Dégradation de la biodiversité : « Notre survie est en jeu », Claire Chenu, AgroParisTech
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Référence environnement : Quelles sont les grandes conclusions du rapport Europe et Asie conduit par l’IPBES ?
Claire Chenu : La perte de biodiversité est générale dans le monde. En Europe et en Asie centrale, 42 % des espèces terrestres animales et de plantes ont décru ces dix dernières années. Les principales causes sont la perte, la dégradation et la pollution de leurs habitats auxquels s’ajoute le changement climatique. Ce phénomène compromet gravement la capacité de la nature à contribuer à notre subsistance et à notre bien-être. Nous nous en rendons de moins en moins compte, mais nous dépendons de la nature dans notre vie quotidienne.
Les milieux aquatiques d’eau douce semblent être les habitats qui sont les plus préoccupants en Europe et Asie Centrale. Seules 53 % des rivières de l’Union Européenne ont atteint en 2015 un bon état écologique, malgré des efforts en la matière. 37 % des espèces de poissons d’eau douce et 23 % des espèces d’amphibiens sont menacées d’extinction. Entre 1980 et 2013, les populations d’oiseaux des champs ont diminué de 57 % en Europe de l’Ouest et Centrale. C’est très cohérent avec les études récentes dévoilées par le Museum d’histoires naturelles et le CNRS : ils estiment que nous avons perdu 30 % des oiseaux des champs ces 15 dernières années.
Cependant, les experts constatent une grande hétérogénéité en matière d’information disponible selon les régions, l’Union Européenne ayant plus investi dans la surveillance des milieux et espèces, en comparaison avec l’Europe de l’Est et surtout l’Asie centrale. Conséquence de l’érosion de la biodiversité, on constate une dégradation des services rendus par la nature : pollinisation, protection contre l’érosion des sols ou régulation de la qualité de l’eau. La production croissante de biens matériels, aliments et combustibles, liée à l’intensification agricole, se fait aux dépens des services écosystémiques de régulation.
R.E. : Vous montrez que la dégradation de la planète va plus vite que ce qu’elle peut produire…
C.C. : En effet, la biocapacité des milieux, c’est à dire leur aptitude à produire des ressources naturelles renouvelables, est inférieure à l’empreinte écologique. C’est très inquiétant. En Europe et en Asie centrale, chaque habitant a besoin de 4,6 hectares pour produire la nourriture, les fibres, les combustibles qu’il utilise. C’est son empreinte écologique. Or, la biocapacité s’élève dans cette zone, en moyenne, à 2,9 hectares par habitant. Ce déséquilibre est encore plus marqué en Europe de l’Ouest : 5,2 hectares d’empreinte écologique contre 2,2 hectares par habitant de biocapacité. Cette région du monde n’est donc pas autosuffisante et vit au dépens d’autres zones dont elle importe des biens, telles que l’Afrique ou l’Amérique latine. En somme, notre survie est en jeu.
R.E. : Malgré ce tableau noir, existe-t-il des lueurs d’espoir ?
C.C. : Oui, des résultats montrent les voies à suivre. Des règlementations environnementales ont permis le recul de l’acidification en Europe de l’Est et Europe centrale depuis quelques décennies. Avec l’aide des stratégies environnementales européennes et des mesures agro-environnementales de la politique agricole commune, l’érosion des sols a reculé en Europe de l’Ouest. Les surfaces de zones protégées sont également en augmentation en Europe. Mais cela ne suffit pas à compenser les effets de l’intensification de l’agriculture et de la déforestation, de la pollution et de l’artificialisation des terres. Ce phénomène est très inquiétant. En France, 27 m² par seconde sont artificialisés. Il est urgent que les pays prennent des mesures pour contrer ces phénomènes. L’agriculture a encore des efforts à faire en matière d’utilisation des intrants, de développement d’infrastructures et de pratiques agro-écologiques, ainsi que d’économie circulaire.