L’augmentation de la RPD envisagée par le Gouvernement agace et pose question
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En prévoyant d’augmenter la redevance pour pollution diffuse, RPD, d’environ 17 % dans le prochain projet de loi de finance, le Gouvernement fait grincer les dents de la profession agricole. Cette perspective interroge aussi sur le fonctionnement et la redistribution des fonds collectés via cette taxe.
La FNSEA en a fait un enjeu majeur de cet automne. L’augmentation de la redevance pour pollutions diffuses (RPD), envisagée dans le prochain projet de loi de finance, fait bondir le syndicat majoritaire. Le total collecté passerait de quelque 180 millions d’euros pour 2023 à près de 210 M€. Une augmentation de 17 %. « On ne l’a pas vu venir, déplore Christian Durlin, qui suit le dossier de près pour la FNSEA. Dans le cadre du Plan eau, une enveloppe de 475 M€ a été annoncée pour augmenter le budget des Agences de l’eau. La question du « comment » ne s’est posée qu’après. Cette augmentation de la RPD vise apparemment à y répondre. »
Une redevance actuellement « assez faible », selon trois ministères
L’idée d’alourdir la RPD a peut-être été inspirée par un rapport des services de trois ministères (1) datant de 2021, et rendu public dans le courant de l’été 2023, évaluant Écophyto sous l’angle financier. Auditionnés le 7 septembre dans le cadre de la commission d’enquête sur l’échec d’Écophyto, deux des auteurs du document ont évoqué la RPD. Pierre Deprost, inspecteur général des finances, et Claude Ronceray, inspecteur général de l’agriculture, ont estimé que cette redevance, « dont le taux est très bas », avait un impact « assez faible sur le prix du produit ». La RPD représente, selon le rapport, de l’ordre de 5 % du chiffre d’affaires du marché phytosanitaire, avec des taux variables selon la dangerosité des produits (de 0,9 € à 9 € par kilogramme de produit). Dans deux des scénarios suggérés par le rapport pour enfin réussir à faire reculer les usages de pesticides, l’activation de l’outil fiscal est mise en avant. La hausse drastique de la RPD est même la mesure centrale d’un de ces scénarios (voir encadré).
La RPD, entre deux eaux
Alain Carpentier, directeur de recherche à Inrae, est spécialiste des questions liant usages de phytos et fiscalité. Il classe les taxes en deux grandes catégories. « Les taxes incitatives doivent généralement être à taux élevés, leur but étant de modifier un choix, comme de réduire significativement l’utilisation de pesticides, explique-t-il. Ces taxes ne visent pas à collecter de l’argent. Elles peuvent même ne rapporter que peu d’argent aux pouvoirs publics. Les autres taxes, quant à elles, visent à collecter des fonds pour alimenter les finances publiques ou, dans le cas des redevances, financer des opérations spécifiques. Les taux de ces taxes sont généralement faibles, afin d’être acceptées et pérennes. »
Selon lui, la RPD est essentiellement pensée pour financer Écophyto et le suivi et la préservation de la qualité de l’eau, mais est souvent présentée comme visant à inciter les agriculteurs à utiliser moins de pesticides. Elle souffre de ne se situer réellement dans aucune des deux cases. Augmenter les taux de la RPD générerait plus d’incitation à réduire les pesticides, mais pèserait sur le revenu des agriculteurs en l’absence de mesures compensatoires.
« La RPD devient un impôt de production »
Du côté de la FNSEA, on croit savoir que la hausse de la RPD envisagée par le Gouvernement a vocation à alimenter deux dossiers, au sein des Agences de l’eau. « L’objectif serait de financer des mesures agroécologiques et des projets en bio, glisse Christian Durlin. Autrement dit, taxer tout le monde pour n’accompagner que quelques uns. L’augmentation des surfaces en bio est une politique d’État : il serait donc logique que ce soit l’État qui finance, et pas l’ensemble de la profession. » Le syndicat est en contact avec les services du ministère pour faire valoir ses arguments… et demander des comptes. Car, avant même l’augmentation de la RPD, le Gouvernement serait, selon la FNSEA, déjà bien en peine d’expliquer ce que devient une moitié des 180 M€ annuels actuellement collectés.
« La RPD est de toute façon en train de devenir un impôt de production, peste Christian Durlin. Tous les agriculteurs souhaitant utiliser des produits phytosanitaires pour protéger leurs cultures vont devoir changer leur plan de charges, et de manière sensible. »
(1) Le Conseil général de l’environnement et du développement durable du ministère de la transition écologique ; l’Inspection générale des finances du ministère de l’Économie ; et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux du ministère de l’Agriculture.
Rapport interministériel Écophyto : l’outil fiscal mis en avant
Le rapport des ministères chargés de l’agriculture, de la transition écologique et de l’économie placent la fiscalité au cœur de deux des trois scénarios imaginés pour relancer Écophyto. Le scénario visant à segmenter plus clairement l’agriculture, entre les filières consommatrices de produits phytosanitaires et les filières économes, pourrait ainsi être accompagné d’une fiscalité appliquée aux premières pour financer les secondes. « Mais si ces actions fiscales sont fortes et générales, on perd rapidement le bénéfice de la concentration des aides et de la différenciation de l’offre », avertissent les auteurs. Le scénario visant à inciter toutes les filières à progresser de manière plus globale fait, quant à lui, de la hausse de la RPD son pilier. Pour « créer un véritable choc fiscal » qui soit dissuasif et qui permette de réduire de 50 % les usages, les auteurs du rapports estiment que le prix des produits doit être doublé. Les dispositifs fiscaux imaginés dans ces scénarios pourraient d’ailleurs ne pas se cantonner à l’agriculture, et être prolongés jusqu’aux consommateurs. Autrement dit, taxer davantage les aliments « produits avec pesticides » pour qu’ils ne soient pas significativement moins chers que les produits « sans ».