Moselle, l’agriculture contribue au plan de compensation carbone d’une centrale à charbon
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Ré-ouverte en 2022 pour faire face à la crise de l’énergie générée par la guerre en Ukraine, la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle) est soumise à un plan de compensation carbone. Alors que l’idée est d’acheter des crédits carbone locaux, le secteur agricole doit faire preuve d’agilité pour s’aligner avec cette demande.
L’approvisionnement énergétique a connu des soubresauts quand le gaz russe a cessé d’alimenter le mix français. En Moselle, la centrale à charbon de Saint-Avold a été ré-ouverte en novembre 2022 pour sécuriser le système électrique à la demande du Gouvernement. Une remise en fonctionnement conditionnée à la réalisation d’un plan de compensation carbone, avec une forte ambition d’ investir dans des projets locaux. Une opportunité intéressante pour les agriculteurs mosellans et du Grand Est souhaitant s’engager dans le bas-carbone.
Le mécanisme de compensation est toutefois une équation à plusieurs inconnues. Les émissions de la centrale dépendent de sa production, qui dépend elle-même des besoins, nettement moindres en cas d’hiver doux. « Depuis 2022, environ 180 000 tonnes de carbone ont été générées, mais pour les derniers mois de fonctionnement prévus, jusqu’à décembre 2023, difficile de se projeter », note Pierre-Jean Delhoume, responsable du fonds de compensation carbone chez GazelEnergie, société gestionnaire de la centrale.
Une compensation en grande partie agricole
L’agriculture doit de plus faire avec une variable qui lui est propre : la quantité de carbone évitée ou stockée. « Nous pouvons faire des estimations, mais nous ne sommes pas maîtres de tous les paramètres, glisse Arnaud Jouart, pilote régional carbone à la Chambre d’agriculture du Grand-Est. Un couvert qui manque d’eau, faute de pluie, ne produira pas la biomasse espérée. » GazelEnergie a toutefois huit ans pour déployer son plan, alors que le label bas-carbone en agriculture se déploie sur cinq ans, ce qui laisse du temps pour compléter d’éventuels « sous-performance ».
Malgré cette marge de manœuvre, GazelEnergie souhaite autant que possible limiter les incertitudes dans sa contractualisation. « Dans un premier temps, la stratégie de compensation s’est appuyée sur les tonnes de carbone déjà labellisée bas carbone ou en passe de l’être », précise Arnaud Jouart. Une stratégie qui n’exclue pas le secteur agricole, bien au contraire : sur les 100 000 premières tonnes de carbone compensées, près de la moitié l’ont été grâce à l’agriculture locale, via notamment France carbon agri association (FCAA).
Une base de 40 euros par tonne de carbone
Pour Arnaud Jouart, l’objectif est de se tenir prêt pour les prochains besoins qu’exprimera GazelEnergie. « La Chambre et les syndicats FRSEA et JA œuvrent pour l’ensemble des acteurs agricoles, insiste-t-il. L’idée est de limiter le nombre d’interlocuteurs, sans empêcher des opérateurs agricoles de se positionner en leur nom propre. » Un rôle qui nécessite une gymnastique exigeante, afin d’avoir une évaluation réaliste, en temps réel, des exploitations prêtes à s’engager et du stockage de carbone correspondant, pour s’aligner avec le plan de compensation de l’opérateur énergétique, au fil de l’eau.
Au chapitre de la rémunération, le mécanisme de compensation définit un montant de 40 € à flécher vers un fonds spécifique, pour chaque tonne de carbone émise. C’est dans ce fonds que GazelEnergie puisera ensuite pour la compensation. Ce qui ne revient pas à dire que les agriculteurs toucheront ce montant. D’une part, selon les prix du marché, l’opérateur énergéticien peut investir dans des tonnes de carbone moins chères.. D’autre part, les mandataires et/ou intermédiaires, sont bénéficiaires d’une partie du prix de la tonne. Précision importante, toutefois : l’ensemble des sommes versées dans le fonds de compensation devront être fléchées vers des projets de compensation carbone.
Un dispositif qui nécessite rigueur et suivi
Au final, ce dispositif est-il suffisamment incitatif ? Le label bas-carbone suit une logique de trajectoire, qui rend l’équation économique propre à chaque exploitation, selon son point de départ. Un montant de 40 € est dans certains cas suffisant pour couvrir les investissement consentis par les agriculteurs pour améliorer le bilan carbone de leur exploitation, et parfois non. « Mais le revenu carbone n’est pas une fin en soi, au risque de générer de la frustration et des déceptions, c’est plutôt un moyen d’accompagner la transition, rappelle Arnaud Jouart. Les exploitants doivent en tirer des bénéfices divers sur le long terme. »
Il ajoute : « Ce cas concret montre bien les atouts de l’agriculture sur le marché du carbone, et plus globalement sur la transition carbone, mais souligne aussi la complexité de ce dossier, son caractère évolutif. » Des spécificités qui imposent rigueur et suivi. « La Chambre d’agriculture est pleinement dans son rôle d’accompagnateur et de facilitateur à l’échelle du territoire Grand Est », conclut-il.