Agroécologie

« Créer des valeurs toxicologiques pour les pesticides dans l’air », Charlotte Lepitre, Atmo France

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Bien que le dispositif national de surveillance des pesticides dans l’air soit en place depuis 2018, cette couverture demeure insuffisante, selon Atmo France. Financements précaires et obstacles locaux freinent son développement. Charlotte Lepitre, responsable projet et plaidoyer chez Atmo France, la fédération des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa), plaide pour l’élargissement de ce réseau et la création de valeurs toxicologiques de référence, qu’elle juge essentielles pour évaluer les risques sanitaires des substances détectées.

« Créer des valeurs toxicologiques pour les pesticides dans l’air », Charlotte Lepitre, Atmo France
« Créer des valeurs toxicologiques pour les pesticides dans l’air », Charlotte Lepitre, Atmo France

Comment est organisée la surveillance des pesticides dans l’air ?

Charlotte Lepitre : Au début des années 2000, quelques Associations agréée de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa) ont initié la surveillance des pesticides dans l’air en recherchant des financements régionaux, renouvelés chaque année, afin de maintenir cette surveillance. Ce système a perduré jusqu’en 2018, année où nous avons, en collaboration avec l’Anses et le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l’air (LCSQA), lancé une première étude nationale dans le but d’harmoniser la surveillance des pesticides dans l’air à l’échelle de la métropole et des Outre-mer. Nous souhaitions garantir qu’au moins un site par région, appliquant un protocole commun, serait dédié à cette surveillance.

Depuis 2018, ce seuil minimum d’un site par région est financé par l’État dans le cadre du Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prepa). Il assure la pérennité du suivi des pesticides dans l’air. Cependant, il ne s’agit pas encore d’une surveillance exhaustive de l’ensemble des territoires français, mais plutôt d’une représentation fidèle de l’agriculture française, avec des sites sélectionnés pour couvrir les différents types de cultures.

Des sites supplémentaires viennent compléter ce dispositif, financés par les Aasqa ou par des fonds que les Aasqa vont rechercher chaque année. Ces financements sont plus aléatoires, mais le protocole reste inchangé, permettant ainsi la comparaison des données.

Néanmoins, il est de plus en plus difficile de financer ce type de surveillance, et la situation varie selon les régions. Nous peinons parfois à obtenir les autorisations nécessaires pour l’installation des stations et, dans certaines régions, les Aasqa manquent de moyens financiers pour maintenir cette surveillance.

Combien de sites surveillent les pesticides dans l’air ?

Sur les vingt dernières années, nous avons installé 176 sites. Charque année, 18 sont financés par l’État. En 2021, nous avions 41 sites et 39 en 2022. Les chiffres sont en consolidation pour 2023. Mais cela varie chaque année. À ce jour, nous avons analysé 321 substances.

Comment souhaiteriez-vous améliorer la surveillance des pesticides ?

La surveillance des pesticides dans l’air reste un sujet clé pour nous, et nous avons de plus en plus de questions dessus. Nous avons deux principales requêtes pour améliorer le dispositif. Tout d’abord, l’établissement de valeurs toxicologiques de référence (VTR) par substance. Bien que nous disposions de plus de 20 ans de données, nous manquons de seuils sanitaires pour comparer ces résultats. Nous avons suffisamment de données pour entreprendre cette démarche, mais cela nécessite du temps et des financements. L’Anses nous a confirmé le lancement de ces travaux en janvier 2024. Il se concentrera sur quelques substances prioritaires et s’étendra sur deux ans. Ensuite, il sera possible d’aborder la question des effets cocktails, important pour les aspects de santé, mais il est impératif de commencer par ce premier jalon.

La deuxième demande concerne l’ajout d’un second site financé par l’État dans chaque région. Actuellement, certaines régions, comme les Pays-de-la-Loire en 2023, n’ont pu maintenir leurs sites supplémentaires faute de financement, ne laissant qu’un site par région. C’est insuffisant. Dans des zones comme la Bourgogne-Franche-Comté, il devient de plus en plus difficile d’obtenir les autorisations nécessaires pour installer des stations. Nous avons sollicité à plusieurs reprises un financement pour un deuxième site en 2023, sans suite pour l’instant.

Menez-vous des actions dans le cadre du plan Ecophyto ?

Nous avons soumis des projets visant à réaliser des inventaires d’émissions. L’objectif était de définir une méthodologie pour réaliser des inventaires d’émissions des pesticides dans l’air : il est important de différencier la mesure des concentrations de pesticides dans l’air de celle de leurs émissions. Mais nos projets ont été rejetés dans le cadre d’Ecophyto plusieurs années de suite.

Et au niveau européen ?

La directive sur la qualité de l’air a été adoptée en avril 2024 mais elle n’est pas encore pleinement opérationnelle, car elle n’a pas été traduite dans toutes les langues de l’Union européenne. Ce processus pourrait être rapide, mais il existe un risque que certains députés européens s’y opposent, entraînant un nouveau cycle de discussions en trilogue avant un autre vote. J’espère que la directive sera votée définitivement en octobre 2024.

Toutefois, cette directive ne concerne pas les pesticides. Nous avions demandé l’ajout de certains polluants, mais la France, étant l’un des rares pays à s’intéresser à la question des pesticides dans l’air, n’a pas vu sa demande acceptée. L’Allemagne a récemment initié des travaux similaires, et peut-être que d’autres États membres suivront. Lors de la révision de la directive dans cinq ans, nous pourrions espérer l’ajout de ces polluants, mais pour l’instant, les pesticides, tout comme les particules ultrafines, ne figurent pas parmi les polluants réglementés. Cela explique l’absence de subventions comparables à ceux alloués aux polluants réglementés.