Agriculture décarbonée : « Urgent de faire un choix de société dès aujourd’hui » (The Shift Project)
Le | Recherche-developpement
Le think tank The Shift Project a publié son rapport final « Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère », le 28 novembre 2024. Mené pendant 1 an et demi, ce projet vise à concevoir des scénarios afin de permettre au secteur agricole de contribuer à ses objectifs de décarbonation et de protection de la biodiversité.
Le think tank The Shift Project a publié son rapport final « Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère », le 28 novembre 2024, à la suite de la parution d’un document intermédiaire en juin 2024. Mené pendant 1 an et demi, ce projet vise à concevoir des scénarios afin de permettre au secteur agricole de contribuer à ses objectifs de décarbonation (-46 % d’ici à 2050, par rapport à 2015, selon la SNBC 2) et de protection de la biodiversité. « Il est urgent de faire un choix de société dès aujourd’hui et décider quelle agriculture nous souhaitons en 2050 », souligne le rapport dans sa conclusion.
150 organisations (organisations professionnelles, instituts techniques, institutions, associations) et 300 personnes ont participé aux travaux conduits par le think tank. Ces derniers s’appuient, en outre, sur des entretiens menés avec 70 agriculteurs par les bénévoles de The Shift Project, ainsi qu’une enquête quantitative concernant plus de 7 700 exploitants.
« Les sujets climatiques et énergétiques inquiètent l’ensemble des agriculteurs, autour de 80 % : c’est le premier motif d’inquiétude pour la durabilité de leur ferme. Il y a un consensus sur la volonté d’agir des agriculteurs, assez peu mise en avant dans le débat public, puisque seulement 7 % des agriculteurs ne veulent s’engager sous aucune condition dans la transition. Les agriculteurs semblent prêts, mais il y a des conditions à garantir pour que la transition soit à la fois désirable et efficace : celles-ci sont économiques pour 87 % d’entre eux », cite Laure Le Quéré, ingénieure experte Agriculture chez The Shift Project, en préambule de la présentation du rapport.
Quatre scénarios imaginés…
Les chercheurs de The Shift Project ont identifié quatre objectifs dans la conception de leurs scénarios pour l’agriculture française :
- Produire pour répondre aux besoins alimentaires nationaux, en maximisant l’autonomie des filières agricoles françaises ;
- atténuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur ;
- assurer la résilience du secteur agricole aux crises climatiques, énergétiques et géopolitiques à venir, et en particulier diminuer sa dépendance aux énergies fossiles ;
- contribuer à la résilience globale de la société et à la préservation des écosystèmes.
De ces objectifs, trois premiers scénarios de transition ont été imaginés :
- « viser l'autonomie agricole et alimentaire sans importation, donc améliorer l’autonomie en fertilisant en alimentation animale et en énergie ;
- fournir un maximum de biomasse pour des usages énergétiques, que ce soit pour l’agriculture ou d’autres secteurs économiques ;
- fournir un maximum de biomasse alimentaire exportable (céréales et oléoprotéagineux) »
« Nous constatons que ces scénarios dans un premier temps ne passent pas la barre de l’objectif de la SNBC (48 Mt d’émissions directes pour le secteur de l’agriculture en 2050). Quand nous leur faisons passer cette barre, de nouvelles dépendances et vulnérabilités apparaissent pour chacun d’entre eux, que ce soit en termes d’autonomie alimentaire d’autonomie énergétique ou de plus grande vulnérabilité », indique toutefois Laure Le Quéré.
… dont un « de conciliation »
Un quatrième scénario, dit « de conciliation », a donc été préconisé. Il prévoit notamment une baisse de la consommation d’énergie grâce au recours à de bonnes pratiques : « Nous avons considéré qu’on avait un tiers de tracteurs électriques, un tiers de tracteurs au biogaz et un tiers avec des biocarburants, pour les usages qu’on ne sait pas décarboner », explique Corentin Biardeau-Noyers, ingénieur projet Agriculture.
Pour les gros ruminants (élevages de bovins à lait et bovins allaitants) : « Ce que nous proposons dans notre scénario est une atténuation assez raisonnable de la fermentation entérique, à hauteur de 15 %, ce qui est permis par l’optimisation de la conduite des troupeaux et des modifications de l’alimentation animale. Des gains génétiques pourront ensuite être attendus à moyen terme. En deuxième lieu, nous mobilisons un levier mécanique, mais mesuré sur la diminution du cheptel. Aujourd’hui on a une diminution assez importante à hauteur de 2,6 % par an des effectifs de bovins allaitant et de 1,9 % par an des effectifs de bovins à lait. Dans notre scénario, nous arrivons avec un rythme moins soutenu que le rythme actuel, c’est-à-dire -1 % par an », indique Laure Le Quéré.
Pour les monogastriques : « Les principales hypothèses ont visé à décarboner l’alimentation animale, en particulier le soja importé, via la relocalisation de la production d’alimentation animale en France ; à répartir de manière plus équilibrée ces élevages pour permettre une meilleure synergie entre les besoins de fertilisation locaux et la capacité des écosystèmes à gérer les effluents ; à diminuer la concurrence de ces élevages avec l’alimentation humaine, en diminuant de façon également mesurée les effectifs et en valorisant le maximum de coproduits dans leur alimentation », poursuit l’ingénieure.
« Maintenir 90 % des prairies permanentes »
« Une dernière logique que nous avons mobilisée, particulièrement dans notre scénario de conciliation, est la capacité du système agricole assez unique à stocker du carbone et, donc, à améliorer le bilan net des émissions. Nous arrivons à maintenir 90 % des prairies permanentes et l’objectif est de développer des pratiques permettant un stockage additionnel. Nous avons généralisé les cultures intermédiaires, sur plus de 90 % des surfaces, généralisé également le semis direct sur toutes les surfaces possibles. Nous avons également développé, de façon certes assez prudente par rapport à certains travaux de perspectives, mais déjà significativement, les pratiques d’agroforesterie et la mise en place de haies. Nous multiplions par 10 les surfaces en agroforesterie intraparcellaire », déclare Laure Le Quéré.
Au total, ce scénario permettrait l’atténuation de :
• 16 Mt des GES par tous les leviers d’évolution dans le système d’élevage et d’amélioration de la gestion des effluents ;
• 11 Mt par la reconfiguration de la fertilisation avec le triple effet des légumineuses, des couverts végétaux et du transfert de la mécanisation ;
• 7 Mt par l’efficacité de la décarbonation énergétique.