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« Protéger dès maintenant les puits naturels de carbone », Antoine Pierart, Ademe

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La neutralité carbone de la France ne se fera pas sans les secteurs agricoles et forestiers. En publiant quatre scénarios prospectifs, l’Ademe veut pousser les pouvoirs publics à agir vite. Antoine Pierart, coordinateur sol et prospective à l’Ademe, nous éclaire sur ce qu’il faut retenir de l’enjeu agricole des scénarios qui se multiplient ces dernières années et nous dévoile la suite des travaux de l’agence.

« Protéger dès maintenant les puits naturels de carbone », Antoine Pierart, Ademe
« Protéger dès maintenant les puits naturels de carbone », Antoine Pierart, Ademe

Antoine Pierart, coordinateur sol et prospective à l’Agence de la transition écologique, Ademe, tire la sonnette d’alarme : il faut agir dès maintenant, mais selon nos choix la contribution des systèmes agricoles et alimentaires à l’atteinte de la neutralité carbone de la France ne sera pas forcément suffisante. L’Ademe a présenté, le 1er mars, la composante agricole et alimentaire de l’étude « Transition(s) 2050 ». Elle insiste sur la préservation des puits naturels de carbone dans les sols et de la biomasse agricole et forestière. Entretien au Salon de l’agriculture.

Référence agro : Quels sont les scénarios agricoles que vous envisagez pour que la France atteigne la neutralité carbone ?

Antoine Pierart : Quatre scénarios ont été réalisés : génération frugale (1), coopérations territoriales (2), technologies vertes (3) et pari réparateur (4). Les contributions du secteur agricole varient en fonction des scénarios. Les leviers agroécologiques demeurent la base, l’ambition est plus forte dans les deux premiers qui reposent sur une transition alimentaire majeure : moindre consommation de produits carnée, augmentation des produits de qualité, davantage de sobriété et renforcement du rôle social d’une alimentaire saine et durable. Ces évolutions se traduisent par une transition importante des systèmes productifs agricoles.  Seuls ces scénarios permettent de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole à l’horizon 2050 ; ils nécessitent une transition profonde des modes de consommation et des systèmes productifs.  Les deux autres scénarios optent davantage pour des gains d’efficacité permis par les performances technologiques des filières et le recours massif au numérique. Ils impliquent un report de l’effort sur les autres secteurs de l’économie.

Des points communs sont à noter : le gaspillage alimentaire est réduit de moitié en 2050 par rapport à 2010, la quantité de biomasse mobilisée pour les besoins non alimentaires est au moins multipliée par deux tout en maintenant le niveau d’autonomie alimentaire de la France. Tous les scénarios mettent en avant le rôle incontournable du vivant et des sols dans la lutte contre le changement climatique et l’atteinte de la neutralité carbone.

Bien que l’Ademe ne fasse pas le choix d’un scénario, il faut souligner que les quatre scénarios reposent sur des choix de société drastiquement différents, avec des questions d’acceptabilité et de faisabilité. D’une manière générale, les scénarios 1 et 2 nécessitent des changements radicaux vers des comportements plus sobres ; les scénarios 3, et plus encore 4, reposent sur des bonds technologiques dont certains sont incertains.

R.A. : Que sont les « puits technologiques » que vous estimez indispensables dans les scénarios 3 et 4 ?

A.P. : Ces scénarios exploitent de manière plus intensive les ressources issues du vivant pour les besoins alimentaires mais aussi non alimentaires. Les puits naturels (sol, biomasses, NDLR) sont alors trop faibles pour permettre de compenser nos émissions et atteindre la neutralité carbone. Il faudra faire appel à des puits de carbone technologiques, mis en place dans d’autres secteurs. Ils sont de deux niveaux : soit un système de capture et stockage du dioxyde de carbone (CO2) en sortie usine, soit un procédé qui permet de capter le CO2 directement dans l’air pour ensuite le stocker dans le sous-sol. Mais ces technologies ne sont pas encore complètement matures.

R.A. : Beaucoup de scénarios ont été publiés par différents organismes ces dernières années. Quelles sont les différences entre eux ?

A.P. : Selon les travaux, les hypothèses initiales et les objectifs peuvent varier, en particulier le niveau d’ambition et l’ampleur du développement de certaines pratiques. De fait certains résultats ne vont pas toujours dans le même sens. Néanmoins, sur les principaux enjeux et leviers, les orientations convergent : le vivant a un rôle central, les pratiques de l’agroécologie sont souvent mobilisés, les régimes alimentaires doivent évoluer vers moins de consommation de viande et davantage de qualité, etc. De façon générale, nous devons apprendre à être plus sobres, quel que soit le secteur. À l’Ademe, nous pensons qu’il faut être ambitieux dans les messages à porter. Le changement, c’est dès maintenant. Nous ne pouvons pas attendre d’être au pied du mur car la transition des systèmes productifs prend nécessairement du temps. Il faut agir vite, émettre moins de gaz à effet de serre et surtout protéger les puits naturels de carbone. Si nous n’agissons pas maintenant sur nos modes de vie, nous n’aurons pas le choix des contraintes que le changement climatique nous imposera et que les secteurs agricole et forestier seront les premiers à subir.

R.A. : Quels sont les prochains travaux de l’Ademe sur l’agriculture ?

A.P. : Nous continuons à travailler sur les quatre scénarios de « Transition(s) 2050 » et leurs impacts. Dans ce cadre, nous allons présenter le 24 mars un rapport dédié aux impacts en termes d’usage et de qualité des sols de ces scénarios prospectifs. Fin mars, nous partagerons aussi une analyse sur les filières protéines. Nous pensons enfin qu’il serait également intéressant de mener un travail sur la régionalisation de ces scénarios car la grande diversité des territoires français doit être considérée en termes de ressources, de contraintes locales, ou encore d’impacts du changement climatique entre autre.