Irène Tolleret, députée européenne, « La relance ne peut être que verte »
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Comment réorienter la prochaine stratégie alimentaire européenne ? Irène Tolleret, vigneronne et députée européenne Renaissance défend le modèle de Projet alimentaire territorial européen. Quant au plan de relance de l’agriculture européenne, il ne doit pas déstabiliser le budget de la Pac et s’appuyer sur la croissance verte. Explications.
Avec la crise économique que vit le monde agricole pendant la crise du Covid-19, la députée européenne Irène Tolleret du groupe Renaissance et membre de la commission de l’agriculture du Parlement européen, voit une mise à l’épreuve d’une agriculture européenne gérée de façon trop centralisée, manquant de pragmatisme avec des modèles économiques entrelacés. Elle a fait le point lors d’une conférence organisée par l’Association française des journalistes agricoles (Afja) le 29 avril. Le train de mesures annoncé le 23 avril est un début de réponse mais pas LA réponse qui doit être plus structurelle. Et elle prévient : « La Pac et le plan de relance suite à la crise du Covid-19 sont deux solutions différentes à articuler. La Pac est une chose, mais nous devons aller au bout d’une politique alimentaire commune. La crise du Covid est un crash test sur l’agriculture européenne ». Préférant alors défendre le concept de « Projet alimentaire territorial européen ». Lequel répond à ce besoin fort de relocalisation largement défendu depuis le confinement. « Il est grand temps d’accompagner les filières alimentaires sur la voie de l’indépendance », a-t-elle relevé. Les gouvernances devraient être plus locales, plus partagées, afin de réagir plus rapidement et d’éviter des crises alimentaires.
Gâchis par manque d’harmonisation des procédures de transit
À titre d’exemple, elle s’insurge contre l’énorme gâchis alimentaire, économique, alors même que des chaines logistiques sont rompues, faute d’emballages importés d’Espagne, ou pour des questions de frêt, de fermeture d’aires d’autoroute, de carence en travailleurs saisonniers… Les restrictions de mouvements ont mis en évidence le manque d’harmonisation de procédures pour le transit intra-communautaire. Elle estime aussi que le lien entre la production agricole et l’aide alimentaire doit être renforcé, prenant pour exemple les difficultés à réorienter les stocks excédentaires sur les réseaux concernés : 1500 tonnes de fromages AOC n’avaient pas trouvé preneur fin avril. Ajoutant que « la désorganisation affecte d’ailleurs tous les pays, au moins 150 millions de personnes supplémentaires risquent de mourir de faim dans le monde d’ici à la fin de l’année suite à cette crise. »
Côté financier, la crise du Covid-19 risque de tout remettre à plat avec un budget européen indexé sur la croissance du PIB, lequel devrait perdre 10 %. Le plan de relance sera adossé sur une partie du budget pluriannuel de l’UE. Et d’autres mesures, après celles annoncées le 23 avril, devraient suivre. Mais, pas question pour la députée de déshabiller la Pac, dont le vote du budget doit être protégé, et même s’il n’est pas arrêté le 30 octobre.
L’économie verte, la voie de sortie durable
La relance ne sera alors possible que si elle est verte. « Nous sommes obligés de faire un plan massif qui sera financé par une forme de dettes, sinon la contribution de chaque État-membre au budget augmentera de façon importante. La dette va devoir s’étaler au minimum sur une génération. » Alors, pour la députée, l’investissement doit se centrer sur les métiers de demain, ceux de l’économie verte pour soutenir une croissance durable et avoir un avantage concurrentiel. La gestion de cette crise exceptionnelle ouvre la voie à un autre modèle économique, « et ne doit pas se contenter de juste boucher les trous » . Le projet Farm to Fork dans le cadre du green deal devrait être annoncé fin mai et donner un poids plus fort au secteur alimentaire. Les fondations de l’après crise.
Irène Tolleret : « De l’argent frais pour les secteurs touchés par la crise du Covid »
Vin, fruits et légumes, éthanol issu de la betterave sucrière, horticulture, pomme de terre et volaille : « Les aides sont insuffisantes », alerte Irène Tolleret. A titre d’exemple pour le secteur laitier et viandes, 88,5 millions d’euros ont été attribués alors que le soutien décidé suite à l’embargo russe s’élevait à 1 500 millions d’euros. La seule mesure du stockage des produits laitiers pourrait ne pas suffire. Il faudrait un programme de réduction de la production, comme celui mis en place lors de la dernière crise du lait en 2015. Pour les viandes, le stockage privé couvre la viande des animaux de plus de 8 mois. Des mesures adaptées pour les veaux sont nécessaires.
Pour le secteur viticole, le financement de la distillation de crise par le plan d’aide nationale comme mesure principale ne ne couvre pas les coûts de production. « Il faudrait a minima 50 à 60 euros/hectolitre. » En fruits et légumes, à l’insuffisance de fonds, s’ajoutent des flexibilités administratives qui ne sont pas toujours appropriées comme la possibilité de vendre les produits en dehors des organisations de producteurs. Ce secteur est en plus fortement touché par le manque de main d’œuvre saisonnière. L’horticulture affiche 80 % de pertes, au delà des dérogations à la concurrence, une allocation financière pour aider la trésorerie des producteurs est demandée.