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Néonicotinoïdes, la filière s’organise… dans l’incertitude

Le | Cooperatives-negoces

La cour de justice de l’Union européenne a déclaré, le 19 janvier, que les dérogations permettant d’utiliser les néonicotinoïdes en protection de semences n’étaient pas conformes au droit européen. Producteurs de betteraves et fabricants de sucre se retrouvent dans une situation crispée, qui pourrait avoir un impact durable sur l’économie locale.

Betterave, une loi pour rétablir une « juste concurrence » dans l’UE - © D.R.
Betterave, une loi pour rétablir une « juste concurrence » dans l’UE - © D.R.

Quelles sont les conséquences, sur le terrain et à court terme, de la décision de la cour de justice de l’UE, jugeant illégales les dérogations autorisant néonicotinoïdes ? Alors que la France reconnait la dimension imparable de ce verdict, Référence agro s’est rapproché d’acteurs de la filière betteravière. «  Cette année, l’impact sur les surfaces sera minime, de l’ordre de 5 % environ, car les agriculteurs ont fait leurs assolements dès la fin des moissons, explique Denis Lepers, directeur des productions végétales d’Unéal, dont les adhérents produisent des betteraves sur 20 000 ha chaque année. Mais dès l’année prochaine, la réduction des surfaces pourrait être bien plus importante. » Dans les faits, depuis la loi du 14 décembre 2020, qui ré-autorisait l’utilisation de néonicotinoïdes mais avec des conditions de rotation strictes, une baisse tendancielle des surfaces de 4 à 5 % était observée en France. « Un gros tiers des producteurs de betteraves français avait d’ores et déjà arrêté d’utiliser des semences enrobées de néonicotinoïdes, pointe un responsable de coopérative productrice de betteraves. En particulier s’ils estimaient que leur secteur était moins exposé aux pucerons. »

Quelles surfaces pour 2023 ?

S’il reste difficile de savoir combien d’agriculteurs prendront le risque de planter des betteraves sans cette solution de protection, des indices confortent l’analyse de Denis Lepers. « Le Gouvernement a parlé d’indemnisations, celles-ci concerneront les producteurs dont le rendement n’est pas à la hauteur, ce qui suppose que le semis ait bien eu lien », selon un expert qui a assisté à la réunion ministérielle du 23 janvier. Ceux qui préféreront se tourner vers d’autres cultures n’entreront donc pas dans le cadre. Cette précision devrait peser dans le choix de maintenir les surfaces en betterave sur 2023. « Par la suite, dans notre secteur, on s’attend à ce que la betterave soit principalement remplacée par du colza et des légumes, dont des pommes de terre », précise Denis Lepers. La zone de production d’Unéal est fortement exposée au risque pucerons, avec des dégâts pouvant générer des pertes de rendement de 10 % à 50 %, selon les secteurs.

Risque de fermeture d’usines

Un industriel producteur de sucre de la région l’affirme : il ne compte pas importer de betteraves sucrières, la France étant à ce jour exportatrice, mais la réduction des exports pourrait peser sur la balance commerciale nationale. « Cela fait un moment que nous échangeons avec les industriels de notre secteur, renchérit Denis Lepers. Et nous connaissons la menace que représente la baisse des surfaces sur les usines de la région. Les schémas industriels vont devoir être repensés, et avec les coûts de l’énergie, il y aura certainement des arrêts de production voire des fermetures d’usines. »

Les alternatives aux néonicotinoïdes sont rares et peu efficaces

Si la décision de la cour de justice de l’UE concerne les molécules interdites sur toutes les cultures en Europe, l’exécutif européen autorise les dérogations pour des produits utilisables sur d’autres cultures. « Le sulfoxaflor, un insecticide autorisé en Europe sous serres serait par exemple une solution alternative intéressante », pointe un spécialiste du secteur. Problème, la France a interdit cette molécule, que nos voisins pourraient utiliser. Deux produits alternatifs sont autorisés en France : le Movento et le Teppeki. Mais leur efficacité est bien moindre, le nombre de passages est limité, et il s’agit de solutions curatives et non préventives.

« Deux molécules sont à l’étude en ce moment en Europe, pointe un expert. L’une d’elle pourrait être disponible dès cette campagne, mais nous manquons de temps, car les semis commencent en mars. Il faudrait accélérer l’homologation, et il n’est pas certain que le fabricant ait le temps suffisant pour produire cette solution. L’autre molécule pourrait être commercialisable pour 2024. »

Génétique et agronomie, des pistes encourageantes

Enfin, le Plan national de recherche et innovation intitulé « vers des solutions opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière », lancé en janvier 2021, rassemble de nombreux acteurs de la filière betterave et de la recherche, afin d’identifier des alternatives aux néonicotinoïdes. « Ce dispositif nous a permis de progresser dans la connaissance des viroses, des déplacements des pucerons, mais après deux ans de recherche, nous n’avons aucun résultat tangible », regrette une source de la filière betteravière. La génomique de la betterave apparaît comme une piste encourageante, mais pourrait fournir ses premiers résultats d’ici 2026 ou 2027.

Pas de solution pérenne, donc, pour la campagne à venir. Mais des pistes du côté de l’agronomie, selon Denis Lepers. « Cela fait plusieurs années que nous travaillons au niveau du service agro pour limiter la prolifération des pucerons, dit-il. Après l’implantation, nous utilisons des couverts préconisés qui piègent les insectes et améliorent la dynamique de levée, mais cela ne remplace pas les néonicotinoïdes. »