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Étienne Armbruster, « imposer un pourcentage de surfaces bio si le terrain n’est pas prêt, est une erreur »

Le | Cooperatives-negoces

Le Green Deal, à l’échelle européenne, ou le Plan ambition bio 2022, en France, fixent des objectifs ambitieux de développement du bio pour les années à venir. Des trajectoires déconnectées des réalités de terrain pour Etienne Armbruster, dirigeant du négoce éponyme alsacien, dont de nombreux clients, en phase de conversion, s’interrogent sur la poursuite de la démarche, en raison de pression maladie ou de hausse des charges.

Étienne Armbruster, « imposer un pourcentage de surfaces bio si le terrain n’est pas prêt, est une erreur »
Étienne Armbruster, « imposer un pourcentage de surfaces bio si le terrain n’est pas prêt, est une erreur »

Référence Agro : Comment le négoce Armbruster se positionne sur le sujet du bio ?

Etienne Armbruster : Après une longue période de réflexion, nous avons investi, en 2016, 5 M€ dans un silo dédié au bio, disposant d’une capacité de stockage de 6 800 tonnes. Par ailleurs, nous avons fusionné en décembre dernier avec l’entreprise AB2F Concept, pour notamment renforcer nos gammes bio. Nous sommes leader sur ce créneau en viticulture, avec 40 % des exploitations qui sont en bio.

R.A. : Comment la campagne s’est elle déroulée pour ces exploitants en cours de conversion ?

E.A. : En Alsace, les vignes sont traditionnellement très peu traitées, en raison d’une faible pression maladie. Beaucoup de viticulteurs ont donc souhaité entamer une conversion vers le bio. Or, en 2021, la nature nous a rattrapés. Le mildiou et l’oïdium ont fortement touché les vignes alsaciennes. Les viticulteurs, qui ont l’habitude de peu traiter, ont réagi trop tard et les rendements en bio ont été catastrophiques. Résultat : beaucoup s’interrogent. Imposer un pourcentage de surfaces bio, comme la France ou l’UE le font, est une erreur si le terrain n’est pas prêt. Le bio doit être une marche naturelle. Les viticulteurs bio vont avoir beaucoup de mal à joindre les deux bouts. Ils ont dépensé 600 €/ha en traitement fongicide, trois fois plus que d’habitude.

R.A. : La situation est-elle la même dans les filières céréalières ?

E.A. : En grandes cultures, beaucoup d’agriculteurs ont récemment manifesté l’envie de convertir au moins une partie de leurs surfaces. Nous travaillons avec une cinquantaine d’agriculteurs. Sur ce groupe, une vingtaine pense à faire marche arrière pour des raisons de charges trop élevées. En céréales, à part pour le blé, le bio est à peine plus rémunéré que le conventionnel, alors que les rendements sont plus faibles et le travail plus compliqué. Il n’y a pas de débouchés et trop de marchandises. Nous avons encore du blé bio de l’année dernière à vendre ! Ce n’est pas une question de philosophie, mais de marché. Le bio français est encore opposé à celui venant de pays tiers, en moyenne 150 € moins cher la tonne. Moralité : avant de pousser des gens à faire du bio, il faut s’assurer de l’existence d’un marché rémunérateur et de moyens de lutter contre les maladies. Il ne faut pas tout miser sur le bio, le consommateur ne veut ou ne peut pas forcément plus dépenser.

R.A. : Cette situation va-t-elle impacter votre stratégie ou vos investissements futurs ?

E.A. : Nous n’avons pas réalisé d’investissements majeurs depuis quatre ans, car nous manquons de visibilité sur la prochaine Pac ou sur l’impact de l’évolution des réglementations. Les seuils de dangerosité, aux mycotoxines par exemple, sont abaissés, mais si on continue de retirer des molécules, je ne sais pas comment on va faire ! Si nous n’arrivons pas à faire produire aux agriculteurs des céréales saines, conformes aux normes, les industriels vont se tourner vers d’autres régions.

Armbruster en chiffres :

  • Capacité de stockage : 300 000 tonnes
  • Représente ¾ de la production de maïs en Alsace
  • 220 000 ha couverts