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Sensibiliser aux bonnes pratiques phytosanitaires, un exercice de répétition

Le | Cooperatives-negoces

Déployer les bonnes pratiques phytosanitaires, aller au-delà de la réglementation pour éviter que cette dernière ne se renforce. La tâche n’est pas aisée mais motivée par un enjeu, celui de sauvegarder un portefeuille suffisamment large de solutions. Tour d’horizon, avec le regard porté sur la question de trois distributeurs, EMC2, Océalia et Terre Atlantique.

Mathias Sexe, directeur agronomie et développement chez EMC2, Kévin Larrue, responsable du service I - © D.R.
Mathias Sexe, directeur agronomie et développement chez EMC2, Kévin Larrue, responsable du service I - © D.R.

Face au renforcement toujours croissant de la réglementation, les sociétés phytosanitaires multiplient les initiatives pour déployer les bonnes pratiques d’utilisation de leurs produits. L’enjeu est de taille : sauvegarder les solutions actuelles et éviter de voir leurs conditions d’emploi restreintes. Le maintien d’un portefeuille de solutions suffisamment large sur le marché est en outre essentiel. Il permet d’éviter le recours aux mêmes produits et les risques croissants de leur détection dans l’environnement, ainsi que ceux d’apparition de résistances. Mais ces bonnes pratiques sont-elles mises en œuvre sur le terrain ?

Montée en puissance des bonnes pratiques

« Les bonnes pratiques ne datent pas d’hier, relève Mathias Sexe, directeur agronomie et développement chez EMC2 (55). Elles font l’objet de communications depuis longtemps. Pour exemple, des recommandations relatives à la protection des captages sont insérées dans nos guides depuis dix ans. Les préconisations pour éviter le déploiement de résistances sont arrivées peu de temps après. Et aujourd’hui, les leviers agronomiques sont recommandés avant toute utilisation de produits phytosanitaires, avec, si possible, la prise en compte des conditions climatiques de l’année. »

Même constat chez Terre Atlantique (17) : les bonnes pratiques gagnent du terrain. « Les choix de variétés les plus tolérantes aux maladies, par exemple, sont systématiquement privilégiés et en blé tendre, cela permet de ne pratiquement plus appliquer de fongicides contre le piétin verse, souligne Cyril Sacré. Concernant les EPI, les progrès sont également flagrants : aujourd’hui, nos adhérents mettent tous des gants et le recours aux masques et aux tabliers/combinaisons progresse. Notre mobilisation a payé : nous vendons 20 € d’EPI par agriculteur et par an. De même, bon nombre d’agriculteurs dans notre zone sont équipés d’un système de gestion des effluents phytosanitaires. Et ce, parce que notre équipe y croyait il y a déjà presque trente ans. »

Pour Kévin Larrue, responsable du service Innov Agro chez Océalia (16), il n’est pas toujours facile de savoir ce qui se fait exactement chez les adhérents, mais les pratiques évoluent dans le bon sens et les messages sont répétés. « Il ne faut rien lâcher, la pédagogie est l’art de la répétition », souligne-t-il. Son service fait une veille des différents messages en provenance des sociétés phytosanitaires et des instituts techniques pour les relayer auprès des adhérents. « Les recommandations sont transmises à plusieurs occasions, précise-t-il. Via le conseiller d’exploitation, qui porte l’approche globale, via les réunions de groupes d’agriculteurs comme les visites de plateformes, ou par SMS/mails envoyés de manière ciblée à des utilisateurs de tel ou tel produit. »

Des recommandations locales

« Un travail de monitoring, sur fongicides et herbicides, nous permet d’orienter nos recommandations de bon usage des produits au niveau local, reprend Kévin Larrue. Les problématiques de résistances, de qualité des eaux… sont également travaillées dans nos expérimentations en micro-parcelles. » Océalia a par ailleurs constitué en 2021 un réseau de fermes expérimentales. « L’approche système y sera étudiée dès 2022, sur grandes parcelles et sur plusieurs années pour pouvoir entre autres analyser l’effet rotation », ajoute Kévin Larrue.

Chez Terre Atlantique, les grosses altises sont surveillées de près avec la méthode Berlèse. « La mise en commun des résultats hebdomadaires de nos Berlèses permet aux adhérents d’envisager une lutte plus raisonnée », relève Cyril Sacré. Le responsable terrain/appro regrette que les OAD de prévision de maladies sur céréales ne soient pas encore assez précis et donc suffisamment rentables.

Encore de nombreux freins

Pour autant, aller au-delà de la législation n’est pas si simple. « La réglementation est déjà suffisamment lourde, reprend Cyril Sacré. Difficile de ne pas perdre les agriculteurs lors des réunions dédiées. Prenons l’exemple du prosulfocarbe : les conditions d’utilisation sont aujourd’hui très complexes, avec les buses à injection d’air obligatoires, des distances imposées vis-à-vis de cultures non cibles, etc. Avec les ZNT, DVP, interdictions sur sols artificiellement drainés, utilisations de substances actives tous les deux ans… la réglementation phytosanitaire prend de plus de plus de place. Or sur 2h30 d’entretien avec un agriculteur, à cette saison de prévisionnel appro de printemps, un TC ne peut pas consacrer plus de trois quarts d’heure à la question des phytosanitaires, qui comprend la réglementation et la technique. »

Pour Mathias Sexe, la réglementation va souvent trop loin dans certaines situations où les risques sont faibles. Le directeur agronomie et développement chez EMC2 souhaiterait par ailleurs que les agriculteurs soient davantage aidés, notamment pour changer leur matériel. « Les solutions à plus faibles impacts environnementaux sont facilement adoptées dès lors qu’elles sont efficaces et que leur coût n’est pas excessif, complète-t-il. Le recours aux anti-limaces à base de phosphate ferrique en est la preuve. Mais de telles solutions ne sont pas légion. Certaines situations n’ont parfois pas de solutions : un agriculteur qui, en l’absence d’herbicides efficaces au printemps contre les résistances, est amené à désherber à l’automne, même si les réserves utiles sont élevées et que le risque de retrouver les molécules dans l’eau l’est également. De même, l’allongement des rotations exige de trouver de nouvelles cultures rentables, ce qui n’est pas aisé. »

Expliquer les finalités et jouer collectif

Pour Kévin Larrue, les agriculteurs, conscients que le nombre de substances actives disponibles se réduit d’années en années, sont de plus en plus à l’écoute. « Ils comprennent également que, dans le cas des résistances, l’anticipation coûte moins cher que la remise en question complète du système, nécessaire lorsque des impasses font jour, précise-t-il. Mais modifier ses pratiques ne se fait pas du jour au lendemain. La sensibilisation aux bonnes pratiques est un travail de longue haleine. »

Les informations et formations relatives aux bonnes pratiques sont légion. Pour qu’ils soient entendus par les agriculteurs, Kévin Larrue s’applique à en expliquer les finalités. « Les recommandations ne doivent pas être présentées comme une contrainte supplémentaire, avance-t-il. Nous devons présenter leur intérêt final, expliquer par exemple que la diminution du grammage du dmta-p est une question de santé publique et qu’elle est indispensable pour éviter de futures restrictions. »

L’enjeu est par ailleurs de sensibiliser l’ensemble des agriculteurs. « Car il suffit d’un mauvais élève pour tout mettre à mal, conclut Mathias Sexe. Jouer collectif, surtout dans un bassin versant, est indispensable. »