Chez Maïsadour, la stratégie carbone pose questions
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La valorisation du carbone est au cœur des réflexions des distributeurs agricoles. L’envie de valoriser financièrement des pratiques agricoles plus vertueuses pour le climat ne cache pas les questions que les entreprises se posent sur ce sujet aux nombreuses zones d’ombre. Depuis un an, Maïsadour travaille ce dossier stratégique. Où en est la coopérative ? Réponses avec Fabien Skiba, directeur recherche et innovation du pôle agricole, et Adrien Chassan, responsable innovation et agroécologie.
Référence agro : Vous avez été retenus dans le cadre de l’appel à projets de l’Ademe pour la réalisation de 30 diagnostics pour les exploitations de moins de cinq ans. Comment allez-vous les réaliser ?
Adrien Chassan : Nous allons profiter de la période calme de l’automne pour démarrer les diagnostics. Ils seront réalisés par un alternant ingénieur agronome qui viendra appuyer les conseillers dans un premier temps. Nous en discutons le 8 novembre avec les chefs de région. Nous allons travailler avec les conseillers pour cibler les jeunes agriculteurs à qui proposer ces diagnostics. Lesquels ne s’adressent pour l’heure qu’aux productions végétales. Nous utiliserons la méthode grandes cultures du label bas-carbone et le logiciel Carbon extract d’Agrosolutions.
R.A. : Quels seront vos points de vigilance sur ces diagnostics ?
AC : Surtout le temps passé chez l’agriculteur : deux à quatre heures, cela passe, mais pas deux jours ! Nous pourrions sous-traiter les audits si ceux-ci n’étaient pas réalisables en interne. Nous travaillons avec un logiciel de traçabilité commercialisé par Smag qui est compatible avec les principaux outils de diagnostics carbone. Pour les agriculteurs ayant une parfaite traçabilité de leurs pratiques, les audits devraient aller vite. Mais pour d’autres, cela pourra s’avérer plus laborieux. Nous verrons également si nous continuerons avec ce logiciel de diagnostic carbone ou un autre à l’issue de cette première phase.
R.A. : Après cette phase, comment allez-vous poursuivre dans le diagnostic des exploitations ?
AC : L’état des lieux va nous permettre d’obtenir des premiers chiffres sur le stockage de carbone et les émissions de gaz à effet de serre, GES, chez nos adhérents, dans notre contexte territorial. La question se posera ensuite de savoir si nous proposerons cette démarche à tous nos adhérents. Elle n’est pas encore disponible sur les palmipèdes et les volailles, un secteur important chez Maïsadour. Nous sommes partie prenante du projet porté par le Comité national pour la promotion de l’œuf, CNPO, et par l’institut technique de l’aviculture Itavi visant à mettre en place un diagnostic carbone sur ce type d’exploitations. Nous allons tester les méthodes auprès de nos adhérents afin de constituer des références techniques.
Nous devons également renforcer la qualité de l’expertise apportée une fois les diagnostics réalisés afin de conseiller l’agriculteur dans le changement de ses pratiques. Nous regardons si nous pouvons construire un service autour du carbone : la partie conseil reste notre cœur de métier.
Fabien Skiba : le dossier du carbone nécessite en effet pour nous de revenir à notre expertise agronomique. Par exemple, nous sommes sollicités par certains de nos fournisseurs, comme Gaïago qui associe, autour d’un produit revitalisant des sols, des crédits carbone. La société s’appuie sur des études montrant que son produit augmente le stockage de carbone du sol : elle a déjà des acheteurs et propose d’en faire bénéficier les agriculteurs. C’est intéressant mais il faudra redoubler de vigilance sur la performance des produits proposés car la démarche carbone engage l’agriculteur sur cinq ans. Nous ne devons pas mettre nos adhérents sur des mauvaises pistes. Nos partenaires de l’aval nous sollicitent également, certains sont déjà partis dans des démarches. En tant que coopérative, nous devons trouver notre propre modèle sur cette thématique carbone.
R.A. : Comment allez-vous valoriser les crédits carbone ?
F.S. : Tout n’est pas tranché : est-ce que ce sera la coopérative qui mettra en marché les crédits carbone ou un tiers ? Nous sommes aussi en réflexion avec notre filiale semences Mas Seeds, qui a une approche mondiale. En France, nous sommes partis sur le label bas-carbone, plus exigeant que d’autres standards internationaux. Avec ce label, nous pourrions peut-être mieux valoriser les crédits carbone.
A.C. : Le cours mondial donne la tendance, mais le prix est propre à chaque projet. Nous pouvons valoriser des cobénéfices générés autour du carbone, et c’est d’ailleurs l’objectif du gouvernement français avec des crédits carbone hyper qualitatifs. En 2020, certains crédits carbones se sont vendus à trois euros la tonne dans d’autres pays ! Par ailleurs, la loi climat et résilience va imposer aux compagnies aériennes de compenser les vols domestiques en préférant des projets européens et français. Nous verrons ce qu’il va en ressortir, mais si la demande s’accroît, le prix du carbone devrait augmenter.
Pour nous, l’objectif est atteint : nous voulions prendre le train du carbone, tout en évitant d’être ni derrière ni devant. Mais nous restons prudents. Pour l’heure, la valorisation est davantage un coup de pouce aux agriculteurs ayant déjà mis en place ou souhaitant mettre en place des pratiques, plutôt qu’une vraie valorisation qui serait le déclenchement d’un changement de pratiques.