faudra rendre ce référentiel plus visible et nous assurer, chaque année, qu’il reste pertinent et adapté aux besoins des agriculteurs. Toutefois, elle insiste sur la nécessité d’une validation scientifique. C’est pourquoi nous avons intégré trois docteurs à notre équipe, afin d’assurer la rigueur des référentiels et des cadres d’évaluation que nous mettons en place. Notre objectif est clair : éviter le greenwashing et prévenir les déceptions », indique Anne Trombini.

PADV va maintenant s’approprier ces recommandations et les intégrer au projet.

« Le grand bénéfice de cette consultation est qu’elle nous apporte des orientations concrètes pour finaliser notre construction. Mieux encore, le travail que nous avons mené sert à tout le monde. Nous avons d’ailleurs constaté que plusieurs avocats et experts sur les réseaux sociaux se sont félicités de la publication de ces recommandations, car elles offrent un guide précieux pour les acteurs souhaitant monter des projets similaires », se félicite Anne Trombini.

Gare aux sanctions

En effet, si des échanges de données sensibles entre acteurs économiques ont lieu sans cadre sécurisé, des risques d’amendes et de sanctions existent. De même, si les critères d’entrée dans une coalition sont jugés discriminatoires ou trop flous, des sanctions peuvent être encourues.