La décarbonation des engrais, au cœur des rencontres de l’Afcome
Le | Agrofournisseurs
Repoussées d’un an en raison de la pandémie, les 17e rencontres de l’Afcome se sont tenues à Pau du 2 au 4 novembre. La décarbonation des engrais a occupé une place centrale dans les débats, tout comme dans les attentes exprimées par la distribution.
330 personnes ont parcouru les couloirs du Palais Beaumont, à Pau du 2 au 4 novembre, à l’occasion des Rencontres internationales de l’Afcome. « Nous craignions que cette première édition post-covid ne rassemble pas les effectifs habituels, indique Alexis Portheault, président de l’Afcome et vice-président de Natup. Mais d’après les premiers retours, tout le monde semble satisfait de pouvoir se retrouver et échanger. » Des retrouvailles entre distributeurs et fournisseurs importantes, dans un contexte de marchés chamboulés. « Ce type d’événement nous permet d’échanger avec nos fournisseurs et nos confrères, car après tout, nous sommes tous dans le même bateau, estime Grégory Jost, d’Axso. Les interventions sont de bonne qualité et nous permettent de prendre de la hauteur sur nos métiers. »
De nombreux projets d’engrais verts portés par les firmes
Cette année, les échanges ont particulièrement porté sur la décarbonation des engrais. Clément Knockaert, responsable des engrais verts pour Fertiberia, a présenté la stratégie de la société espagnole pour arriver à zéro émission nette en 2035. Deux usines espagnoles produiront 200 000 tonnes d’ammoniac vert d’ici à 2027 et deux autres sites industriels devraient être équipées, en 2024 et 2025. « En Suède, nous avons lancé le programme Green Wolverine qui s’appuie sur les énergies éolienne et hydraulique », explique Clément Knockaert. D’un investissement de près d’un milliard d’euros, le projet vise à créer 600 000 tonnes d’ammoniac vert.
Comme Fertiberia, Yara compte produire de l’ammoniac vert grâce à l’énergie solaire, éolienne et hydraulique, mais aussi de produire de l’ammoniac bleu, c’est-à-dire produit à base de gaz naturel, mais dont les émissions de CO2 sont récupérées et stockées. « Yara produit 9 Mt d’ammoniac, a précisé Nicolas Broutin, président de Yara France. Nous comptons en décarboner 3 Mt en 2030, dont 2,4 Mt sont déjà engagées contractuellement. Sur ces 2,4 Mt, 2 Mt seront de l’ammoniac bleu, et 0,4 Mt, de l’ammoniac vert. » Boréalis a également fait connaître ses velléités d’engrais décarbonés, via un projet mené dans le Haut-Rhin avec Hynamics, filiale du groupe EDF. L’objectif est, d’ici à 2025, de disposer d’une unité industrielle qui produira de l’ammoniac grâce à l’hydrolyse de l’eau, en s’appuyant sur un mix énergétique majoritairement porté par le nucléaire. Les fournisseurs adhèrent à cette dynamique, et ont, de leur côté, lancé des opérations de limitation ou de compensation des émissions de CO2 liées à la production d’engrais. Lhoist a, par exemple, signé un partenariat avec Air Liquide pour capter le CO2 d’une de ses usines et le stocker géologiquement en mer du nord. ICL a lancé un processus de recyclage du phosphore et K+S a développé un procédé de séparation électrostatique pour isoler la potasse. Enfin, Tessenderlo a récemment recruté une personne chargée de l’économie circulaire et de la décarbonation.
Les distributeurs craignent des surcoûts importants liés à la décarbonation des engrais
« La décarbonation des engrais, c’est LE sujet majeur, qui arrive et qui va prendre de l’ampleur dans les années à venir », estime pour sa part Didier Roussel, responsable agronomie et services chez OCI Nitrogen. Si de nombreux fournisseurs ont salué ces avancées, les distributeurs se sont montrés enthousiastes, mais prudents. « Nous entendons parler de ce sujet, mais il a du mal à se concrétiser, reconnaît Grégory Jost, d’Axso. Cela devra être pris en compte à l’avenir, mais ce qui m’inquiète, c’est les prix. Je crains que le surcoût ne retombe, une fois encore, sur l’agriculteur, voire le distributeur, qui ne pourront pas le supporter. » Dominique Chargé, président de la Coopération agricole, s’est réjouit : « Vous êtes dans le coup d’après, cela me conforte dans l’idée que la prise de conscience est faite. Désormais, il faut transférer les innovations vers la mise en œuvre concrète sur le terrain. Le financement reste la question prioritaire et majeure, à traiter maintenant. »
Des prix impossibles à chiffrer
Les distributeurs ont d’ailleurs été nombreux à interroger Fertiberia sur le tarif de ses futures solutions. « Nous ne pouvons pas donner de prix, ou chiffrer le surcoût, car nous ne savons pas à quelle valeur de l’énergie se rapporter, a pointé Jean-Luc Pradal, président de Fertiberia France. Dès lors que nous commercialiserons ces engrais verts, la valorisation ne pourra plus suivre la volatilité de l’énergie. Il nous faut des évolutions qui garantissent des amortissements, et des prix fixes. Car si les prix de l’énergie chutent, nos coûts de fabrication resteront les mêmes. » D’autant que le marché ne s’appuie plus sur les coûts de production, mais sur la valeur perçue. « Pas une journée ne passe sans que nous soyons sollicités par un distributeur ou un acteur de l’agroalimentaire qui nous dit « Je vous achète tout, votre prix sera le mien », a expliqué Jean-Luc Pradal. Le prix que nous choisirons dépendra de la valeur perçue, mais tant qu’il n’y a pas plusieurs offreurs et un équilibre entre l’offre et la demande, c’est difficile d’évaluer un tarif. »
« Tout le monde doit être gagnant dans l’opération, a renchérit Richard Bonhomme, manager des achats fertilisants de Terrena. Si vous mettez un prix trop élevé, les intermédiaires et les industriels ne supporteront pas le coût et vos produits vertueux ne trouveront pas leur marché. » Fertiberia a annoncé un partenariat à venir avec un leader français de l’agroalimentaire, qui serait prêt à prendre en charge le surcoût pour décarboner ses produits, tandis que Bertrand Walle, responsable énergie et climat pour Boréalis, a annoncé que le gouvernement devrait délivrer des aides pour la décarbonation des engrais. « Blue ammonia, green ammonia, phosphore recyclé… Nous, distributeurs, allons marcher sur un fil, entre les attentes des citoyens et nos impératifs économiques, a estimé Patrick Loizon, directeur de l’UDCA. Nous allons devoir nous positionner entre une Europe qui veut nous taxer, via une possible redevance, et des États qui veulent nous aider. Cela sera intéressant à vivre, sans doute un peu agité… Mais nous avons l’habitude ! »