Pesticides et qualité de l’air, la surveillance bute encore sur l’absence de références
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Si depuis le début des années 2000, les taux de concentration de pesticides dans l’air sont suivis, les moyens et les connaissances à disposition ne permettent pas de parler d’une réelle surveillance. D’importants efforts sont encore à fournir pour établir des seuils de dangerosité concernant l’exposition des pesticides par voie respiratoire. C’est ce qu’ont expliqué des représentants d’Atmo France et de l’Anses, le 6 septembre, lors de leur audition par la commission d’enquête sur l’échec des plans Écophyto.
Lancée au début de l’été, la commission d’enquête sur l’échec des plans Écophyto (1) a débuté ses travaux. Le 6 septembre, ses membres ont auditionné Atmo France et l’Anses au sujet de l’impact des pesticides sur qualité de l’air. « Nous sommes très en retard par rapport à ce que nous faisons pour l’eau ou les sols », note d’entrée de jeu le rapporteur de la commission, Dominique Potier (Nupes). De fait, si une campagne exploratoire a été menée entre 2018 et 2020, et qu’un suivi national a été lancé, en 2021, par Atmo France et l’Ineris, les dispositifs mis en œuvre sont loin d’être suffisants, soulignent les auditionnés. « Nous ne pouvons pas vraiment parler de surveillance, mais d’un suivi relativement léger par rapport aux enjeux », déclare Anne Laborie, déléguée générale d’Atmo France.
Pas de politique publique dédiée
« Aujourd’hui, les travaux de suivi des pesticides dans l’air sont guidés uniquement par un groupe de travail et par le Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques, Prepa (2), abonde Charlotte Lepitre, responsable projets chez Atmo France. Nous ne pouvons donc pas parler d’une surveillance nationale en tant que telle, car aucun objectif précis n’est fixé, ni aucune politique spécifique définie. » Le constat est le même à l’échelon européen : « Les produits phytosanitaires ne sont pas inclus dans la douzaine de polluants réglementés dans l’UE, indique Anne Laborie. Ils n’apparaissent pas non plus dans la directive européenne sur l’air ambiant, en cours de révision. »
Des seuils qui manquent pour interpréter les données
Une absence de cadre symptomatique d’un état de fait : en ce qui concerne l’impact des pesticides sur la qualité de l’air, aucune norme ou seuil n’existe. « Nous manquons grandement de valeurs sanitaires sur l’exposition des pesticides, nécessaires pour déterminer à partir de quand ces produits sont dangereux pour la santé, poursuit la déléguée générale d’Atmo France. Cela nous aiderait à interpréter les résultats. » À cela s’ajoute le fait que les tests réalisés dans le cadre d’autorisation de mise sur le marché, AMM, reposent sur une exposition par ingestion, et non par voie respiratoire.
« Nous sommes obligés de nous baser sur les références de la voie orale, car les repères sanitaires pour la voie respiratoire sont manquants », explique Ohri Yamada, chef de l’unité phytopharmacovigilance et observatoire des résidus de pesticides à l’Anses. Une solution qui a ses limites. « Les valeurs toxicologiques de référence (VTR) de la voie orale sont trop restrictives pour calculer des seuils, pour la voie respiratoire », ajoute Ohri Yamada. La marche à gravir est donc encore très haute. « Le champ de la recherche en la matière est vertigineux », constate Dominique Potier.
Mieux connaître les pratiques agricoles
En charge de cette mission de suivi, les associations de surveillance de la qualité de l’air, Asqa, déplorent cette situation. « Nous suivons des niveaux de concentration qui génèrent des questionnement sur le terrain, résume Emmanuelle Drab-Sommesous, directrice accompagnement et développement chez Atmo Grand Est. Mais quand les acteurs des territoires se tournent vers nous pour savoir quoi mettre en place, nous sommes nous-mêmes démunis, car nous n’avons pas les outils pour leur répondre », regrette-t-elle. Pour tenter d’y voir plus clair, Atmo travaille avec les chambres d’agriculture, et notamment celles disposant de conseiller sur l’air, pour avoir une image plus fine des pratiques agricoles déployées et mieux interpréter les données récoltées. « Nous essayons de trouver des financements pour réaliser un inventaire des émissions de produits phytosanitaires dans l’air », précise Charlotte Lepitre.
Forte variabilité pour les concentrations de pesticides dans l’air
La concentration des pesticides dans l’air est suivie depuis 2001. Entre cette date et 2020, 361 substances ont été mesurées dans 176 sites, soit la réalisation de plus de 10 000 prélèvements. « Les principaux résultats témoignent de la variabilité spatiale et temporelle extrêmement importante des pesticides dans l’air, indique Emmanuelle Drab-Sommesous, directrice accompagnement et développement chez Atmo Grand Est. Il est donc très difficile de comparer deux sites ou deux années. » De grandes tendances peuvent néanmoins être dégagées. Les concentrations sont ainsi notamment très importantes à l’automne, portées par les herbicides. « Les niveaux de concentration les plus élevés concernent le prosulfocarbe, poursuit Emmanuelle Drab-Sommesous. Les fongicides sont également très présents. Les insecticides sont pour leur part peu prédominant. »
Chaque région possède au moins un site de suivi, à proximité de zones agricoles. Les infrastructures supplémentaires rélèvent de la libre initiative des Asqa et des financements obtenus.
(1) Commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire
(2) Transposition française de la Directive Nec fixant des objectifs de réduction, pour 2030, de cinq polluants dont l’oxyde d’azote et l’ammoniac