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« Nous sommes dubitatifs sur les résultats de l’agriculture régénérative », François Mandin, président de l’Apad 

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L’agriculture régénérative s’invite dans de plus en plus de cahiers des charges. Un succès qui interroge du côté de l’Association pour la promotion d’une agriculture durable, Apad, qui prône l’agriculture de conservation des sols, système très exigeant en termes de pratiques, et dont les résultats écologiques et économiques sont réellement reconnus, soutient François Mandin, président de l’Apad.

François Mandin, président de l’Apad (photo Trame). - © D.R.
François Mandin, président de l’Apad (photo Trame). - © D.R.

Référence agro : Quel regard l’Apad porte-t-elle sur la montée en puissance des projets d’agriculture régénérative ?

François Mandin : Cet engouement pour l’agriculture régénérative est arrivé récemment par l’aval. Nous y voyons un concept marketing, un peu fourre-tout, qui arrange bien les agro-industriels en panne d’inspiration entre le bio, marché saturé pour certains produits et très cher pour d’autres, et un conventionnel un peu déprécié. Le problème, c’est que l’aval communique beaucoup, mais ce concept est vendu aux agriculteurs avec des contours différents selon les contrats et cahiers des charges. L’absence de cadre global reconnu pose question. L’Apad a échangé avec des structures comme Regeneration International ou Kiss the ground. À l’international, il apparaît que l’agriculture régénérative a une connotation très extensive, presque décroissante. Pour nous, cela contribue à accentuer le côté un peu opportuniste du concept : prendre des mots qui sonnent, et les retoiletter à sa guise.

Enfin, je pense que les marques s’engouffrent dans l’agriculture régénérative car cela verdit leur approvisionnement sans remettre en question leurs critères techniques, leurs volumes et leur prise de risque. Or, la transition passe aussi par là ! Tant que l’industriel demande un blé à 12 % de protéines, l’agriculteur utilisera de l’engrais azoté.

R.A. : Ressentez-vous le besoin de prendre la parole pour positionner l’ACS par rapport à l’agriculture régénérative ?

F.M. : Nous ne voulons pas être négatifs à tout prix. Il est vertueux de vouloir améliorer les pratiques, de s’intéresser aux sols. Pourquoi ne pas envisager, à terme, une convergence de ces concepts d’agriculture régénérative vers l’ACS ? Les concevoir comme une étape intermédiaire, par exemple, cela me va tout à fait, car je milite pour un système où l’agriculteur reste maître du rythme de ses changements, et je ne vois aucun inconvénient aux évolutions progressives.

Pour l’heure, c’est aux promoteurs de l’agriculture régénérative d’expliquer leur concept, de le situer par rapport à l’ACS le cas échéant, de chiffrer leurs résultats à partir de données solides. L’Apad ne sera pas proactive sur ce sujet, mais nous répondons présent, bien sûr, quand nous sommes sollicités. Notre préoccupation, c’est aussi les agriculteurs : nous voulons qu’ils y voient clair sur ces modes de production, y compris d’un point de vue technique.

R.A. : Justement, quel regard technique portez-vous sur l’agriculture régénérative ?

F.M. : Nous sommes dubitatifs sur ses résultats concrets, en tout cas pour les formules saupoudrant différents concepts à la carte. Nous ne doutons pas qu’il puisse y avoir des aménités positives pour le sol. Pour autant, nous ne sommes pas attachés aux trois piliers de l’ACS pour le plaisir de faire les puristes. Tous nos travaux, et la bibliographie dédiée, montrent qu'il faut bel et bien appliquer les trois pour avoir les vrais bénéfices environnementaux et économiques de l’ACS : couverts végétaux, semis direct et rotations longues.

De plus, l’approche de l’agriculture régénérative est souvent appliquée sur une filière, donc une seule culture. Il y a un risque de multiplication des démarches sur une exploitation : une pour le blé, une pour la pomme de terre… Le label de l’Apad, Au cœur des sols, a le mérite d'être pensé pour une exploitation dans son ensemble.

R.A. : Où en est ce label, justement ?

F.M. : À ce stade, plus de 250 fermes sont labélisées. Aujourd’hui, avant de toucher plus d’exploitations, nous travaillons sur la valorisation de ce label. Pour le moment, il offre une belle reconnaissance aux agriculteurs. Nous voulons y ajouter de la valeur économique. L’Apad creuse deux sillons. Le premier est d’échanger avec l’aval des filières, et proposer aux agroindustriels de contractualiser Au cœur des sols. Nous sommes conscients que c’est complexe pour des raisons diverses : besoin de volumes importants, centralisés sur une zone restreinte… les discussions se poursuivent toutefois.

La seconde piste : la commercialisation de crédits carbone. L’Apad a monté un dossier autour de 230 fermes labélisées, soit 350 agriculteurs et 40 000 hectares, pour un volume de 200 000 tonnes de carbone. Nous sommes dans la phase de diagnostic, qui précède le dépôt final du projet et sa validation par le ministère de la Transition écologique. Nous sommes également en train d’avancer sur la commercialisation de ces crédits carbone, auprès de potentiels partenaires. Nous sommes confiants pour la suite !

>> Lire aussi nos articles sur les projets d’agriculture régénérative portés par Nestlé avec Noriap, par Pur Projet ou l'appel à manifestations d’intérêt proposé par Agri Sud-Ouest Innovation.