« Nous n’avons pas ménagé nos efforts », Christiane Lambert, présidente du Copa
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Après des semaines d’agitations des agriculteurs en Europe et les élections européennes qui démarrent, Christiane Lambert, présidente du Copa revient pour Référence agro sur les grandes batailles du syndicat représentant les agriculteurs dans l’Union européenne de ces derniers mois.
Référence agro : Comment avez-vous vécu ces derniers mois d’agitation en Europe ?
Christiane Lambert : Les protestations se sont intensifiées à travers l’Europe au cours des six derniers mois, touchant une variété de sujets sensibles. Aux Pays-Bas, les tensions ont éclaté autour des nitrates, tandis que dans les pays de l’Est, l’attention était tournée vers les flux de céréales en provenance d’Ukraine. À l’Ouest, les préoccupations ont porté sur le commerce de la volaille et du sucre. En République tchèque, en Espagne et en Italie, les débats se sont enflammés autour de la mise en œuvre de la Politique agricole commune dans un contexte de sécheresse historique. En France, les manifestations ont été motivées par des questions liées à l’irrigation et aux redevances pour les pollutions diffuses, ainsi qu’au GNR. En Allemagne, l’attention s’est concentrée sur le GNR et les exigences imposées aux agriculteurs pour accéder à l’écorégime, dispositif nouveau au 1er janvier 2023. Le constat est sans appel : près de 40 % des agriculteurs allemands ont échoué à obtenir l’écorégime, tandis que 95 % des exploitants français y parviennent.
Ces manifestations, qui ont connu un pic à la fin de l’année dernière et au début de cette année, sont le résultat d’une combinaison complexe de facteurs. Elles sont alimentées par l’évolution de la mise en œuvre complexe de la Politique agricole commune, les objectifs ambitieux de Farm to fork, ainsi que l’inflation consécutive à la guerre. Dans ce contexte, le Copa a plaidé en faveur de l’imposition de droits de douane sur certains volumes de produits en provenance d’Ukraine. Certes, la France exporte plus vers l’Ukraine mais pas en ce qui concerne les produits agricoles.
R.A. : Comment le Copa - Cogeca a œuvré pour simplifier certaines règles de la Pac ?
C.L : La mise en œuvre de la Pac est d’une grande complexité avec les bonnes conditions agricoles et environnementales, appelées aussi conditionnalité. Fixer des dates dans un domaine aussi étroitement lié au contexte climatique est un non-sens. La densité de Farm to fork avec pas moins de 27 textes en négociation est impressionnante ! Au sein du Copa - Cogeca, nous n’avons pas ménagé nos efforts. Depuis longtemps, nous avançons des propositions visant à simplifier la réglementation, que nous avons ressorties à cette occasion. Nous avons identifié et proposé plus de 500 dispositifs de simplification émanant des 27 pays.
Nous constatons que la Commission européenne a réagi plus rapidement que d’habitude, notamment en ce qui concerne la poursuite de la mesure permettant de cultiver sur les jachères. De plus, la Commission s’apprête à revoir certains aspects de la BCAE 1, notamment en ce qui concerne le ratio de prairies permanentes, qui sera désormais évalué et adapté en fonction des spécificités régionales, ce qui est plus intelligent. Mais également la rotation des cultures : il semble enfin que la Commission ait pris conscience qu’il n’est pas préjudiciable de pratiquer le semis d’un maïs sur maïs ou d’un blé sur blé. Tout cela est une évolution significative dans la compréhension des pratiques agricoles raisonnées.
R.A. : Sur quels autres dossiers avez-vous travaillé ?
C.L : Tout d’abord, le projet de règlement sur l’utilisation durable des pesticides, SUR, a été renvoyé à la Commission pour une réécriture en profondeur. Ensuite, la loi « restauration de la nature » ne verra pas le jour sous la présidence belge. Enfin, la raison prévaut, puisque cette loi voulait mettre 10 % des terres en non-production, rendant impossible toute évolution, même l’obtention d’un permis de construire.
Nous avons également négocié dur sur la directive émissions industrielles, malheureusement adoptée avec une maigre majorité de seulement 7 voix ! Cette décision est aberrante : placer les exploitations agricoles sur le même plan que les cimenteries est une insulte à l’agriculture. La négociation a permis d’exonérer les bovins, mais pas pour la volaille où tout reste à faire. Une clause de rendez-vous est fixée en 2026.
Par ailleurs, nous avons fait échouer la loi-cadre sur les systèmes alimentaires durables, véritable usine à gaz qui dictait ce que nous pouvions ou pas manger ! Autre sujet important, nous avons réussi à faire valoir la vision française du Carbon farming, en obtenant la prise en compte de la réduction et pas seulement le stockage du carbone. Ce succès n’était pas garanti au début.
Ces différents dossiers s’inscrivent dans notre travail visant à stopper cette frénésie réglementaire comme nous l’avons fait dans le cadre de la Politique agricole commune.
R.A. : Qu’attendez-vous des élections européennes ?
C.L : Alors que la campagne électorale est déjà lancée, certains tentent de prendre les agriculteurs en otage pour servir leurs propres intérêts. Au Copa, nous avons toujours défendu les agriculteurs sans nous aligner sur une ligne politique particulière. Toutefois, il est évident pour nous de constater quels partis politiques soutiennent réellement les amendements et les actions en faveur du monde agricole, et ceux qui restent passifs. Dans un contexte plus large, nous aspirons à une attitude moins radicale de la prochaine mandature à l’égard du secteur agricole. Nous militions pour un meilleur positionnement du Commissaire à l’agriculture qui soit vice-président de la Commission européenne. La déclaration d’Ursula von der Leyen le 13 septembre 2023 marque un changement de logiciel quant à la direction à venir. Enfin, l’agriculture est placée au cœur des enjeux européens, avec les agriculteurs reconnus en tant qu’acteurs primordiaux dans la garantie de la sécurité alimentaire et de la lutte contre le changement climatique. Cette déclaration marque une rupture avec la présidence Timmermans, brisant la dichotomie entre agriculture et environnement, et annonçant un ambitieux plan pour le secteur agricole. C’est l’objet du dialogue stratégique pour l’avenir de l’agriculture qui a été lancé et où le Copa-Cogeca est fortement engagé. Le monde agricole a osé monter au créneau depuis toujours et ça a payé. Plus que jamais, il faut continuer.