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« L’amélioration de la situation sur l’eau vient des contentieux », Marie Bomare, NE17

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« Nous sommes encore dans une logique de stockage et pas de réduction des prélèvements. Même si les objectifs fixés par l’UE ne seront pas atteints, l’amélioration de la situation vient des contentieux. Ce sont des solutions de court terme », déclare Marie Bomare, juriste pour l’association Nature Environnement 17.  Après la décision du tribunal administratif de Poitiers confirmant l’annulation de la seconde Autorisation unique de prélèvement, AUP, délivrée à l’Établissement public du marais poitevin (EPMP), le 09 juillet 2024, et dans la perspective des manifestations contre les mégabassines, Marie Bomare répond aux questions Référence agro.  

« L’amélioration de la situation sur l’eau vient des contentieux », Marie Bomare, NE17
« L’amélioration de la situation sur l’eau vient des contentieux », Marie Bomare, NE17

À quoi correspond une AUP ?

Marie Bomare : Les AUP sont des autorisations uniques de prélèvement d’eau pour l’irrigation agricole, délivrées par le préfet. Elles fixent le volume maximum alloué à l’irrigation agricole pour une durée allant jusqu’à 15 ans, sachant qu’il y a des objectifs de réduction des prélèvements en eau. Conformément à la réglementation française, nous sommes censés réduire nos prélèvements d’eau pour atteindre le bon état écologique, quantitatif et qualitatif des masses d’eau d’ici à 2027. Selon le Code de l’environnement, nous sommes également censés assurer une gestion durable et équilibrée de la ressource en eau, notamment sur les bassins en déficit quantitatif, dans le Sud-Ouest, l’Ouest et en Île-de-France.

En France, 58 % de l’eau douce disponible est consommée par l’irrigation agricole selon la moyenne 2010-2019, ce chiffre est en augmentation. Seule une minorité d’exploitation irrigue, entre 6 et 8 % de la SAU selon les années. Sur les bassins en déséquilibre quantitatif, l’essentiel des agriculteurs subit donc le manque d’eau aggravé par ceux qui en consomment trop. De plus, la ressource en eau disponible a déjà diminué de 14 % sur la période 2012-2018 par rapport à 1990-2001. Le dérèglement climatique accélère le phénomène. Il y a donc urgence à consommer moins d’eau sur les territoires en tension.

Comment avez-vous reçu la décision du tribunal administratif de Poitiers annulant l’AUP délivrée à l’EPMP en 2021 ?

Marie Bomare : Cette décision est dans la lignée des anciennes décisions du tribunal administratif. Ces AUP sont excessives sur tout le département. Les volumes autorisés par les préfectures sont complètement théoriques et ne sont pas représentatifs de la quantité d’eau réellement disponible dans les nappes. La diminution des prélèvements est fictive dans la mesure où le volume de départ autorisé n’est jamais consommé parce qu’il est trop important. On a une réduction dans le vide. Avec NE17, nous fournissons aux juges les volumes effectivement consommés par les irrigants pour prouver qu’il n’y a pas de réduction parce que les volumes consommés étaient toujours moindres. La seule réduction qu’il y a, tous les ans, se fait au moment d’une gestion de crise, par des arrêtés sécheresse en juillet-août. C’est très mauvais pour les milieux. Cela veut dire qu’ils sont fréquemment en stress hydrique.

Nous avons gagné tous nos contentieux AUP de l’EPMP. Le premier s’est tenu entre 2017 et 2021. Puis il y a eu l’AUP 2, validées par les préfectures. Les volumes y figurant étaient quasiment les mêmes que l’AUP 1. Donc son annulation n’est vraiment pas une surprise. C’est aussi une stratégie juridique, parce que l’État anticipe les délais contentieux et cela leur a permis de disposer de ces volumes depuis 2021, le temps que l’affaire soit audiencée. La décision est parfaitement cohérente.

Comparée à la décision rendue en 2019 annulant l’AUP 1, quels sont les éléments nouveaux dans cette annulation de l’AUP 2 ?

Marie Bomare : Lors de l’annulation de l’AUP n° 1, le tribunal avait décidé de ne pas l’annuler directement, car cela aurait engendré des conséquences socio-économiques trop importantes pour l’irrigation, ce qui est parfaitement normal. Le tribunal avait fixé une date précise d’annulation, trois ans après la décision, en plafonnant dans l’intervalle les prélèvements à la moyenne des consommations des cinq années précédentes. Cette mesure a laissé le temps aux préfectures de reprendre une nouvelle AUP. Ces jugements sont déjà un peu dans le compromis et tiennent compte des intérêts économiques de l’irrigation.

Pour l’AUP n° 2, le fonctionnement est un peu différent. On ne peut pas continuer indéfiniment dans cette boucle contentieuse. Le tribunal a annulé l’AUP le jour J, et s’est substitué aux préfectures en délivrant lui-même une nouvelle AUP provisoire à l’EPMP. C’est inédit. Pour le moment, la gestion de l’eau sur l’EPMP est assurée par le tribunal. La question est désormais la suivante : quel volume le tribunal va-t-il retenir pour cette AUP ? Le tribunal a raisonné en compromis, puisqu’il a raisonné en deux temps, pour les volumes d’hiver et les volumes d’été.

Pour les volumes d’été, le tribunal se base sur les volumes notifiés à atteindre en 2025 c’est à dire les derniers volumes connus avec une base scientifique qui date de 2001 et de 2007. Ces volumes sont toujours trop importants pour permettre une gestion durable et équilibrée de la ressource en eau puisque des volumes supplémentaires y ont été ajoutés à la suite d’un accord entre l’Etat et la profession irrigante mais ils sont à ce jour les seuls volumes de référence disponibles. Le Tribunal a conscience de l’imperfection de ces volumes puisqu’il a mentionné dans son jugement que ces volumes étaient les seuls disponibles dans l’attente des résultats des études en cours. Une étude scientifique est en effet actuellement menée sur le bassin Loire-Bretagne afin de connaître le « volume prélevable », c’est à dire le volume que le milieu est capable de fournir dans des conditions écologiquement satisfaisantes. Les résultats de l’étude sont attendus pour 2025.

Pour les volumes d’hiver, le tribunal a autorisé le maximum de ce que les irrigants ont prélevé les cinq années précédentes. Il se base sur le maximum des prélèvements réels, ce qui est une solution de compromis. Il autorise également la construction de retenues d’eau, de réserves de substitution dans le temps intermédiaire, tant que ces infrastructures obtiennent les autorisations environnementales associées. Dans ce cas-là, les prélèvements hivernaux servant au remplissage des bassines devront être déduits aux mètre cube près des prélèvements estivaux. C’est de la substitution. Le Tribunal a donc rappelé ce qu’était le principe de substitution. Pour annuler l’AUP, il avait en effet relevé que l’AUP augmentait les volumes hivernaux, mais sans diminution corrélative à l’été. Cela entraînait une augmentation des prélèvements à l’année, d’où l’annulation. C’est une solution de compromis.

Cette décision est-elle le signe que les institutions prennent conscience de l’ampleur du défi auquel nous faisons face concernant l’eau ?

Marie Bomare : Les magistrats administratifs ont compris les enjeux de gestion de l’eau. Il n’y a aucun doute là-dessus. De plus, ils appliquent le droit. Nous avons des objectifs juridiques décidés au sein de l’UE et repris par le législateur français. Il faut donc les appliquer.

L’État, pour le coup, n’a pas du tout pris conscience du défi de la gestion de l’eau. Nous ne sommes pas du tout dans une application qui tend vers ces objectifs. Même si les objectifs ne seront pas atteints, l’amélioration de la situation vient des contentieux. Pour l’instant, nous sommes encore dans une logique de stockage et pas de réduction des prélèvements. C’est évidemment la position associative, mais c’est aussi la position de tous les rapports officiels publiés sur le sujet. La Cour des comptes a publié un rapport sur la gestion de l’eau en juillet 2023. Elle conclut également qu’il n’y a aucune logique de diminution, qu’il n’y a que du stockage. La Cour des comptes analyse la situation sous l’angle de gestion des deniers publics, et estime que cela posera un problème financier. Les différentes formes de stockages sont souvent des solutions de court terme et pas du tout pour une gestion durable. On réfléchit à sauver le système agricole en place sans penser à l’avenir. Cela tiendra 10 ans, au maximum.

Nous sommes à l’approche de la mobilisation contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres. Face aux enjeux de l’eau, est-il inévitable d’être dans une confrontation permanente des visions ? Des espaces de dialogue entre les différents acteurs locaux ont-ils été ouverts ?

Marie Bomare : La solution vient des politiques publiques. Tant que nous n’aurons pas de politiques publiques incitatives qui changeront petit à petit le modèle agricole, nous resterons dans cette impasse. En France, l’Inrae étudie toutes les solutions. Des rapports parlementaires exposent toutes les solutions et les freins. Nous retrouvons toujours la même chose : nous n’avons pas la politique publique adéquate en place. Depuis les années 70, c’est une autre politique publique qui est mise en place, avec le côté productiviste de l’agriculture française.

L’une des solutions est le fait de rémunérer les agriculteurs pour les services rendus à l’environnement plutôt que de les dédommager a posteriori après des sécheresses, de la grêle, des inondations. On parle ici de l’eau, mais il y a aussi tout le problème des pesticides, car souvent, la question de l’irrigation s’accompagne de celle sur les pesticides. D’autres solutions sont possibles : mise en place de garanties financières durant une transition agricole, de garanties sur les prix d’achat par les coopératives, l’accès à un service public de conseil agricole indépendant…

En ce qui concerne la mobilisation, il est essentiel de distinguer les modalités d’actions des organisateurs de la manifestation, Bassines Non Merci et les Soulèvements de la Terre, de celles de NE17. Nous sommes une association agréée membre de France Nature Environnement qui agit notamment par le droit. Les actions se situent sur un autre plan : sensibilisation, formation d’un public extérieur et potentiellement désobéissance civile.

Les instances de dialogue existent. Sur le papier, la gestion de l’eau est très bien faite. Nous avons une vraie démocratie de l’eau, avec des instances locales, des commissions locales de l’eau, le comité quantitatif de l’eau, les PTGE où tous les usagers de l’eau sont représentés, l’environnement, l’irrigation, l’activité agricole, le tourisme. Tout le monde discute et des solutions ressortent de ces instances. Les études évoquées plus haut, dont nous aurons les résultats en 2025, ont émané de ces instances. Toutes les voix sont entendues. Le problème est qu’en tant qu’associations nous sommes très souvent court-circuités à la fin. La seconde limite est qu’au sein de la profession agricole du territoire, seulement 6 à 8 % des agriculteurs irriguent. Donc au sein des commissions sur l’eau, il n’y a qu’une partie de la profession agricole représentée. La Confédération paysanne pousse souvent pour avoir des représentants. Jusqu’ici, ce n’est pas le cas. Très souvent, les discussions se passent directement entre les irrigants et les préfectures, remettant ainsi en question les compromis trouvés au sein des commissions. Dans ces cas-là, les contentieux sont notre seule manière de rétablir l’équilibre et de faire entendre notre voix.