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 « Notre projet reste de mutualiser le stockage de l’eau », François Pétorin, Coop de l’eau 79

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« Cela fait dix ans qu’on fait des concertations, qu’on engage des dialogues, des études, des contre-études. Mais l’eau reste vitale à l’agriculture et aux territoires », déclare François Pétorin, agriculteur membre de la Coop de l’eau 79. Après la décision du tribunal administratif de Poitiers confirmant l’annulation de la seconde Autorisation unique de prélèvement, AUP, délivrée à l’Établissement public du marais poitevin (EPMP), le 09 juillet 2024, et dans la perspective de la mobilisation contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres, François Pétorin répond aux questions Référence agro.  

François Pétorin, agriculteur membre de la Coop de l’eau 79 - © D.R.
François Pétorin, agriculteur membre de la Coop de l’eau 79 - © D.R.

Comment avez-vous reçu la décision du tribunal administratif de Poitiers concernant l’annulation de l’AUP accordée à l’EPMP ?

François Pétorin : Nous sommes très déçus de ce jugement, d’autant plus que le même tribunal administratif de Poitiers nous a déjà entendus sur le dossier. Il a validé l’étude d’impact du projet. Nous avions déjà révisé les volumes sur certaines réserves. Depuis 15 ans, les volumes ont toujours été ajustés à la baisse. Dans ces volumes, 50 % sont substitués. Les irrigants n’ont pas été entendus dans ce dossier. C’est un peu regrettable.

Il est nécessaire de fixer une AUP n° 3. Pour le moment, nous prenons acte du jugement, que nous ne comprenons pas, mais nous sommes en attente de beaucoup de choses. Tout le monde étudie le jugement, pour essayer d’anticiper la suite. Cette décision peut être très impactante pour le monde agricole local.

Dans quelle mesure cette décision peut-elle impacter l’activité agricole du territoire ?

François Pétorin : Selon la baisse de volume qu’ils fixeront, beaucoup de choses peuvent changer : le maintien de l’irrigation sur le secteur, le nombre de réserves à mettre en place, en sachant qu’il y en a une en service et trois en construction ou à venir. Même les services de l’État sont en train de tout remettre en place.

Personne n’a de solution aujourd’hui, ni de prévision sur ce qu’il va se passer. Il faut être attentif pour voir, par sous-bassin, quel volume risque-t-on de perdre.

La Coop de l’eau 79 a été entendue dans certains dossiers. Le tribunal nous contacte pour que nous puissions défendre le dossier. Là, dans la procédure d’annulation de l’AUP, les irrigants n’ont pas été consultés. Le requérant a envoyé sa demande au tribunal administratif de Poitiers, mais il n’y a pas eu de dossier en défense de demandé. Nous sommes sur le dossier depuis 15 ans, nous nous adaptons au quotidien. Aujourd’hui, la moitié des prélèvements sont substitués. Les requérants insistent sur les prélèvements alors qu’on sait très bien qu’un mètre cube prélevé en été n’a pas du tout le même impact sur le milieu qu’un mètre cube prélevé en hiver.

Dans notre secteur, l’irrigation s’effectue par des prélèvements en forages dans les nappes superficielles, très peu profondes. Cela fait 40 ans qu’il y a l’irrigation sur le territoire. Les forages vont de 15 à 30 voire 50 mètres de profondeur. Ce sont des nappes peu profondes, comparées aux nappes de la Beauce ou des Landes, à 100, 300 mètres de profondeur, qui nécessitent plusieurs années pour se recharger. Chez nous, quand il pleut 40 ou 50 mm en hiver ou au début du printemps, les niveaux de la nappe remontent dans les 24-48 heures. Aujourd’hui, on prélève dans les nappes, au printemps-été. La substitution consiste à ce que certains forages actuels servant au printemps-été ne serviront qu’au remplissage des réserves entre le 1er novembre et le 31 mars. En dehors de cette période-là, il est interdit de remplir les réserves.

Les agriculteurs raccordés se servent de cette eau de la réserve. Mais à côté, effectivement, il y a des agriculteurs qui ne peuvent pas être raccordés pour des raisons de distance notamment. Ces agriculteurs sont sécurisés parce qu’il y aura moins de prélèvements au printemps et en été, grâce au stockage d’hiver. Le projet de la Coop de l’eau est une mutualisation du stockage de l’eau.

Nature Environnement 17 évoque des volumes autorisés par l’AUP trop importants et contraires au principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. Quelles pistes de réflexion sont étudiées pour faire coexister les enjeux de l’irrigation du monde agricole et les enjeux environnementaux de préservation de la ressource en eau ?

François Pétorin : Le projet initial de la Coop de l’eau était de sécuriser les milieux. Les choses ont évolué depuis. La répartition pluviométrique est différente. Il faut sécuriser tout le monde. D’abord, sécuriser l’eau potable, et ensuite sécuriser l’eau économique, soit industrielle ou agricole. Voilà pourquoi depuis quinze ans, les volumes globaux ont été divisés par deux. Nous modifions nos pratiques, nous n’avons pas attendu cette année ou l’an dernier pour le faire.

Sur le terrain, ces évolutions de pratiques se traduisent notamment par des rotations un peu plus longues. Nous adaptons les variétés, entre celles précoces et moins précoces, mais aussi les périodes de semis, pour les tournesols par exemple que nous plantons plus tôt. Mais même avec ces adaptations, nos cultures ont toujours besoin d’eau. Pour reprendre l’exemple du tournesol, c’est une culture facile à implanter, très peu gourmande en produits phytosanitaires, mais c’est une culture qui, notamment dans un sol avec beaucoup de roche comme chez nous, a besoin d’eau. C’est le même constat pour les pois protéagineux, pour l’alimentation animale.

Beaucoup de discours pointe du doigt les cultures de maïs : elles ont baissé de 25 %, et toutes les cultures ont besoin d’eau, même nos blés tendres et durs : Il n’y a quasiment plus de monocultures de maïs, comme il y a eu dans les années 80-90. La plupart des exploitations sont multicultures, avec du colza, du tournesol, du blé tendre et dur, un peu de maïs, un peu de pois des cultures spécifiques, et puis de l’élevage. Les éleveurs essaient de faire des luzernes, pour être autonomes en protéines et apporter moins de soja. Mais une luzerne sans irrigation, cela varie du simple au double en volume de fourrage pour les élevages.

L’appel à mobilisation contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres replace l’enjeu de la gestion de l’eau sur le territoire. Craignez-vous que la décision du tribunal de Poitiers crée une jurisprudence sur l’irrigation et que cela impacte sur le long terme la politique de la gestion de l’eau sur les territoires ?

François Pétorin : L’irrigation est vitale pour l’agriculture et pour les territoires. Il faut maintenir l’irrigation. Cela permettrait à des cultures familiales, autonomes de se maintenir. Sur l’exploitation voisine, il y a sept associés, dont trois jeunes installés en moins de quatre ans, avec des vaches laitières. Si on enlève l’irrigation, il n’y a plus d’élevage. Qu’est-ce qu’on fait dans ce cas-là ? Certains partent au chômage, d’autres à l’extérieur, moi je regroupe l’exploitation avec mes voisins ? Il faut des ajustements bien sûr, mais de là à vouloir bloquer l’irrigation sur le territoire, ce n’est pas tenable.