Agrostratégie

Les cinq profils des nouveaux agriculteurs : une diversité de trajectoires à comprendre


Face au départ massif des agriculteurs à la retraite, une nouvelle génération prend le relais, avec des profils plus diversifiés qu’auparavant. L’étude Agrinovo, menée par l’École supérieure des agricultures (ESA), a identifié cinq grandes catégories de nouveaux installés. Comprendre ces trajectoires est essentiel pour adapter l’accompagnement et répondre aux attentes de ces agriculteurs aux ambitions et aux défis très différents.

Les cinq profils des nouveaux agriculteurs : une diversité de trajectoires à comprendre
Les cinq profils des nouveaux agriculteurs : une diversité de trajectoires à comprendre

Alors que de nombreux agriculteurs partent à la retraite, une nouvelle génération prend le relais, bousculant les codes et les traditions. Mais qui sont ces nouveaux installés ? Sont-ils tous héritiers d’une lignée paysanne ou voit-on émerger des profils inédits, portés par des aspirations différentes ? Les résultats du projet Agrinovo de l’École supérieure des agricultures, dévoilés le 20 mars 2025, délivrent une typologie de ces nouveaux agriculteurs. L’enquête a été envoyée à plus de 28 000 exploitants agricoles, installés en 2018 et 2022, en avril 2024, afin de mieux comprendre qui ils sont et leurs nouveaux besoins. L’ESA a recueilli 3437 questionnaires complets.

« Nos analyses montrent que le fait d’être enfant d’agriculteur ou non ne suffit pas à expliquer la diversité des conceptions du métier. D’autres facteurs, tels que le niveau de qualification, l’expérience professionnelle antérieure ou encore les ressources précédemment accumulées, jouent aussi un rôle déterminant dans les parcours et les visions du métier d’agriculteur aujourd’hui », explique Caroline Mazaud, chercheuse en sociologie au Laress (ESA).

Derrière le même métier, cinq parcours de vie bien distincts se dessinent, chacun porteur de défis et d’attentes spécifiques. Les chercheurs leur ont donné des noms : les « héritiers bien préparés », les « héritiers sans vocation », les « classes populaires hors cadre », les « reconvertis des classes moyennes » et les « reconvertis des classes supérieures ». Il n’existe plus un seul modèle d’installation, mais une diversité de parcours à prendre en compte.

Les « héritiers bien préparés » : une transmission familiale ancrée dans la vocation agricole

Première catégorie identifiée par l’étude Agrinovo, les « héritiers bien préparés » représentent le groupe le plus important avec 1 170 individus, soit 34,4 % des répondants. Ils sont jeunes, issus de familles agricoles et perpétuent la tradition avec assurance et maîtrise. Leur installation ne relève pas du hasard, mais d’un itinéraire construit dès l’enfance.

Un ancrage familial fort

  • 96 % ont au moins un parent agriculteur.
  • Dès leur plus jeune âge, ils ont participé aux travaux de l’exploitation, s’imprégnant du métier comme d’un héritage naturel. 88 % ont participé aux travaux de l’exploitation familiale avant même de s’installer et 88 % ont également acquis une expérience sur une exploitation tierce, hors du cadre parental, via des stages, des apprentissages ou des emplois salariés.
  • 80 % s’installent avant 35 ans, et presque la moitié avant 25 ans. À titre de comparaison, dans le reste de l’échantillon, seuls 47 % des agriculteurs ont moins de 35 ans, et à peine 8 % moins de 25 ans.

Une transmission fluide et sécurisée

  • Trois quarts reprennent l’exploitation familiale, dans un souci de continuité et de préservation du patrimoine, contre seulement 15 % qui créent leur propre structure.
  • Grâce à leur formation et à leur immersion précoce, ils arrivent dans le métier avec une vision claire et des compétences solides.

Leur parcours, fluide et structuré, incarne la pérennité d’une certaine agriculture. Mais il n’est pas exempt de défis : moderniser l’exploitation, composer avec les évolutions du marché et s’affirmer face aux générations précédentes sont autant d’enjeux à relever.

Les « héritiers sans vocation » : une installation tardive et un retour inattendu à l’agriculture

  • Elle représente 22 % de l’échantillon étudié, soit 752 individus. Eux aussi sont issus du monde agricole, mais leur parcours est plus sinueux. Ils n’avaient pas prévu de devenir agriculteurs et, pourtant, les circonstances les y ont ramenés.

Un détour par d’autres horizons

  • 92 % ont exercé un autre métier avant leur installation, souvent comme employés (42 %) ou ouvriers (24 %).
  • Deux tiers n’ont pas suivi de formation agricole initiale et un tiers n’a jamais travaillé sur une exploitation avant de s’installer. 43 % se sont limités à donner un coup de main ponctuel sur une ferme familiale, sans une véritable immersion professionnelle.

Une installation tardive et parfois contrainte

  • 61 % sont des femmes, souvent revenues vers l’agriculture à travers leur conjoint.
  • Leur engagement est plus progressif, dicté parfois par des opportunités familiales ou un besoin de reconversion plutôt que par une vocation précoce.

Leur trajectoire pose une question centrale : comment mieux accompagner ceux qui ne se sont pas préparés à être agriculteurs, mais qui, un jour, doivent endosser ce rôle ?

Les « reconvertis des classes moyennes » : un parcours atypique

Représentant 20 % de l’échantillon (667 individus), les « reconvertis des classes moyennes » ont pris un virage tardif vers l’agriculture, souvent sans ancrage rural ni familial dans ce secteur. Loin de toute transmission familiale, ils ont choisi l’agriculture comme une réinvention de leur vie. Ex-cadres, employés ou indépendants, ils ont tourné la page d’une première carrière pour se lancer dans une aventure à la fois professionnelle et existentielle.

Un virage tardif mais assumé

  • 82 % d’entre eux n’ont pas de parents agriculteurs et s’installent en créant leur propre exploitation, accédant aux terres via des agences immobilières bien plus fréquemment que la moyenne (20 % contre 6 %).
  • Issus pour 37 % d’un ménage à dominante cadre ou profession intermédiaire, 39 % étaient employés et 25 % exerçaient une profession intermédiaire avant leur installation.
  • 75 % ont exercé au moins deux métiers avant de s’installer.
  • Un tiers s’installe après 40 ans, avec une vision mûrie et réfléchie du métier.

Une agriculture alternative et engagée

  • 60 % se tournent vers le bio.
  • 75 % vendent en circuit court.
  • Un tiers se spécialise dans le maraîchage, soit deux fois plus que la moyenne.

Indépendants, passionnés, souvent en marge des structures agricoles traditionnelles, ils apportent un vent de renouveau. Mais ils doivent aussi affronter des défis de taille : accès au foncier, apprentissage tardif du métier, isolement face aux réseaux agricoles classiques.

Les « classes populaires hors cadre » : un ancrage rural majeur

Si la transmission familiale reste un schéma dominant dans le monde agricole, une autre catégorie d’agriculteurs s’affranchit de ce modèle : celle des « classes populaires hors cadre », qui représente 16 % des personnes interrogées (551 individus). Pour certains issus de milieux ouvriers ou employés, devenir agriculteur est un moyen d’émancipation, un choix d’indépendance.

Un enracinement rural marqué

  • 90 % vivaient en zone rurale avant leur installation.
  • 97 % ne sont pas issus de familles d’agriculteurs, mais beaucoup ont grandi dans un environnement proche du monde paysan.
  • Ils s’installent souvent sur une ferme extérieure à leur famille (40 %) et ont acquis une expérience sur des exploitations tierces.

Une motivation forte pour l’autonomie

  • 60 % étaient ouvriers ou employés (20 %) avant de devenir exploitants.
  • L’attrait pour le travail en extérieur et la volonté d’échapper à la subordination salariale sont des moteurs essentiels.

Ces agriculteurs incarnent une autre manière d’accéder au métier : par une formation agricole initiale (deux tiers) et une expérience salariée, avant de sauter le pas de l’installation. Leur parcours illustre ainsi une dynamique d’ascension sociale, où l’agriculture devient un moyen d’émancipation.

Les « reconvertis des classes supérieures » : des profils intellectuels

Les « reconvertis des classes supérieures » représentent 8 % de l’échantillon étudié (257 individus). Issus du monde des cadres et des professions intellectuelles, ces agriculteurs se distinguent par leur haut niveau d’études et leur parcours en rupture avec leur milieu d’origine.

Un profil très qualifié

  • 85 % ont un diplôme de niveau bac+5 ou plus.
  • 80 % étaient cadres ou exerçaient une profession intellectuelle avant leur installation.

Une reconversion qui n’est pas qu’un caprice

  • 42 % ont des parents agriculteurs et renouent, parfois malgré eux, avec une histoire familiale.
  • 30 % ont suivi une formation agricole avant de s’installer, preuve d’une démarche structurée.
  • Les « reconvertis des classes supérieures » compte une petite majorité d’hommes (58 %).

Plus qu’une rupture avec leur milieu d’origine, leur engagement dans l’agriculture traduit un parcours hybride, entre ascension sociale et ancrage familial rural, illustrant une redéfinition contemporaine des trajectoires professionnelles dans le monde agricole.