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L’agriculture régénératrice, alliage entre démarches de filières fortes et concept marketing

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Concept marketing, mouvement de fond, effet de mode, « sous-ACS »… l’agriculture régénératrice est dans l’air du temps, et soulève des questions, voire de la méfiance. Le thinktank Agridées organisait une journée de débat, le 10 juin à Paris, pour aborder les différentes facettes de ce mode de production, dont le point fort principal est sa capacité à fédérer les maillons des filières.

Photo Agridées. - © D.R.
Photo Agridées. - © D.R.

La question se pose de plus en plus, à mesure que ce mode de production gagne en visibilité : l’agriculture régénératrice est-il un concept marketing ou un changement de paradigme ? C’est en tout cas en ces termes qu'Agridées a organisé un débat, le 10 juin à Paris. Une journée d’échange qui a permis de resituer les différentes positions qui se cristallisent autour de l’agriculture régénératrice.

L’ACS revendique un cadre technique plus strict

Dans un registre très agronomique, l’un des points d’interrogation, qui prend parfois des allures de polémique, tient à la comparaison entre agriculture régénératrice et agriculture de conservation des sols, ACS. Les partisans de cette dernière, dont l’Association pour une agriculture durable (Apad), voient d’un œil circonspect l’émergence d’une concurrence aux contours flous. « La régénération s’appuie sur des leviers différents selon les projets, note ainsi Diane Masure, agricultrice et membre de l’Apad. Le risque, au-delà de possibles confusions, c’est qu’on finisse par ne plus voir que le négatif de chaque formule. Stigmatiser ceux qui utilisent le glyphosate ou ceux qui travaillent le sol par exemple, plutôt que de mettre en valeur ce que permettent ces outils. »

Agriculture régénératrice, adaptable au cas par cas

De fait, si la question de la définition de l’agriculture régénératrice a été posée à maintes reprises, aucune réponse claire et consensuelle ne s’est dégagée. Les partisans de l’agriculture régénératrice ont toutefois leur argument : l’absence de définition stricte favorise une grande adaptabilité, pour toutes les filières et tous les contextes locaux. Michel Dubois, expert référent en sciences de l’agriculture au pôle d’enseignement supérieur de Beauvais, UniLaSalle, se fixe lui dans une logique d’objectifs et non de moyens : « Pour moi, le débat régénération/ACS paraît stérile en termes technico-scientifiques : les finalités sont les mêmes, et dans les deux cas, l’implication des agriculteurs, plutôt que l’injonction, est indispensable pour arriver au succès. »

S’appuyer sur le marketing « dans sa dimension noble »

L’un des termes du débat, « marketing », a également suscité la discussion. Mais finalement, pas tellement de débats, les intervenants se rejoignant sur ce point : oui, l’agriculture régénératrice relève du marketing. Diane Masure reconnaît d’ailleurs sans ironie que « malgré nos contours techniques très clairs en ACS, nous sommes moins bons sur cet aspect ». Pierre-Marie Brizou, qui représentait Danone, ne s’en cache pas : « Le marketing n’est pas un gros mot. Nous assumons cette facette du concept, dans sa dimension noble : mettre en lumière une réalité, des efforts concrets. Nous avons des faits à mettre en avant. » Autrement dit, « marketing ne veut pas dire greenwashing », abonde Rachel Kolbe, directrice durabilité d’InVivo.

Le consommateur encore peu concerné

Par ailleurs, la table ronde consacrée à la valorisation économique de l’agriculture régénératrice a accouché d’un autre consensus, formulé par Bertrand Morand, responsable filière de Système U : « Pour le moment, ce marketing ne s’adresse pas aux consommateurs. Des systèmes de contrats se mettent en place, les discussions rassemblent les acteurs des filières, mais ça ne se joue pas à la caisse du magasin. » Les autres dispositifs économiques qui émergent, type Label bas-carbone ou PSE, mobilisent des financeurs externes aux filières, ne s’appuient pas non plus sur le porte-monnaie des ménages. « Il est un peu tôt pour avancer des éléments de preuve, ajoute Bertrand Morand. Ce serait un gros risque : en France, le consommateur s’informe, toute communication hasardeuse serait vite détectée. »

Une dimension « filière » forte

Assez clairement, c’est cette spécificité « filière » qui ressort comme le point fort le plus concret de l’agriculture régénératrice. Les projets se construisent se distinguent par leur caractère co-construit, et par la pluralité des acteurs qui s’y investissent. Anne Trombini est la directrice de Pour une agriculture du vivant, un mouvement qui s’appuie précisément sur une gouvernance rassemblant « tout l’écosystème socio-technique et financier des filières ». Objectifs : dégager « une vision commune », mais aussi une répartition de la valeur acceptée par tous. Sur le plan économique, l’agriculture régénératrice a ainsi pris de l’avance sur l’ACS, par exemple. Des systèmes de primes voient le jour, ce qui ne laisse pas insensible Henri Bies-Péré, vice-président de la FNSEA, présent dans l’assistance, qui rappelle que pour l’agriculteur, « changer de pratiques signifie risques et investissements ». Une réalité incontournable de la transition agroécologique.